À peine revenu de la Réunion (j’en parlerai un peu plus demain), je découvre un mail de mon ami José Roosevelt. Comme tous les ans, il avait prévu de prendre un stand pour montrer son travail – autoédité – aux amateurs de BD, faire de belles rencontres et recroiser les copains. José Roosevelt est un type incroyable qui croit que la BD est une aventure, que l’on peut rêver avec et faire passer des choses métaphysiques en même temps. Un vrai artiste qui se dépense sans compter pour le plaisir de raconter des histoires avec des images. Mais, au beau festival Angoulême 2011, quand on est une petite structure, il faut envoyer un dossier de candidature pour obtenir un emplacement. Et vous risquez de prendre un refus. Pourquoi ? Parce que. C’est ce qui est arrivé à José cette année. On ne peut pas dire que je sois un fan du festival (j’ai même été interviewé par un magazine spécialisé pour cette raison) et ça ne va pas changer de sitôt. Est-ce que c’est courageux de dire du mal de ce festival quand on est auteur de BD ? Absolument pas : ils ignorent totalement qui je suis et si on leur dit ”vous savez, c’est un auteur de BD”, ils risquent de répondre ”de quoi ? de BD ? Qu’est-ce que c’est que ce truc ?”.
Voici le contenu du mail en question :
LE FESTIVAL D’ANGOULEME FERME SES PORTES…
… AUX EDITIONS DU CANARD !
Scénario d’une bande dessinée qui ne sera jamais publiée
ATTENTION : TOUS LES FAITS ICI MENTIONNES SONT STRICTEMENT REELS !
La scène : quelque part à Lausanne, un journaliste interviewe Juanalberto.
Journaliste :
Monsieur Juanalberto, en tant que personnage principal des albums publiés par Roosevelt, pouvez-vous nous dire : est-ce bien vrai que Les Editions du Canard n’auront pas un stand au festival d’Angoulême en 2012 ?
Juanalberto :
Oui. Malgré le fait qu’elles étaient présentes lors des cinq dernières éditions du festival, avec un succès toujours plus grand, et que Roosevelt avait un immense plaisir d’y rencontrer ses lecteurs.
Journaliste :
Comment cela se fait-il ?
Juanalberto :
Quelques mois après avoir envoyé son inscription, et juste après avoir reçu les codes d’accès à ses badges – ce qui peut être considéré comme une confirmation de l’inscription – Roosevelt a reçu le 17 novembre, de Mme Brasseur de la production du festival, un e‑mail lui annonçant qu’il était impossible de lui attribuer un stand pour la prochaine édition. Une lettre de M. Bittard, directeur technique et commercial du festival, l’a confirmé.
Journaliste :
Et quelles raisons ont été invoquées pour ce refus ?
Juanalberto :
Le manque de place, dû notamment à l’arrivée de nouveaux exposants. M. Bittard dit dans sa lettre que « la candidature des Editions du Canard n’a pas été retenue ».
Journaliste :
« Candidature » ?
Juanalberto :
Oui, Les Editions du Canard sont descendues, en quelques lignes, au rang de « candidat » au festival d’Angoulême.
Journaliste :
C’est tout ce que le festival a fourni comme argument ?
Juanalberto :
Oui. Pas un mot n’a été dit sur les critères qui ont été retenus pour décider que Les Editions du Canard devraient céder leur place à « de nouveaux exposants ».
Journaliste :
Et que pensez-vous de cela ?
Juanalberto :
Je pense que ces critères ne sont sûrement pas la qualité du travail exposé ni l’aspect professionnel des Editions du Canard. Si je devais imaginer quel critère justifierait l’exclusion des Editions du Canard du festival, le seul qui me vient à l’esprit est leur poids. En effet, devant ce refus, un éditeur est en droit de se plaindre. Or, quel ennui peut causer au festival cette petite maison d’édition qui compte pour l’instant un seul auteur, qui n’appartient à aucune association d’éditeurs, qui ne bénéficie pas de soutiens financiers ni politiques de la part de qui que ce soit, et qui est établie si loin, de l’autre côté des Alpes, c’est-à-dire, vu d’Angoulême, à nulle part ?
Journaliste :
C’est vrai que je n’arrive pas à imaginer le festival annoncer la même chose à Delcourt ou à Glénat… A ce propos, certains disent qu’Angoulême est devenu une grosse machine mercantile. Qu’en pensez-vous ?
Juanalberto :
J’avais l’habitude de répondre à ce genre de remarque que c’est vrai que le mercantilisme était présent au festival, mais qu’il y avait de la place pour tout le monde, y compris pour un micro-éditeur indépendant. Mais, grâce à M. Bittard et Mme Brasseur, je me suis débarrassé de ces douces illusions.
Journaliste :
Comment ont réagi vos amis à cette triste nouvelle ?
