Voici donc le dernier numéro de Comix Club. Mais vraiment le dernier (du moins sous cette forme nous annonce Jean-Paul Jannequin)! Évidemment, voir une revue qui parle de BD s’arrêter ne me fait pas particulièrement plaisir mais du coup, je me suis posé la question de son contenu. Les deux gros morceaux de ce numéro sont une interview d’Alec Longstreth, Dash Shaw et Kazimir Strzepek, trois jeunes auteurs US indépendants qui sont peut-être intéressants (j’ai croisé leurs albums sans curiosité particulière) mais qui n’ont pas encore réalisé des choses incontournables, et une longue analyse de La maison close, l’expérience narrative de Rupert et Mulot par Julie Delporte. Je n’ai jamais parlé de Rupert et Mulot ici pour la simple et bonne réponse que la lecture de leurs histoires ne me fait pas un effet extraordinaire. Je ne nie pas l’intérêt mais mon plaisir de lecteur est très limité. De plus, les cases extraites de cette aventure graphique (des auteurs de BD invités dans un décor de maison close à se mettre en scéne via leur avatar dessiné) paraissent d’un vide assez abyssal. On se retrouve avec un long discours qui traite du concept sans s’intéresser au résultat proprement dit. Plus intéressant ‑à mes yeux chafouins- plusieurs planches de Bsk qui compare son travail réalisé autour de la ville d’Hyères avec des albums ”commerciaux” à vocation touristique consacré à cette même cité. Les réactions des gens qu’ils croisent renvoient à Mahler et ses problèmes de définition de la BD. On peut lire aussi David Turgeon qui passe avec bonheur de Jean-Christophe Menu aux Petits Hommes et au Scrameustache puis à la symbolique des yeux fixes dans la BD franco-belge (je regrette qu’il ne soit pas allé jusqu’à la famille Illico où les personnages ont tous des regards ”vides” et le commentaire fait par Kurtzman dans une histoire de Little Anny Fanny). Ce texte correspond plus à mes attentes de réflexion sur la BD : une mise en perspective historique qui prend en compte aussi bien l’héritage franco-belge que l’impact de la BD jeunesse. Turgeon réfléchit sur l’intérêt réel des Petits Hommes (aussi bien graphique que scénaristique) et mine de rien, ça permet de concrétiser une espèce de débat jamais évoqué frontalement sur l’héritage de Franquin. Je suis moins convaincu par son avis sur les premières aventures du Scrameustache qui me paraissent plus intéressantes que ce qu’il en dit. L’irruption d’un personnage animalier quasi ”surhumain” confronté à un ado curieux et dépassé par ses actes m’avait fasciné dans mon adolescence. Le comparatif avec le dessin de Peyo ne me parait pas non plus aussi pertinent (mais bon, faut lire le texte pour comprendre ce que je tape ici).
Pour revenir à la revue, on pourra quand même se poser la question d’un discours de la BD qui semble s’affranchir des 9/10° de l’ensemble de la production actuelle pour se focaliser sur une petite scène indépendante ou alors ne parler de la production franco-belge qu’en valeur historique. Le problème des revues généralistes de BD c’est qu’elles mettent au même niveau le dernier Uderzo avec le nouveau Blutch, mélangent albums d’auteurs et productions commerciales sans souligner la distinction. Il manque une revue qui, comme les Cahiers du Cinéma me semble-t-il, parle de TOUTE la BD actuelle en dégageant les auteurs importants (même de mauvaise foi ou de manière insupportable, ce n’est pas grave). C’est la critique principale que je ferai à Comix Club en me demandant si ça n’explique pas l’ ”échec financier” ou plutôt le peu de public prêt à investir de l’argent dans ce genre de revue. D’un autre côté, le concept de commentaire de la BD en BD me parait riche en possibilités (cf. les planches de Bourguignon) et on peut espérer d’autres aventures plus heureuses.
