Attention ! Cet album comporte du lettrage informatique.
Il devient quelque peu difficile de faire de la BD d’imagination un peu élaborée dans un paysage éditorial qui vomit de l’adaptation littéraire ou du docuBD comme d’autres vomissent leurs litrons à la fête du vin de Bourgueuil. Le « conte pour adulte » semble être une approche futée : on n’est pas obligé de faire réaliste et on peut toucher un public littéraire — pour le public BD traditionnel, on se contentera d’une bonne rasade de Schtroumpfs ou de Blake et Mortimer.
Enfants au citron
La cuisine des Ogres a un peu le cul entre deux chaises. Il a les caractéristiques d’une BD jeunesse (une enfant comme héroïne) mais la cruauté de l’histoire peut viser un public plus large.
J’avoue que le mot « ogre » en BD me fait immédiatement penser à la fameuse série du regretté Hubert (chroniquée ici) et j’ai vaguement craint la redite. En fait, pas du tout, Vehlmann, au scénario, développe un univers inattendu en situant son histoire… en Savoie. J’ignore si c’est tiré d’un authentique conte local, mais on conseille aux enfants d’éviter une partie de la montagne toujours ennuagée/enfumée où les ogres feraient leur cuisine. Et keskimangent les ogres ? Des petits enfants.
Voilà donc Blanchette, gamine empotée en rupture de ban, enlevée par une terrible créature qui destine ses proies au marché des ogres. Notre héroïne découvre alors un univers peuplé de personnages fabuleux, tout un écosystème basé sur… la cuisine des ogres.
Omnivore
Dans notre société où le manger devient un enjeu politique, économique et écologique, pas étonnant que les ogres aient le vent en poupe. Voilà des personnes qui ne se contentent pas de salade au quinoa. « Je mange, donc j’existe », voilà leur credo. Avec un Andreae qui atteint sa vitesse de croisière côté dessin, Vehlmann s’amuse à décrire, jusque dans les détails les plus violents, le fonctionnement de la cuisine. On frise le gore dans le grotesque et c’est assez réjouissant. Les créatures qui vivent autour de cette cuisine sont tout aussi travaillées et l’univers tient merveilleusement la route.
On saluera la performance de Andreae qui reste inspiré et multiplie les scènes impressionnantes sur près de 80 pages – éh oui, on fait des BD comme avant mais à la pagination roman graphique de nos jours. J’ai vraiment eu beaucoup de plaisir à la lecture, Vehlmann démontre son efficacité et sort un récit très solide, avec de multiples personnages secondaires soigneusement imbriqués dans le récit. Ça m’a épaté.
On finira par une note amusée : l’éditeur n’hésite pas à imprimer en quatrième de couverture que c’est une « histoire complète ». On voit que les lecteurs n’aiment plus qu’on les prenne pour des jambons de nos jours – même si le sous-titre Trois-Fois-Morte laisse à penser que d’autres volumes sont prévus.
”C’est une histoire complète”…ce doit être l’équivalent de ”salle climatisée” pour les restaurants…par contre, on en a fini avec les autocollants ”par le scénariste(dessinateur)de…”
À part ça…il fut un temps où un auteur tenait absolument à affirmer, préciser d’emblée qu’il ne lisait pas la moindre bande dessinée…ton enthousiasme et ta curiosité dans un regard critique est d’autant plus appréciable.
En fait, j’en lis très peu, notamment parce que c’est cher à acheter – et les tendances éditoriales ne correspondent pas à mes goûts. Et il faut reconnaitre que faire des BD et en lire sont deux choses très différentes. Il y a des metteurs en scène de ciné qui ne doivent pas aller beaucoup en salle.
C’est un peu étonnant que je m’achète autant de BD sur une période aussi courte.
C’est surtout un désir d’enthousiasme qui m’apparaît salutaire dans un flot de parutions.
Entre Thierry Martin, Cyrille Pomes (dont le ”Bertillon”avec Dracq et Barth est excellent)Tehem,Merwann,etc etc, on parvient toujours à regagner cet appétit pour un genre, peut-être afin d’y saisir,aussi, nos sensations premières propres à l’enfance ?
Pas toujours relié à l’enfance. Le magazine Spirou des années 80, c’est mon adolescence et il est aussi lié à Métal Hurlant du coup. Et l’Assoce, je suis adulte.
En fait, je n’ai pas eu beaucoup accès à la BD dans mon enfance. J’ai commencé à en lire à l’adolescence vraiment.
J’ai un Pomes à chroniquer, mais ça va dans être une salve ”déçu”.
Je lis très rarement des BD, mais là… la magie a opéré ! La finesse des dessins et la richesse des couleurs nous emmènent dans ce monde horrifique et souvent gore. Le récit est rythmé par le changement de couleurs, selon les ambiances et on évolue dans les rouges de l’intérieur de la montagne, dans bleus et verts du monde lacustre. Blanchette et ses compagnons y rencontrent de vilains cruels aiguisés comme des opinel et de gentils futés, même des éléphants (on est pas loin de Chambéry). A la fin, on découvre le terrible secret de famille de Blanchette. Je me permets juste une observation sur le casting : il n’y a pas de korrigans en Savoie. Nos maisons et jardins sont peuplés de ”servans” ou ”follatons”, esprits domestiques facétieux et fantasque qui pourraient inspirer bien des histoires.
Éh bien, peut-être qu’il y aura des follatons dans le tome suivant – mais j’imagine que tout ce petit peuple est de la même famille.