La vanille est originaire du Mexique et elle n’est fécondée que par une abeille indigène. Pendant longtemps, les botanistes ont essayé diverses méthodes pour forcer la fécondation sans cette satanée abeille. C’est finalement un jeune esclave de l’île Bourbon (future île de La Réunion), Edmond Albius, qui va trouver la solution.
Pistil et fouet
Appollo (au scénario) et Tehem au dessin retracent dans leur nouvel album Vingt Décembre le destin d’Edmond, témoin et victime de l’esclavage de son temps puis de l’abolition de 1848. Ce qui fait la beauté du livre, c’est qu’il n’est pas dans la démonstration : Edmond est un esclave à la vie plus confortable que celle de son entourage. Son destin n’en est que plus poignant et dépeint dans le quotidien la violence intrinsèque d’un système esclavagiste qui ne se soucie que de rentabilité, condamné à l’immobilisme et la médiocrité. Si le maître d’Edmond est bienveillant et tâche de l’aider, il ne va pas jusqu’à lui donner les clefs d’une véritable indépendance : l’affranchissement, l’écriture et la lecture. Lorsque l’abolition arrive, Edmond ne maîtrise pas mieux son destin dans une société qui reste inégalitaire et raciste.
La vérité sur l’origine de la BD
D’autres personnages apportent différents points de vue et de vie sur la situation, notamment féminins, mais il y a deux personnages importants qui sont, de manière un peu inattendue, un peu à l’écart de la société réunionnaise et de ce qui se joue. Antoine Roussin, professeur de dessin et lithographe, accompagné par un élève qui bouillonne d’idées, Martial Potémont. Potémont est arrivé dans l’île en 1847 et a une culture artistique bien plus fraîche que son aîné. Il a l’idée de mettre en images humoristiques le parcours de Sarda-Garriga, envoyé par la République pour mettre en œuvre l’abolition. Ces deux personnages ne prennent vie qu’à la toute fin, ce qui est un poil frustrant.
Métissage express
Je n’avais pas chroniqué le précédent album d’Appollo ici parce que je n’étais pas vraiment rentré dans l’histoire, notamment à cause du dessin actuel de Brüno qui n’est plus trop ma tasse de thé. J’ai pris beaucoup plus de plaisir avec ce Vingt Décembre qui réussit un portrait émouvant d’Edmond tout en donnant une leçon d’Histoire sans que ça paraisse artificiel. Le travail graphique de Tehem m’a aussi agréablement surpris : la palette de couleurs m’a semblé différente de son travail habituel et donne une ambiance lumineuse qui contraste avec la violence de ce que vivent les personnages. Et, malgré le format roman graphique, on a droit à des panoramas riches et des décors vivants qui font partir en voyage dans le Temps. Et la couverture est très réussie.
Bon, vous me connaissez, je ne peux pas m’empêche de couiner toujours un petit peu. De manière paradoxale, ce portrait de La Réunion très riche de l’époque m’a frustré parce qu’il me manquait… le point de vue des colons. Si le personnage de Grand-Patte, petit Blanc sans esclave, permet de cerner les Blancs les plus pauvres qui réagissent violemment contre la fin de leur seul privilège, la bourgeoisie qui est au centre du système esclavagiste reste un peu en arrière-plan et un peu floue. Une espèce de retournement de perspective à saluer, mais qui m’a titillé.
Le dessin /couleur de Tehem porte toujours autant de grâce en lui.
Livre hautement recommandable,non ?
Recommandé par ma belle-sœur en tous les cas – le test du fiston n’a pas pu être effectué.
A lire en écoutant Danyel Waro ‚un chanteur de la Réunion qui chante un genre de chanson herité de l’esclavage .Merci aux programmateurs des radios libres.. C’est sympa la forme BD pour apprendre l’histoire je trouve.
Et merci pour cette présentation.
Pour le coup, Waro ou, pour les plus pointus, Alain Péters. Ah moi, je déprime avec les docu BD. La BD franco-belge prend le chemin éditorial du cinéma ou de la littérature alors qu’elle a été si créative.
J’avais écrit ça sur Bookwyrm (d’ailleurs, vous n’y êtes pas ?) à propos des Chroniques du Léopard, et de ses faiblesses.
https://bw.heraut.eu/user/LienRag/review/14917/s/mitige#anchor-14917
Peu de temps après, j’ai lu Vingt Décembre, que j’ai beaucoup aimé, alors que sa structure est très très proche de celle des ”Chroniques du Léopard”.
Peut-être parce que la raison pour laquelle Vincent Albius passe à côté de sa vie est expliquée dans la BD, et fait partie du tragique de l’intrigue ?
Je pense surtout que la façon dont Appollo écrit ne correspond pas tout à fait à vos attentes – ou à ce que vous aimez. Il a une écriture très particulière qui sort de la narration traditionnelle en BD classique. Après, on a le droit de ne pas aimer :-)