À la suite du billet consacré à l’album de Ohm & Hubert (à lire ici), j’ai eu envie d’en savoir plus et les deux auteurs m’ont gentiment accordé une petite interview. On va commencer par le scénariste, Hubert.
J’ai été un peu surpris de découvrir une histoire SF de ta part. Ce n’est pas un genre que tu as déjà abordé me semble-t-il. Est-ce que tu as lu de la SF, est-ce que tu en lis en ce moment ?
Hubert – Je lis de la SF depuis très longtemps et j’en ai lu beaucoup, comme pour le reste de la littérature. Je suis un peu boulimique côté livres. Mon premier grand amour a été (et reste) Franck Herbert, mais malheureusement j’ai à peu près tout lu de lui, et relu le cycle de Dune une douzaine de fois. Mais j’aime aussi Corvainer Smith, Brunner, Silverberg, Scott Card, Stephenson, Dan Simmons, Vernor Vinge … Dans les découvertes récentes, il y a Alain Damasio (”La Horde du Contrevent”), qui a vraiment été un choc, alliant un univers très poétique et nitschéen avec une langue extraordinaire, très contemporaine, et une structure narrative complexe. Et en plus il est français ! J’ai envie d’écrire de la SF depuis très longtemps, mais je n’avais trouvé ni l’idée, ni surtout le dessin avant de rencontrer Ohm. C’est lui qui a constitué le déclic. Et j’ai d’autres projets SF dans mes carnets, à des stades plus ou moins avancés. J’aime l’idée de genre, que ce soit du polar, du fantastique, de la SF. Je ne conçois pas hiérarchie. Il y a des bons et de mauvais livres, c’est tout !
Des ”humains”, des minerais, des ET pas coopératifs, ça rappelle fortement Avatar de Cameron. As-tu vu le film ? Quelles sont les différences fondamentales entre l’oeuvre de Cameron et la votre à tes yeux ?
H – Je viens de le voir il y a quelques jours. J’ai attendu ques les files d’attente s’amenuisent ! Effectivement j’ai noté les points communs, mais qui ne sont pas si surprenant, puisque je pars de thèmes assez classiques en Sf, et il faut croire qu’il y a des idées qui sont dans l’air à un moment donné. Ce qui m’a frappé dans Avatar, c’est d’abord le côté éminemment prévisible de
l’intrigue et sa superficialité : il y a un grand nombre de thèmes passionnants à l’état latents dans le film, mais aucun n’est réellement abordé (la gémellité et la mort d’un jumeau, le handicap et l’image du corps, l’interaction corps/esprit…) Mais le plus flagrant est la façon d’aborder l’absolue altérité que représente un contact extra-terrestre. Finalement la vision de Cameron est totalement anthropomorphique, alors qu’à mon sens un esprit humain plongé dans un esprit de ruche tel que celui décrit dans le film frôlerait la folie, tant il s’agit de conception différentes de l’individualité. Cameron marche au dessus des abîmes sans même sembler les apercevoir ! Mais peut-être est-ce la condition sine qua non pour faire un blockbuster.
Je dois être plus pessimiste, puisque la façon dont je décris le contact est assez différente : les humains ne perçoivent pas les Bestioles comme des entités pensantes, parce que leur mode de communication (non verbal) est trop différent du notre. Nous avons déjà du mal à comprendre nos voisins, alors s’agissant d’une espèce radicalement différente, ça risque d’être très compliqué.
J’ai beaucoup aimé le concept des deux narrations (humaine et ET) en parallèle. Est-ce que c’était prévu dès le début du projet ? D’où vient l’idée ?
H – En fait, l’idée est venu en cours, pour des raisons purement narrative. Je cherchais à creuser le thème de l’altérité, et celui d’un choix moral quasi impossible de la part de Luanne. Or l’acte qu’elle commet restait gratuit, vide de sens, à moins que la créature qui en est victime soit elle aussi un protagoniste à part entière. Il fallait qu’elle soit investie d’une histoire propre, d’un passé, et que le lecteur ait pu s’y attacher pour qu’on sente toute l’atrocité de ce qui se passe.
