Stefan Wul est probablement le romancier français SF le mieux loti en ce qui concerne les adaptations de son oeuvre. René Laloux a adapté Oms en série (La planète sauvage) où les dessins de Topor apportent une ambiance incroyable – même si je n’ai toujours pas eu l’occasion de voir le film – et L’orphelin de Perdide s’est transformé en Les Maîtres du Temps avec Moebius à la direction artistique. Ces adaptations ont permis à Wul de toucher un public toujours renouvelé mais je ne m’attendais pas à ce que Delcourt publie… oups, ce n’est pas Delcourt mais Ankama. Mais y’a de quoi se tromper : graphisme clair, format, pagination, concept, auteurs… Dirigée par Comix Buro, qui publie des carnets de croquis d’habitude, la collection Les Univers de Stefan Wul annonce quatre romans adaptés. Oms en série, Niourk, Piège sur Zarkass et La peur géante. Les premiers tomes des deux premières séries sont sortis simultanément.
J’avais entendu parler du concept il y a quelques temps et j’avais été assez intrigué. Star Wars a, à mon sens, plombé l’imaginaire SF et voir des auteurs reprendre un univers pré Lucas et français en plus avait de quoi surprendre. Le résultat est curieux : les dessinateurs convoqués ont un graphisme absolument pas rétro et jouent pour le moment la carte de la ligne claire réaliste post-comics, avec d’ailleurs un dessinateur États-Unien, Mike Hawtorne. Les maquettes sont soignées avec un effet ”album vieilli” – dommage que l’idée n’ait pas été poussée au bout car toutes les couvertures sont identiques dans leur ”vieillissement” – les pages de garde sont dessinées par Manchu et la quatrième de couverture par Parel – éh oui, les dessinateurs d’aujourd’hui sont tellement fainéants qu’ils ne peuvent pas tout faire :-). À la fin de l’album, on a droit à un mini tract publicitaire pour présenter la collection.
Niourk par Olivier Vatine
Olivier Vatine s’est attaqué tout seul à Niourk, scénario et dessin. Sur une Terre ravagée survit une tribu humaine revenue à l’Âge de Pierre et un jeune garçon noir de peau rejeté. Suite à la mort du sorcier, le gamin prend sur lui de lui succéder pendant que la tribu, fuyant la famine et les incendies entrent dans un territoire où sévissent des créatures mutantes qui chassent tout ce qu’elles voient.
Je ne vais rien dire sur le dessin, les fans de Vatine adoreront le design des bestioles et le découpage, les autres ne changeront pas d’avis. Du point de vue scénario, c’est plus tendu. À mon avis, Vatine s’est fait piéger par la narration en voix off. Il faut dire que les membres de la tribu s’expriment de manière assez primaire et qu’il n’y a pas d’interaction réelle entre les personnages – le gamin et de la tribu sont séparés dans ce premier tome. Du coup, l’émotion ne passe pas facilement. Et je regrette fortement que la scène clef où le gamin choisit d’hériter de la charge de sorcier soit carrément expurgée (il lui bouffe la cervelle et lui découpe une vertèbre … en théorie). C’était la scène qui explicitait la violence de l’univers et Vatine a choisi de la zapper complètement pour se concentrer sur la lutte contre les horribles bestioles, bien plus hollywoodienne. Dommage.
Oms en série par Morvan & Hawthorne
Alors que j’étais parti pour n’acheter que le Vatine, j’ai fini par me laisser tenter par l’adaptation de Jean-David Morvan et Mike Hawthorne de Oms en série.
Les Humains servent d’animaux de compagnie à une race extra-terrestre géante – et bleue. Un des hommes, plus intelligent que la moyenne, s’évade quand il comprend qu’on va lui interdire de continuer à s’instruire et rejoint d’autres humains qui ont suivi le même chemin et qu’il va fédérer.
