Faut il parler d’albums dont on n’est pas entièrement convaincu ? Surtout quand ce sont de jeunes blanc bec qui pissent du lait quand on leur tord le nez ? ”Non” fait la foule compatissante. Mais s’ils s’autodésignent comme les plus Grands et les Meilleurs ? ”Ouiiii” fait la foule hilare.
Il y a quand même de bonnes raisons de parler de cet album. Déjà, c’est le premier album BD Ankama que j’achète malgré les nombreuses remarques du fiston qui aurait bien aimé me voir acquérir Mutafukaz. Mes feuilletages divers me laissaient penser que c’était surtout du délire de jeunes dessinateurs qui recyclaient avec énergie leurs inspirations (c’est à dire l’histoire de l’Art Populaire à partir de leurs 11 ans, ce qui nous mets grosso modo à 1990). Doggybags ressemble de loin à une compilation de trois comics. Sa préface signée Run évoque les titres EC des années 50 (Tales of the Crypt et co). C’est donc un hommage et un héritage à un genre US auxquels se frottent la collection avec une maquette hyperréférencée (lettrage, tampons, marques et vieillissement simulé). C’est en fait le premier reproche que je lui ferai : comme le précise Run, il y a d’autres BD pour adultes populaires qui se sont vendues par wagons en France dans les années 70 mais il semblerait que personne ne s’y intéresse plus. Va donc pour un genre complètement inédit par chez nous excepté quelques recueils Humanos, et des histoires courtes par-ci par-là publiés chez Icare ou L’Écho des Savanes.
Bien évidemment, ce qui plane sur le projet, c’est l’influence méphitique de Tarantino et notamment de son Grindhouse/Boulevard du crime dont on se rappellera la pellicule faussement vieillie : Amerikana à la violence gratuite portée aux nues. Mais Tarantino s’en tire par son énorme culture visuelle et un talent indéniable de metteur en scène et de directeur d’acteurs. Est-ce que les petits gars de DoggyBags font aussi bien ?
La première histoire signée Singelin n’en est pas vraiment une. Une jeune fille fuit un gang de motards loup-garous. Point. Quel est l’intérêt de la lycanthropie dans l’histoire ? Aucune, ça aurait été des motards à tête de canard, ça aurait été pareil. Ça roule vite, ça canarde et voilà. Il y a un parfum rock and roll et un véritable cours sur le blouson des Hell’s Angels à la mode ancienne qui valent le détour (à part ça, il dessine très bien, ça pulse dans le genre coups de feu qui soulèvent des nuages de fumée à l’impact sur les voitures).
La deuxième histoire ( Maudoux ) fait beaucoup penser à la série de films Baby Cart tirée du manga LoneWolf and Cub. Masiko, une super tueuse qui a son bébé à gérer, est attaquée par la bande de la Duchesse. Elle recueille un tueur éperdument amoureux d’elle qui décide d’aller liquider tout seul comme un grand la bande ennemie. Il meurt. Masiko dégomme tout le monde. J’avoue que j’ai accroché au combat final qui sombre dans un fantastique assez surprenant. Fiche technique : les couteaux de jets.
Finalement, la dernière histoire de Run est celle qui respecte le mieux l’esprit EC. Il faut se rappeler que ces histoires vraiment très gore faisaient un contrepoint étonnant à une Amérique des années 50 où tout était lisse et doré et annoncent la contre culture des années 70. Dans mes souvenirs, elles mettent en scène des personnages assez moyens affrontant ou déclenchant des évènements horrifiques. Les deux premières histoires oublient complètement ce côté ”homme de la rue” et du coup penchent plus vers le comics classique où la violence est très stylisée et sans réelle conséquences sur les protagonistes qui sont des acteurs. Run raconte la confrontation d’un policier et d’un braqueur sadique en plein désert. Les deux personnages prennent de l’épaisseur en quelques pages, le décor est parfaitement utilisé et l’humour noir qui justifiait l’intérêt de la collection EC fonctionne à plein. Il est aussi le seul à assumer le slogan ”100 % de violence graphique” avec des scènes vraiment gore. Son histoire justifie à elle seule l’achat de l’album au final.
Au bout du comptet, mon grand regret c’est de me retrouver encore devant un concept qui louche vers les comics et manga. Pour ce qui est de la violence graphique, la BD européenne a montré qu’elle était capable de faire des choses (Druillet, Liberatore, Caro…) et c’est un peu dommage de ne pas ouvrir le champ d’expérimentation…
remarque ironique : je sais bien que les textes sont ”second degré” mais si j’ai appris une chose avec les artistes, c’est que lorsque l’on dit qu’ils sont géniaux, ils finissent par le penser… Et en règle générale, c’est beaucoup moins drôle à ce moment là…
Et binh , ta plume est plus qu’acérée en ce moment , ça charcute sec ! :))
J’aime bien ta remarque ironique qui vaut bien pour toutes les disciplines de la création .