Pour terminer en beauté, Big Ben m’a très gentiment invité à participer à ce dernier numéro. C’est (paradoxalement ?) un grand honneur qu’il m’a fait puisque mon travail est très éloigné de la BD défendue dans la revue. J’imagine qu’il ne lui a pas été facile de m’imposer et je le remercie d’autant plus. Je vous mets juste un extrait des deux planches publiées pour motiver d’éventuels achats :-).
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Bel extrait;coté revues,il me semble que le (feu-feu)BANANAS d’Evariste Blanchet avait belle allure.Je crois que notre-nos-générations(mais je ne parle peut etre que pour moi..?)ne se remettra jamais vraiment de la fin du support papier,de l’idée de la revue.La dite revue qu’on lit,re,re-lit,qu’on empile comme un imbécile.La revue dont on attend le n°suivant avec ce m^me petit bonheur candide depuis l’enfance.La BD vue par la presse gratuite est désepérante,vue par CASEMATE,elle reste trop étroite mais vivante…Et c’est peut etre déjà ça.Et puis moi aussi je l’aimais ce Scrameustache.Voir un auteur qui n’a jamais pris son jeune public pour un flot d’incultes et de naifs me plait bien.De Peyo,il a gardé le bonheur de raconter une histoire et ne faire aucune économie de l’imagination.Pas mal.
quand j’étais jeune le scrameustache ne me faisait ni chaud ni froid, j’étais plutôt petits hommes, c’est pourquoi j’insiste plutôt là-dessus. mais tu as sans doute raison, ce que je dis sur gos est assez sommaire. et bien vu pour les yeux vides de mcmanus (on pourrait ajouter ceux d’harold gray) même s’ils ont une fonction toute différente de ceux de franquin et compagnie.
par contre, lorsque tu évoques l’héritage de franquin, je peux te dire que c’était bien évidemment l’une des raisons qui m’a fait écrire mon texte.
sinon, je ne te suis pas du tout sur ton évaluation de la proportion de la bande dessinée « actuelle » non traitée par comix club : je pense que ton évaluation est très exagérée (ou simplement provocatrice). il me semble que cette proportion est loin de cette extrémité, et ce malgré le fait que tout le monde fait ça bénévolement alors forcément, chacun parle de ce dont il veut bien parler (dans comix club ça signifie surtout pas mal d’articles sur la jeune garde américaine).
cela dit, aux états-unis il y a pas mal de critiques qui réussissent à avoir un discours élaboré et intelligent sur les comic books ou les comics, autant que pour le « graphic novel » ou l’indépendant, voir par exemple le comics journal qui est particulièrement œcuménique. ici le neuvième art a essayé de tendre vers cet idéal mais il me semble que les critiques de talent manquent à l’appel. en francophonie, pour parler bande dessinée populaire, je ne vois pas grand-monde, sauf sous l’aspect historique, comme tu dis (ce que notre ami raymond faisait excellemment, dommage qu’il n’ait rien écrit depuis longtemps d’ailleurs).
Je n’ai pas croisé le Bananas…
@david t : oui oui, je suis d’accord avec toi, les critiques jeunes parlent de ce qui les intéresse (et donc des indés ici) et ça manque de réflexion sur l’ensemble (par exemple, je suis effaré du manque de discours sur la production Soleil alors que les critiques ciné les plus pointues traitent du dernier Spiderman ou Hellboy sans broncher) (je ne parle pas ici de Comix mais de la critique en général). Après, pour les chiffres, il faudrait un type qui s’y connait, pas comme moi :-)
Eh ben, voilà t’y pas que je suis d’accord avec tout ce que raconte notre ami Li-An, et sans avoir eu en main ce dernier numéro de Comix Club. Belle prouesse, non ?
Le comix club ne s’arrête pas vraiment pour des questions commerciales de rentabilité, puisqu’on avait réussi un bel équilibre financier basé sur une économie de moyens, il s’agit surtout d’une sorte de lassitude, ainsi que l’envie chez Groinge de se consacrer exclusivement à l’édition de bande dessinée. Au départ, l’idée était que les auteurs prennent la parole, et ça a plutôt bien marché de ce côté là, mais on se retrouve toujours avec une certaine insatisfaction de ne pouvoir mener les choses en profondeur par manque de temps. Si on s’arrête donc, c’est aussi pour prendre un peu de recul et envisager une suite quand l’envie sera plus forte.