Juanalberto :
Mon ami Philippe Coudray, le créateur de l’Ours Barnabé (à qui une exposition sera consacrée lors de la prochaine édition du festival d’Angoulême) a trouvé l’exclusion des Editions du Canard simplement inacceptable. Il a même écrit aux directeurs de l’événement, M. Bondoux et M. Mouchart, ainsi qu’à Lewis Trondheim, pour protester contre cette décision, selon lui injustifiable. Pour lui, Les Editions du Canard faisaient partie des bonnes surprises du festival. Un autre de nos amis, qui travaille dans la diffusion, s’est écrié : « Ils n’ont vraiment honte de rien ! »
Roosevelt a été très touché par leurs réactions.
Journaliste :
Je ne pense pas que ce sera le cas des destinataires de M. Coudray…
Pour terminer, avez-vous un message pour les centaines de milliers de lecteurs qui visiteront le festival d’Angoulême en 2012 ?
Juanalberto :
Lecteurs ? Oh non, vous vous trompez. Des centaines de milliers de visiteurs que le festival reçoit, si vous excluez les badauds, les acheteurs de figurines et autres souvenirs, les chasseurs de dédicaces, les hystériques de tous genres qui veulent toucher au mythe de la star… pour ne laisser que les vrais lecteurs, le nombre est bien plus petit.
Aux vrais lecteurs, je leur envoie mes salutations bien amicales, en espérant sincèrement les croiser ou les re-croiser un jour. Aux autres, je leur dis : réjouissez-vous de votre festival, il me semble qu’il est à l’image de ce que le monde de la b.d. est en train de devenir : une quête de la meilleure affaire et de la gloire. D’ailleurs, je pense que le festival ne manquera pas de rendre hommage en 2012 à ce nouveau super-héros créé par Steven Spielberg : Tintin.
Vous pouvez exprimer votre éventuel soutien – ou insultes – directement aux organisateurs de ce beau festival : http://www.bdangouleme.com/contacts. Et à José Roosevelt sur son site : http://www.juanalberto.ch/.
On va finir par regretter M.E. Leclerc…
@Totoche : M.Leclerc était un parfait bouc émissaire pour les indés qui pensaient naïvement que tous les problèmes de la BD pouvaient se régler en écartant le financement privé. Malheureusement, la vie est bien plus compliquée que ça.
Ce qui plaidait pour Leclerc,c’était l’un tant soit peu d’humanité dans son oeil quand il parlait de sa passion de la bd…Cela dit ces faits véridiques ne sont qu’une illustration m^me plus étonnante de notre petit monde,non ?
@julien : ce qui n’empêche pas la lutte.
Oui, on ressent un certain malaise en se demandant qui peuvent bien être ces nouveaux exposants, derniers arrivés, premiers servis.
@Tororo : on aimerait tant qu’il y a ait de la place pour tout le monde et en même temps, des règles bien claires ne seraient pas un luxe – qu’on rigole un bon coup.
@Li-An : Ah, oui, dans ce cas, au moins, ce serait automatique, rirait bien qui rirait le dernier.
Je suis très ami avec ceux que l’on pourrait appeler respectueusement ”les vieux de la vieille” du festival d’Angoulême, les fondateurs et premiers bénévoles. Véritables amis d’une BD de moins en moins présente dans ce grand magasin des nombrils qu’est devenu le FIBD … Ils se réunissent toujours, tout au long de l’année, au sein de l’association des Amis du Musée de la BD (AMBD), aident les jeunes auteurs tant qu’ils le peuvent, leur organisent des expos, des petites conférences où ils peuvent présenter leur travail et leur cheminement ; Ce qu’aurait du rester le festival, au lieu de devenir ce temple à Mammon protéiforme qui se dresse chaque année au milieu du dessin animé et des lucratives nouvelles technologies de l’imâââÂÂge … Cela m’attriste toujours profondément, pour mes amis, pour les lecteurs animés d’un réel amour pour notre artisanat …Non. Je n’aime pas le festival d’Angoulême. Certes, les actuels organisateurs y sont pour quelques chose, c’est tristement évident, mais pas que … Quelques éditeurs aussi. Mégalomaniaques se tirant la bourre dans un concours de celui qui pisse le plus loin par taille de stand interposée, par nombres de petites fesses louées qui s’y trémoussent au rythme d’une musique aussi pourrie que les catalogues qu’elle sont censées représenter !
Je ne m’en suis jamais caché. Tout le monde sait que si un jour un inconscient avait l’idée de me décerner un prix à Angoulême, il faudrait re-designer en urgence le trophée pour qu’il ne soit pas trop contondant … Mais, Dieu merci, cela n’arrivera jamais et c’est très bien ainsi. J’ai trouvé, enfin, un éditeur sérieux qui n’en fait pas des caisses, qui respecte auteurs et lecteurs et qui, surtout, ne me parle pas d’Angoulême !
D. Barkmann Cerqueira.
(P.S.) : Bravo pour ce billet cher Li-An. Pour votre franchise et votre courage, car il en faut … Dans ce métier et dans ce monde.
Salutations respectueuses.
Merci pour ce long commentaire, M. Cerqueira. J’ai décidé il y longtemps que je ne faisais pas ce métier pour avoir les chocottes. Et dans mon cas, c’est plus de l’inconscience que du courage :-)