Morvan a eu la grande intelligence de prendre le contre pied du film d’animation de Laloux. Alors que dans La planète sauvage, on découvrait une société ET tribale, ici les ET sont très évolués et vivent dans un monde ultra-civilisé. À part quelques dialogues qui me rendent fou – j’avais le même problème sur Tschaï :-) – l’histoire se lit avec beaucoup de plaisir. Surtout que le dessin de Hawthorne est vraiment intéressant. En jouant sur des décors presque abstraits, aux couleurs sourdes, et des personnages épurés dans le muscle, il nous fait toucher l’étrangeté de l’univers. Les humains paraissent presque ternes à côté des grands bonhommes bleus. Il y a de fortes chances que j’achète la suite de la série pour savoir comment tout ça va finir.
Petite remarque de conclusion : les deux histoires sont basées sur des thématiques très proches. On a affaire à un jeune garçon rejeté qui doit s’imposer par son son intelligence auprès de gros musclés moins finauds.
Je crois pas me souvenir que les ET de la planète sauvage étaient moins évolués… Des scènes montrent qu’ils ont une organisation politique et scientifique complexe… Je ne pense pas que l’histoire fonctionnerait s’il n’y avait pas ce décalage entre les humains et les extraterrestres.
@jérôme : ah ben voilà, quand on n’a pas vu le dessin animé, on dit des bêtises. Bon, je vais corriger le billet.
Je pense que Laloux avait voulu suggérer, en prenant le contre-pied de ce qui se faisait en SF à l’époque (pas d’écrans de contrôle pleins de loupiotes qui clignotent, etc), que les ET de Stefan Wul avaient une technologie tellement évoluée qu’elle était ”indiscernable de la magie” (ceci, avant même que l’axiome ait été formulé); en plus de renforcer l’ambiance onirique de l’histoire, ça justifiait que les bidules extraterrestres fonctionnent de façon assez intuitive pour que les oms puissent s’en servir.
@Tororo : bon, il faut alors que je lise aussi le roman :-)
A noter qu’un certain nombre des romans de Wul seront également prochainement réédités chez Bragelonne… ;)
@Lorhkan : ah, vaut mieux les choper en occase :-)
@Li-An : Ah ben oui, en occase on a droit à des couvertures de Brantonne en prime ^___^
@Tororo : on pouvait voir les couv à St Malo dans une expo plus ou moins consacrée à la collec.
Je veux bien croire que l’adaptation d’Oms en Série prenne le contrepied du film de Laloux – cependant le character design semble en être directement inspiré non ? A moins que cela corresponde à une description très précise des personnages dans le roman (que je n’ai pas lu, peu friand de SF)
@Arnaud : je pense qu’ils sont assez bien décrits dans le bouquin et ça explique qu’ils soient bleus avec de grands yeux etc…
@Arnaud : Une interview de Vatine à propos de la collection : http://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=ZWs5b3Xe1b4
(on y apprend que Mike Hawthorne est fan de ”La planète sauvage”, ceci expliquant cela)
@jérôme : merci pour le lien, Jérôme. Il semblerait que c’est Buchet qui était pressenti pour ce titre mais il n’avait pas le temps…
Les loustics de L’agence tous geeks (qu’on avait déjà signalée pour leur interview de Moebius il y a quelque temps) viennent de publier un nouveau podcast consacré à Wul et aux adaptations d’ankama (mais surtout à l’oeuvre de Wul), avec Vatine en invité, notamment : http://www.agencetousgeeks.com/2012/11/mission-32/
@jérôme : merci pour l’info, Jérôme !
Je viens de lire le tome1 de Piège sur Zarkass. Je ne connaissais pas le dessin de Cassegrain. On dirait un croisement entre Loisel (les aliens, les décors) et Prado (les silhouettes, les déformations des postures, le mouvement). Peut être un petit peu trop ”joli” pour moi, mais ça marche bien.
Le scénario (je n’ai pas lu le bouquin) tire un peu en longueur. C’est de l’exploration/voyage avec exposition de la problématique (mais pas trop). Un peu léger au bout du compte.
@Olivier R : Cassegrain avait fait sensation avec son premier album Delcourt d’histoire de pirates SF/filles sexy. Il travaille pas mal pour l’animation. J’avoue que l’évolution de son dessin m’a un peu déçu.