Déjima, c’est le port d’entrée des Européens au Japon. Ou plutôt le cul de sac car en 1784 les Occidentaux ne peuvent pas entrer sur le territoire nippon sur ordre du Shogun. C’est pourtant le rêve de Thierry de Hasselt, un jeune homme hollandais exalté issu de bonne famille qui pense trouver la sérénité dans un monastère bouddhiste pour échapper à la violence qui envahit son propre pays. Son rêve d’exotisme et de culture nippone va se prendre en pleines dents le mur de la réalité.
Voilà un album qui m’aura intrigué quelques semaines par son graphisme et son univers mais aucun de mes contacts habituels ne l’avait lu et j’hésitais à investir. Et pourtant…
Michele Foletti a un dessin remarquable tout en vigueur et énergie. Les personnages sont tordus, grimaçants et très marquants. Il y a un investissement personnel frappant : Foletti ne cherche pas à faire joli, il tente vraiment de faire passer des émotions dans ses personnages et le côté quelque fois un peu bancal de la composition ou du dessin (c’est son premier album) est largement compensé par cette générosité. Les couleurs sont dans la même logique. On voit que les estampes japonaises de l’époque ont influencé les choix chromatiques et certains effets mais le côté Photoshop ajoute à l’électrisation des personnages.
Côté scénario, Nicolas Wouters prend à rebrousse poil la vision fantasmé du Japon propre aux geeks de tous pays. Notre héros débarque dans un pays tout aussi violent que celui qu’il a quitté où on ne veut pas de lui. Son désarroi va être accentué par une rencontre improbable : Kiba, ronin fou, le choisit comme maître et le précipite dans une folle course parsemée de violences qui aura l’avantage de lui permettre d’avancer vers son but.
Il y a un joli travail de recherche historique et, comme Thierry, le lecteur est bousculé et embarqué.
Franchement, c’est une des plus belles surprises de lecture depuis bien longtemps. De vrais personnages prenants et un peu débiles, un graphisme qui sert à merveille la violence d’un récit surprenant de bout en bout, sans manichéisme. Ça va être mon cadeau de Noël cette année.
Remarque : il y a une couille d’édition, deux pages ont été inversées. De manière inattendue, l’éditeur, alerté par les lecteurs et libraires, a décidé de laisser les albums tels quels. C’est un peu dommage.
L’âge d’or (Pedrosa & Moreil – Dupuis)
Assez curieusement, Les égarés de Déjima m’a fait penser à l’événement de la rentrée, L’âge d’or de Cyril Pedrosa et Roxanne Moreil. J’ai hésité à en parler parce que j’ai été globalement déçu et je ne vais pas développer ici.
Mais dans les deux albums, le lecteur est invité à se plonger dans un univers exotique (Moyen Âge fantasmé et Japon historique) où l’ordre social est violemment contesté et où la paix (précaire) réside dans une petite communauté isolée. J’ignore si c’est un effet ZAD mais les échos entre les deux histoires m’ont frappé.