Perso , je suis pas d’accord pour érigé Tarantino aussi haut , ces derniers trucs étant plutot creux je trouve …Mais bon , il faut bien occuper les yeux pendant que la bouche grignote des pop corns :-)
Moi j’ai beaucoup aimé le dernier Tarantino !-)
Encore une preuve de l’influence du programme grindhouse de Tarantino ;
http://www.label619.com/fr/interstitial/label-619/doggybags
C’est bien foutu…
En tout cas j’aime beaucoup cette volonté de faire ”populaire”, (j’ai de la sympathie pour les tambouilles culturelles!) en tout cas pour Maudeoux,avec qui j’ai pus aborder le sujet en séance de dédicaces, tellement populaire d’ailleurs que certaines références sont incompréhensibles (bien que pas essentielles) si on est pas un habitué de Nanarland…
Un dernier mot pour transmettre toute mon admiration et ma reconnaissance au maitre des lieux qui distille et répand le bon goût avec générosité ! (j’en fais pas trop?)
Mais non, mais non, c’est juste ce qu’il faut. Et merci pour ce premier commentaire, Guy :-). Mais je ne peux pas me demander si on est réellement dans une culture populaire ou dans une contre culture référencée. La culture populaire c’est quand même Astérix et Largo Winch :-)
Oui, sans aucun doute plus contre-culture, autant pour moi, j’oublie parfois que la contre-culture est ma culture…
Hum, peut-on parler de contre-culture pour les Tarantino et consorts désormais ? :-)
Il n’y a pas de Tarantino et consorts. Je ne vois que Tarantino dans son genre et en fait même si son cinéma est très référencé, il est aussi d’une certaine manière très éloigné des genres qu’il affectionne et c’est pour cela qu’il est devenu réellement mainstream.
Il y a de chouettes choses dans ce bouquin !
Je vois que ton tour en librairie t’a profité.
Bonjour Li-an.
Je tiens tout d’abord à féliciter ton courage (en toute sincérité). Car chroniquer des BD lorsqu’on est sois-même auteur, c’est un sport périlleux et difficile auquel je n’ose pas encore m’adonner.
Je dois confesser que tu as raison sur le fait que j’ai tendance à faire l’amalgame entre culture-populaire et contre-culture. Mais comme me le reproche ma compagne, j’ai tendance à croire que tout le monde est dans ma tête pour me comprendre…
Par contre, je me vois obligé de réagir par rapport à ce que tu écris à la fin de ton billet.
Dans ton mode ironique tu te demandes si nous prenons la grosse tête.
Pour avoir bossé avec lui, je suis en position de démentir pour le cas de Run (Singelin est un être secret dont il reste difficile de percer les motivations). Concernant Run, je crois que je n’ai jamais vu quelqu’un douter autant de son talent tout en étant capable d’avancer dans la vie et le boulot (j’en connais d’autres qui doutent mais ça les a castré pour de bon).
Pour ce qui est de ma tête ou de mes chevilles. Même si ces textes qui expliquent nos carrières respectives sont du second degré pur et dur écrit par le plus humble d’entre nous (Run en l’occurrence). Je trouve que de temps en temps c’est vachement bon de s’y croire.
Explications : je suis à un âge transitoire (la trentaine) où il est bon de savoir tirer parti de sa part d’adolescence pour l’insuffler dans son boulot. Si on n’y crois pas un peu, alors à quoi bon ?
Après je suis d’accord avec toi, il faut connaître ses gammes et les bonnes intentions ne suffisent pas à faire une bonne BD.
Attention cependant à ne pas tomber dans le cynisme par excès de fausse modestie. L’innocence serait un peu comme une plante fragile qui se cultiverait avec amour :) Enfin ce n’est que mon avis.
F.
Merci déjà pour ce long commentaire :-) Attention ! Je n’ai pas dit que vous aviez déjà la grosse tête ! Je m’inquiétais juste pour la suite :-) Je comprends le plaisir à rouler des mécaniques pour faire ”comme si”. C’est juste qu’une partie du public a du mal à voir le second degré et, quelque fois, ça tourne en eau de boudin.
Quant à mon supposé ”courage”, ce n’est que de l’inconscience mâtinée de grande gueule et encouragée par le fait que je ne sors jamais de chez moi.