J’ai retrouvé ce qu’il m’a semble des thèmatiques déjà présentes dans Miss Pas Touche (et que je n’ai pas développé dans mon billet). Le rapport aux parents en premier lieu. Comme Blanche, les deux personnages centraux ont des parents qui ne sont pas satisfaits de leur progéniture. Luanne et Childéric ont fait un choix de carrière qui se défend parfaitement mais qui déplait à leurs parents et ils ont besoin de faire leur preuve. D’où vient cette thématique ?
H – Peut-être de ma propre vie, cher docteur Freud !
Comme Blanche, Luanne est un personnage positif mais dont la force de survie conduit aux pire extrémités. On a droit à une scène particulièrement éprouvante dans cet album. Est-ce qu’il y a une sorte de message sur la nature du héros où est-ce que tu ne conçois pas de personnages sans face sombre ?
H – J’aime traiter de question de morale dans ce que j’écris, et donc de choix souvent impossibles. J’ai essayé de traiter dans ces deux histoires l’idée d’un choix imposé par les circonstances ou les idées dominantes de l’époque, mais que nous en tant que lecteur pouvons juger mauvais. Je n’aime pas les héros infaillibles, qui savent toujours où est le Bien et le Mal, ça me fait froid dans le dos, on croirait voir Georges W. Bush au scénario. La vie est plus complexe, faite de contradictions, de zones grises où il est délicat de démêler les choses, de mauvaises actions faites pour les meilleures raisons, et d’actes douteux produisant parfois des résultats bénéfiques. C’est en tout cas comme ça que je ressens les choses, et c’est ce que je cherche à transcrire dans ce que j’écris !
Blanche et Luanne ont deux pères de substitution particulièrement gratinés : lecapitaine pour Luanne, un alcoolique incompétent et malhonnête et pour Blanche, Monsieur, un truand effrayant. Je ne vais pas faire de la psychologie de bazar mais tu en dis quoi ?
H – Pour moi, il ne s’agit pas de pères de substitution, ni dans un cas, ni dans l’autre. De figures masculines inquiétantes, sombres, oui. Pour ce qui est de m’attaquer à l’imagerie paternelle, j’ai d’autres projets en cours plus spécifiques !
Le personnage de Childéric est très intéressant parce que c’est celui qui est le plus marqué par l’aventure. Les deux personnages s’en sortent positivement malgré des choses vécues très dures. À quel point c’est un choix volontaire sachant qu’on pressent une suite ?
H – J’aime les récits d’apprentissage, qu’un personnage ressorte d’une histoire différent, marqué, formé par les évènements, ce qui n’est pas la conception classique du personnage de Bande Dessinée (type Tintin, par exemple). Par contre, je ne suis pas sûr qu’à terme, si on me laisse poursuivre mon histoire, les deux personnages s’en sortent positivement. J’aimerais creuser un peu la culpabilité que ressentira rétrospectivement Luanne : tant qu’elle est dans l’action, elle avance sans trop se poser de questions, mais je pense que ça va la travailler. Childéric s’en sort mieux, puisque ça lui permet de sortir de l’enfance et qu’il n’a pas assumé le même choix que Luanne.
Il y a des thèmes d’actualité : la religion, l’écologie… Quel regard portes-tu là-dessus et
qu’est-ce qui t’as donné envie de les aborder en SF ?
H – J’ai toujours considéré la SF comme une forme de récit utopique permettant de parler de thèmes actuels et de les extrapoler, un peu comme les contes philosophiques au 18eme siècle. L’avantage de la SF, c’est qu’on peut dire des choses sérieuses tout en restant ludique et en gardant une distance avec l’actualité. L’envie première était de faire un récit d’exploration dans un lieu vierge de toute trace humaine. Et les autres thèmes se sont greffés sur le récit au fur et à mesure. Je travaille par association d’idées, sans savoir vraiment où je vais, sans intrigue définie. J’ai une sorte d’atmosphère, un ou deux thèmes, quelques scènes clés, des esquisses de personnages. Et quand ça se passe bien, au bout d’une année d’écriture (ou trois ou six…) il y a une intrigue. Ce n’est pas très contrôlé. Si bien que l’histoire s’est enrichie par ce qui m’entoure : nous vivons une époque inquiétante où sans doute pour la première fois de on histoire l’humanité doit envisager sa propre extinction non pas suite à un conflit, mais parce qu’elle a enclenché une série de processus incontrôlables par aveuglement. Et parallèlement à ça, on voit la remonté de l’obscurantisme religieux. L’idée de progrès, qui était encore présente quand nous étions enfants, est belle et bien morte.
