Préambule
Dans les lignes qui vont suivre, je vais m’exprimer doctement sur le scénario. Que le lecteur dubitatif ne ricane pas : ce n’est pas parce que j’ai un avis que je me considère comme un scénariste d’élite. Ce sont des réflexions venues à la lecture des différents albums et qui m’aideront peut-être à améliorer mes propres histoires futures. Que les auteurs me pardonnent, ils ont trimé dur et ça n’a pas marché.
C’est quand que ça commence ?
Le Infinity 8 de Trondheim et Vatine, j’en ai déjà parlé ici et là, d’abord excité comme une puce puis un peu chafouin.
Il semblerait que je n’étais pas le seul puisque lorsque j’en parle à des collègues ou à un libraire, ils me décrivent des ventes pas du tout à la hauteur du projet (c’est un euphémisme). Du coup, je vais passer ce billet à tenter de comprendre l’échec d’une série qui paraissait pourtant prometteuse sur le papier.
Des nichons pas bandants
Rue de Sèvres vend la série comme étant pop et pulp. Ça sonne bien mais qu’est-ce que ça recouvre ?
Dans Infinity 8, chaque épisode voit une femme flic bien gaulée se bagarrer avec des créatures moches et agressives. Zombies, nazis, extra terrestres nécrophages et j’en passe. C’est le côté pulp – mais oui, rappelez-vous, les couvertures des magazines US des années 1930/1940 avec des filles en tenue moulante confrontée à des aliens qui voulaient les tripoter. Sauf que ces couvertures ne faisaient pas les histoires (et quelque fois n’avaient pas beaucoup de rapport avec le contenu) et les histoires se révélaient souvent plus profondes que le décolleté de ces dames. Une bonne histoire nécessite des personnages attachants avec des enjeux excitants. Sauf que dans Infinity 8, les donzelles sont un peu passe partout avec leur plastique parfaite et les enjeux personnels sont rares (à part sauver le vaisseau et l’Humanité mais c’est pas très personnel comme objectif), à l’exception notable du Jour de l’Apocalypse. C’est probablement ce qui a planté la série dès l’entame : des personnages récurrents plus charismatiques avec des enjeux personnels forts auraient plus sûrement séduit le grand public. Sans compter que l’avenant physique des fliquesses n’est même pas exploité que ce soit d’un point de vue racoleur ou décalé.
Il y a un autre point qui m’a frustré. La SF quand elle se veut d’évasion/aventure/action, c’est du dépaysement. Ici, les lieux à visiter sont assez limités : le vaisseau et le cimetière de l’espace géant. Et aucun des deux n’est tout à fait mis en scène pour nous faire pousser des « Ohhh » et des « Ahhh ».
Le vaisseau est standard, sans exotisme renversant. Le cimetière, une fois passée la surprise de la découverte du premier tome, se révèle une boîte à surprise sans architecture narrative. Ça aurait pu faire une histoire énorme, un truc flippant à visiter, à découvrir petit à petit au fil des albums et on a un truc en vrac où les scénaristes font leur course.
Jusqu’au dernier (Killoffer & Trondheim)
Mon fiston pestait à chaque fois que je rapportais un tome à la maison et je n’ai pas vu passer le volume 7 signé Boulet et Trondheim. Par contre, j’attendais celui de Killoffer avec curiosité vu que son Donjon Monster était le plus beau de la série. Je vais donc en causer sans savoir ce qui s’est passé auparavant (visiblement on y apprend le pourquoi du cimetière).
Sur ce tome 8, le personnage principal n’est plus une fliquesse de l’espace bien moulée dans sa combinaison latex mais le lieutenant Reffo avec son bide de buveur de bière„ sa calvitie galopante et sa barbe de trois jours, piètre dragueur et faire valoir qui révèle sa vraie nature. Et il va se se retrouver à la tête de toutes les pin ups à flingue des épisodes précédents.
Je ne vais pas faire mon malin : Trondheim a eu un sacré boulot à convertir des histoires qui paraissaient indépendantes en un grand tout cohérent. Évidemment, pour bien tout comprendre, il vaut mieux avoir tout relu juste avant parce que les références sont importantes et partent dans tous les sens. C’est très malin et assez compliqué (surtout quand vous n’avez pas lu le tome 7 comme moi et je pense que certains des calculs du méchant me sont passés au dessus de la tête) et il vaut mieux s’accrocher. Mais, au final, c’est encore une histoire d’humanité à sauver, on ne va pas dire qu’on est super ébahi. Et, très ironiquement, on est confronté au manque de personnalité de nos bimbos puisque lorsqu’on les découvre toutes ensemble, prêtes à former une team de l’enfer, on plisse les yeux en se disant « alors c’est qui déjà celle-là, je crois que je la confonds avec l’autre, faut dire qu’avec leur uniforme, ça n’aide pas ».
Le lecteur impatient en a marre. « Et le dessin de Killoffer alors ? ». Éh bien je crois que c’est le meilleur de la série. Sa mise en scène au cordeau mets super en valeur le personnage un peu ridicule de Reffo et il assure sans problème sur les scènes spectaculaires, apportant pour le coup une vraie touche comics à cet album, un paradoxe étonnant et réjouissant. Ça me fait regretter de ne pas avoir acheté plus d’albums de lui. Il va falloir que j’étudie ça.
Ah, l’Humanité s’en tire au final (pas le journal, le genre humain).
Je l’avoue, je reste perplexe face à ma propre réaction à Infinity 8.