Ceci dit, on n’a jamais eu de prétention à l’exhaustivité dans le Comix Club, au contraire même, on a toujours cherché à défendre la petite édition, et donc forcément on s’est efforcé de parler de ceux dont on ne parle pas habituellement, soit parce qu’ils ne sont pas dans l’actualité, soit parce qu’ils sont trop discrets. C’est sûrement anti-commercial, mais ça nous donnait une bonne raison d’exister. Mais je partage tes regrets sur l’absence d’une revue d’étude et d’opinion plus large, type les cahiers du cinéma. Ca a existé à la fin des années 80 avec les cahiers de la bande dessinée période Groensteen qui revendiquaient la filiation et voulaient construire une critique large et orientée, pour offrir une vision globale et exigente de la bande dessinée. Ca manque beaucoup, c’est sûr, et on voit ici que la bande dessinée n’est pas vraiment encore l’art mûr et reconnu qu’on veut bien nous décrire car quand il s’agit de l’étudier, d’y réfléchir, ça reste encore à l’initiative de quelques volontés individuelles et isolées. Pas d’éditeur qui ne s’y colle mis à part quelques indés comme nous, l’Asso, ou encore récemment Mécanique Générale. Qu’aucun éditeur dit ”commercial” ne s’y colle, c’est tout simplement ahurissant (je rappelle que les cahiers de la bande dessinée, c’était Glénat, qui pendant une ‑courte- période, a laissé quartier libre à l’équipe rédactionnelle). Je suis peut-etre un doux rêveur, mais il me semble qu’un ”gros” éditeur aurait tout à gagner dans un tel projet : ça ne coûte pas excessivement cher pour peu qu’on ne fasse pas dans la mégalomanie (et qu’on évite les kiosques), et cela peut entraîner de surprenantes et bénéfiques aventures pour peu qu’on laisse la liberté aux auteurs et aux critiques.
C’est une branche essentielle de tout art, cette capacité de construire un discours, une réflexion sur sa pratique, cela exprime la volonté d’exprimer une conscience de soi. La bande dessinée a cette particularité d’exprimer une conscience de soi parfaitement épisodique.
C’est ”A suivre” à tous les étages. A bientôt, donc !
Merci pour ces précisions éclairantes. Évidemment, je ne peux pas vous reprocher vos choix puisque je ne fais pas partie de l’équipe, c’était juste mes envies à moi que j’exprimais :-) Je pense que l’absence de critiques vient du fait que les gens mentalement orientés vers ce genre de choses s’orientent plus facilement vers la littérature (après tout un critique écrit) ou le cinéma (difficulté de la réalisation, mythologie des acteurs et du metteur en scène, argent…) que vers la BD qui demande une acrobatie compliquée : il faut pouvoir commenter un scénario, une narration et un dessin. Souvent le troisième point pose problème…
@Guillaume : belle prouesse pour qui :-)
@Big Ben : Ah d’accord. Je me disais aussi : ”Mais pourquoi ils font pas plutôt un ”Spécial Tibet” ?”.
Ils ne veulent pas fâcher les Chinois.
:-)
J’aime bien l’article wikipedia à propos des Cahiers de la bande dessinée, justement :
”En 1988, Groensteen commence à ressentir une certaine lassitude, d’autant que ses relations avec Jacques Glénat atteignent un degré de tension insupportable[2]. Ainsi, lors du Festival de Sierre, l’éditeur lui hurle en public : « Le travail que vous faites est nuisible à la profession ! ».
Ce qui est sûr, c’est que ça ne viendra pas des éditeurs… et c’est peut-être tant mieux ? Les cahiers du cinéma étaient une initiative de cinéphiles avant tout.
Oui, il y avait probablement un mélange de genres qui ne pouvait pas durer très longtemps.