Pourquoi avoir proposé cette histoire à Ohm alors qu’elle aurait pu être traité plus réalistement sans problème ?
H – En fait, je n’ai pas proposé cette histoire à Ohm : elle n’existait pas avant qu’on se rencontre. J’ai découvert le travail de Ohm qui avait envoyé des dessins à la revue Capsule Cosmique, dont les fondateurs étaient dans le même atelier que moi. C’était en 2004, Ohm était encore étudiant aux Arts Décos. Je trouvais ce qu’il faisait très bizarre, je n’y comprenais pas grand chose, mais ça me restait en tête. On a finit par se rencontrer à la fête de lancement de la revue, et je lui ai dit que je voulais travailler avec lui. L’histoire est née de ses dessins et de nos échanges. Quand il a commencéBao Battle, le projet, qui était écrit, est resté en stand-by jusqu’à ce qu’il trouve un peu de temps pour s’y mettre ! Et je n’aurais pas pu imaginer cette histoire-là pour un dessin réaliste. L’univers de la forêt, ce côté trash-mignon était dès le départ au cœur du projet. Tout comme les référence à Tintin sont liées au côté ligne claire du Dessin de Guillaume. Le dessin est langage. Avant même que la narration débute, le dessin d’Ohm raconte déjà, installe une ambiance très particulière, et c’est avec ces qualités intrinsèques du dessin que j’essaie de jouer. C’est là l’avantage du scénariste sur ”l’auteur complet”: je peux changer de dessin en fonction de ce que j’ai à raconter ! J’ai de toute façon beaucoup de mal à écrire une histoire sans connaître le dessin et le dessinateur avec qui je vais travailler. C’est toujours du sur-mesure.
Passons maintenant à Ohm avec quelques petites questions concernant surtout ses influences qui n’ont pas été sans perturber mes chers lecteurs…
Quelles sont tes influences ?
Ohm – Premièrement je peux dire que j’ai quasiment appris à dessiner avec Dragon ball, quand j’étais petit je faisais une vraie fixation sur son univers et ses personnages, je crois que c’est pas mal resté. Ensuite je suis plutôt inspiré de dessins très ”graphiques” comme celui de Chris Ware, Dave Cooper, Ozamu Tezuka ou ceux des premiers dessins animés de Walt Disney (qui sont d’ailleurs la plupart du temps dessiné par Ub Iwerks). J’aime la simplicité dans le dessin, la compréhension immédiate, mais j’aime ”y croire”.
Je considère mon dessin comme ”réaliste” dans Bestioles. En tout cas c’est le niveau de réalisme le plus poussé que je suis capable de produire. Récemment j’ai redécouvert le dessinateur de Doreamon, Fujio Fujiko (qui sont la réunion de deux artistes) ou encore les Peanuts de Charles Schulz…
L’univers visuel (engins, fringues etc…) fonctionne très bien et reste très cohérent. Est-ce que la SF est un univers qui t’es habituel ?
O – Je ne suis pas très renseigné sur ce qui rentre ou pas dans la case ”SF”. C’est les univers inventifs et ”crédibles” qui me passionnent, je peux autant être fan de Star Wars que de La famille Tenenbaum ou de Harry Potter. Pour moi tout ces univers sont riches et sont décalés de la réalité. Quand je regarde un film éstampillé ”SF”, j’ai l’impression que ça va sentir le réchauffé, les vieilles recettes. Après les annèes 70, la SF à un peu tourné en rond je pense…(mais je m’y connais vraiment pas trop). Moi j’ai juste voulu créer un univers qui soit le plus crédible possible, dans toute sa bizarrerie et sa richesse. Malgré tout je pense que c’est très compliqué de faire sentir ça au lecteur. Au final j’ai l’impression que l’univers reste plus dans ma tête que dans le bouquin. C’est dûr de transmettre tout ça sans être trop démonstratif. Par exemple c’est une des choses que j’ai aimé dans Avatar, on rentre vraiment dans l’univers comme si on y était. En BD, c’est plus compliqué.