Chaque album, pris un par un, m’a un peu déçu, chaque fois pour une raison différente (dessin auquel je n’ai pas accroché, anecdote que j’ai trouvée trop mince, péripétie astucieuse mais trop délayée, format dans lequel le dessinateur ne se sentait visiblement pas à l’aise… ) et pourtant après le huitième album j’ai surtout envie de tirer mon chapeau à la bande d’olibrius qui se sont impliqués dans ce projet. Le scénario est finalement beaucoup plus malin qu’on ne pouvait l’imaginer au vu des premiers tomes, les dessinateurs ont tous fait de leur mieux avec ce qu’ils avaient, et je crois que ce qui a plombé le projet, ce n’est qu’un petit nombre de fausses bonnes idées que malheureusement une pléthore de vraies bonnes idées n’arrive pas à compenser.
Exemple de fausses bonnes idées plombantes : la simili-prépublication en fascicules (qui a dû indisposer dès le début un certain nombre de lecteurs potentiels), les contraintes uniformisantes de pagination et de découpage qui ont donné l’impression que certains épisodes étaient trop remplis et d’autres pas assez…
Pour les vraies bonnes idées je crois qu’on tomberait assez facilement d’accord : les raisons qui font que Le Jour de l’Apocalypse sort du lot, l’interaction entre les 2 personnages principaux dans les épisodes 6 et 7, l’homogénéité du 8…
Ah, tu as un avantage sur moi, tu as lu le tome 7. Le 8 est un vrai tour de force mais évidemment, c’est un peu tard pour briller : le public a déserté les travées.
Passée la surprise vaguement amusée du concept et des deux premiers tomes, je n’ai pas été emballé par la série. Le vernis science-fictif ne me semble qu’un prétexte pour dérouler des intrigues qui m’ont laissé indifférent (je ne peux pas en dire grand-chose de positif alors je prends tout sur moi), une série de grimaces qui m’ont laissé en plan, rantanplan.
J’ai même l’impression que le cimetière de vaisseaux spatiaux a été emprunté au film ”Chasseurs de Dragons” d’Arthur Qwak, au moins sur le plan graphique.
Killoffer a réalisé le meilleur des albums de la série Donjon Monsters ”Les profondeurs” avec Trondheim, en 2004. Il est très rare en bd, je crois qu’il bosse dans la pube.
Je ne peux pas dire mieux. Killoffer vit surtout de la pub en effet.
Je vous demande bien le pardon, monsieur Frodon, j’avions lu votre article en diagonale pour ne point me faire spolierationner quand je tomberai sur le dernier tome d’Infinity, et du coup j’ai redonné des infos déjà transmises par vous sur Killoffer, génie méconnu apparemment voué à le rester. Pour expliquer l’échec de la série, peut-être que Trondheim n’était pas le scénariste le plus légitime pour s’emparer du pulp, genre quand même assez éloigné de sa culture. Peut-être qu’il faut plus qu’affubler une technicienne de surface d’une boule afro pour déplacer les foules. Peut-être que le tarabiscotage finit par difficilement masquer le manque d’inspiration. Peut-être que moi qui me prétends si malin et tout imbibé de SF, je pourrais m’y coller pour voir si c’est facile d’accoucher d’une série adaptable sur Netflix par l’équipe de Love, Death and Robots.
Je vous laisse, je vais aller sacrifier l’agneau pascal en pénitence de mon outrecuidance, il va prendre cher, j’envisage de céder les droits à Corben.
Plus je fais d’efforts pour apporter de l’inédit, plus je bégaye. C’est les copier/coller qui se passent pas très bien à l’intétérieurieur du blobloc tétexte.
Tant pipis.
On est pulp ou on ne l’est pas.
Au temps pour ma hidden track.
http://jesuisunetombe.blogspot.com/2018/11/panos-cosmatos-mandy-2018.html
Pour avoir discuté un peu SF avec M. Trondheim, il a un côté pulp car très amateur d’une SF ironique genre Frederic Brown ou Sheckley. Mais ce n’était peut-être pas suffisant. À remarquer qu’il a écrit une autre série pulp/comics avec Vince au dessin : Density. Je n’ai pas acheté parce qu’il faut que j’avoue que je suis toujours un peu déçu du travail de Trondheim quand il écrit pour les autres.
Arrête, tu me donnes envie de relire « les univers de Robert Sheckley » illustré par Moebius et paru chez Opta pendant les 30 glorieuses de la SF, et qu’on trouve autour de 40 euros chez les cyber-bouquinistes. Mais Sheckley est un vrai moraliste, là où Trondheim ne fait que jouer avec les codes de la littérature de genre sans s’y abandonner vraiment. Et comme dialoguiste, je le préfère largement quand il adapte « La Mouche » de Cronenberg en BD !
Ce coup-ci, je me tais, je suis las de médire.
C’est vrai que sa version de la Mouche est bavarde :-) J’ai adoré cet Univers de Sheckley dans ma jeunesse…
J’ai pas non plus tout compris au lancement de la série, lancé en fanfare dans le sillage de ”Lastman”, avec des partenariats en veux-tu en voilà qui au final n’ont pas l’air de s’être matérialisés (voir ici : http://www.9emeart.fr/post/evenement/franco-belge/rue-de-sevres-comixburo-et-9emeart-s-associent-autour-d-infinity‑8 – 5013 )
Comme quoi on peut se planter à plusieurs.