Imaginez une caméra posée à un endroit lambda du Nord Est des États-Unis. Une caméra qui enregistrerait de manière ponctuelle depuis que la Terre est Terre. Et dont la majorité des enregistrements aurait lieu à un moment de l’Histoire où l’emplacement en question correspond au salon d’une maison.
Ici est un objet intrigant et hybride réalisé par l’auteur états-unien Richard McGuire qui a suscité de nombreux commentaires – enfin, dans un cercle médiatique précis. On peut parler de BD puisque c’est entièrement dessiné, qu’il y a des séquences narratives et même des onomatopées voire des phylactères. Mais il faut aussi reconnaître qu’on est en plein dans de la BD expérimentale puisque les séquences sont mélangées suivant un ordre qui peut paraître aléatoire aux yeux du profane moqueur – et qui, de manière un peu étrange – m’ont rappelé les narrations éclatées de certains comics des années 80/90 donc ceux de Bill Sienkiewicz.
Chaque double page représente donc le salon – à quelques exceptions près – toujours cadré de la même manière à différentes époques (jusque dans notre futur) où évolue les habitants de la maison (à différents âges et différents moments) et dans lequel est incrusté des cases issues d’autres époques qui font écho – ou pas – à ce qui est montré.
Ce qui est réussi : l’ensemble du livre repose sur le cadrage et la présentation du salon. Réalisées à l’ordinateur, ces images ont une netteté froide épaulées par des couleurs qui sont le nœud central de l’affaire puisqu’elles sont l’indice le plus visible des changements d’époque. L’ensemble fait un kaléidoscope dans lequel on se perd, se raccrochant à des bribes narratives et des actions fugaces de personnages anonymes.
Ce qui est moins réussi : les personnages et une partie du décor – avant que le salon soit construit, on voit le décor extérieur dont une maison où vit/a vécu Benjamin Franklin – sont réalisés en différentes techniques dont le crayon et, le moins que l’on puisse dire, c’est que McGuire n’est pas un grand dessinateur. Les images les plus convaincantes sont visiblement repompées sans virtuosité de photographies, ce qui accentue l’effet de collage ”arty”. Celles qui ne sont pas recopiées sont quelque fois maladroites.
Au final, on obtient un ouvrage qui suscitera les mêmes réactions que pour tout ouvrage où le concept est plus marquant que la narration. Certains vont crier au génie et prendre leur pied, heureux d’explorer de nouveaux territoires, avides de sensations nouvelles. D’autres vont vite perdre pied, peu convaincus par l’éclatement des séquences, le refus de narration et de personnages et une forme pas toujours réussies.
Personnellement, je pense que l’objet est intéressant à découvrir. Il nécessite probablement plusieurs lectures pour déceler les fils décidés par McGuire mais encore faut-il avoir le courage d’aller au bout – ce qui n’est pas très compliqué, ça se ”lit” aussi vite qu’un livre de photographies. L’utilisation de la couleur et du plan fixe est vraiment réussie et justifie le projet. Mais, franchement, je suis content qu’on me l’ait offert plutôt que de l’avoir acheté. L’absence totale d’enjeux émotionnels et humains en font un livre très froid à mes yeux.
Expérimental,je sais pas.Il me semble qu’il use de procédés déjà éprouvés.Mais dans sa mise en place de ces éléments,il propose surtout un beau livre;c’est déjà beaucoup.
Et puis l’on sent qu’il faudra y revenir…(Tardi avait proposé un projet en ce sens;mais le livre en question,il y a 20 ans,était surtout un catalogue rassemblant ses toiles)
Dans la forme, ce n’est pas nouveau mais dans le fond (les images collées correspondent à des dates différentes sans véritable lien narratif interne – ou de manière très ponctuelle), ça me parait nouveau.Mais en même temps, je ne fréquente pas ce genre de BD donc je ne peux pas vraiment parler du côté novateur de la chose.
A noter que McGuire poursuit là l’idée développée dans une histoire en 6 pages de 1989 : http://tumblr.austinkleon.com/post/105360385626
Je pense que le livre est décevant si on cherche un sens précis aux enchaînements et correspondances mais qu’il est plus intéressant si on se laisse porter… Je vois ça comme un livre musical, il y a des plages où il ne se passe pas grand-chose mais qui préparent le terrain pour des points d’orgues etc. et, comme un disque qui permet aux pensées de naître et de se promener, le livre joue plus sur l’évocation (de souvenirs, de sensations) que sur l’implication directe, à mon sens.
Pour info, une conférence avec Blutch et McGuire à Angoulême où l’auteur explique son processus : https://www.youtube.com/watch?v=81Gce88Kyc0
Merci pour le lien même si je ne pense pas creuser plus loin. Je suis assez d’accord avec l’idée de rêverie musicale. C’est l’effet que ça m’a fait et c’est pour cela que j’ai parlé de livres de photographies que l’on survole aussi en se laissant porter par les images.