Encore merci à tous les deux pour avoir pris le temps de répondre à mes questions idiotes et pour avoir fourni les dessins inédits qui illuminent ce billet.
Et bien voilà interview très interessant à lire :)
Cela me donne envie de lire cette bd !
thanks
Tel était le Grand But Ultime.
La phrase qui tue : ”j’ai appris a dessiner avec Dragon Ball”…
Merci pour la petite déprime du vendredi après-midi, Ohm !
Faut préciser, Totoche… Ça t’a donné un coup de vieux ?
J’ai longtemps acheté ”Tcho” à mon gamin, rien que pour les pages de Ohm, et de Bill, et je me suis toujours demandé si ces deux dessinateurs n’étaient pas les deux faces d’un seul et unique jouant de pseudos.
Je pourrais certainement trouver la réponse à cette question, mais comme je passais, je la dépose ici.
Sinon , à propos d’ ”Avatar”, ce que dit Hubert est très juste mais je le trouve bien gentil : j’aurais envie de dire que Cameron ne marche pas au dessus des abîmes, mais qu’il crée du vide. Et le relief en est bien la preuve !
À force de copiage et d’absence de profondeur (^-^), son film porterait mieux le titre d’ ”Ersatz”. Mais il faut reconnaître à Cameron une forme de génie qui est de savoir vider surtout les cerveaux.
Ben pas tout le monde, la preuve ici :-). Pour ce qui est de Ohm et Bill, je ne peux pas conclure…
@Li-An : Tu avais bien compris !
Attends toi bientôt à rencontrer des jeunes qui ne connaitront même pas Dragon Ball Z. Lol comme ils disent.
DragonBall, c’est à peu près l’époque où j’ai définitivement renoncé à dessiner ! Bouhouhou ! Méchant Ohm !
Dans le même genre, je viens d’entendre que Vincent Perriot avait deux ans à la création d’Aire Libre. Argggh. Je retourne me coucher.
Peut-être mais il semble qu’il va mettre plus de deux ans pour pondre le second volume :-)
Superbe interview. :)
Ca donne définitivement envie de lire la BD. Le trait d’Ohm est vraiment chouette. Ca me rappelle un peu le le donjon de killoffer dans la profusion de détail.
Une comparaison pas idiote (mais quand on voit la BD réalisée par Killoffer pour une voiture dans la presse, on peut espérer que Ohm va échapper à ça).
Moi,il me semble bien que j’ai ”appris” à dessiner avec Macherot(ça laisse de la marge dans les dates).
Moi Franquin et Moeb :-)
Moi je me dis qu’il serait peut être temps que j’apprenne.
pour la pub de Killoffer, faut croire que ça a du bon de vivre à l’étranger. ^^
Oula oui, c’est vraiment très moche. J’ai cru que c’était un pov gars. C’est presque du niveau de ce qu’on voyait dans les années 70 et 80…
Après lecture (ici : , je pense qu’il faut y voir un hommage appuyé aux années 80 de la communication, tant dans le dessin et les couleurs que (surtout) dans le texte lui-même, qui sonne vraiment vraiment années 80. J’ai l’impression de revoir les vieux exemples du publicitor (5e édition).
Enfin j’espère que c’est second degré..
Ah, le lien est mort :-( Mais bon, je trouve ça un peu lourdingue comme hommage… Ça va aider à vendre des voitures ???
Un hommage doit apporter quelque chose d’excitant pour fonctionner il me semble. Si c’est pour faire pareil en aussi peu sexy… bof.
la revoici (ailleurs) : http://www.actualitte.com/images/news/15323.jpg
Oui je trouve ça aussi pénible que les originaux, et du coup pas sexy du tout.
Et ce gag CO2… Quel lourdeur…