S’il y a bien une chose que j’ai reproché à une intelligentsia BD (j’utilise le passé parce qu’elle me semble souffreteuse au présent de l’indicatif), c’est bien de se moquer des genres nouveaux sans tenter de les corrompre ou les reprendre à leur compte. Pour l’héroïque fantaisie, on a bien eu la sagé Donjon mais, réalisée par des anciens joueurs de jeu de rôle, elle ne cherchait pas vraiment la confrontation frontale.
Lorsque vous rentrez dans les librairies, vous voyez bien que ce qui plaît en ce moment, ce sont des BD à caractère ”réaliste”, historique ou action/policier (thriller ?). Non seulement personne ne s’en moque – combien de fois a‑t-on entendu ”moi, je ne fais pas de fille en bikini avec une grande épée se battant contre un dragon” mais jamais de ”moi, je ne fais pas de fille en bikini avec un fusil à lunette travaillant pour la CIA” – mais en plus personne ne semblait se préoccuper du fait que le genre est bien plus populaire que la fantasy. Jalousie mesquine envers Van Hamme et ses disciples ? Quoiqu’il en soit, le trio Vivès/Ruppert/Mulot semble avoir lu dans mon esprit et font tonner le Beretta 9mm pour cette rentrée BD.
Que devient l’Association ? Vidée de sa substantifique moelle, empêtrée dans des conflits dignes de Closer et sans nouveau Satrapi pour sauver la baraque, l’ex-prestigieuse maison d’édition semblait filer un mauvais coton. Pas du tout me rétorquaient mes amis en kilt ! À l’Assoce, il y a Ruppert & Mulot ! Sauf que moi, je n’accroche pas à leur humour pince sans rire un peu surréaliste à la ligne claire un peu floue. Ces types ont l’air rudement intelligents mais ca ne me fait pas rigoler 1 ‑d’où leur absence sur ce blog. Il faut par contre bien reconnaître que l’affiche fait évènement : associer les très branchés mais confidentiels Ruppert & Mulot avec Vivès, la coqueluche des adolescentes à lunettes, c’est quand même très fort. Surtout pour réaliser un ”thriller” dans la collection haut de gamme Aire Libre – carrément Deauville à Angoulême…
Alex et Carole sont des super voleuses de tableaux. Elles s’associent avec Sam, championne de moto, pour piquer au Louvre La Grande Odalisque de Ingres. Elles sont super canon en bikini, dansent comme des déesses, se touchent les seins, snipent les gros bras mexicains et tombent amoureuse de fils de diplomate. Le défi est relevé haut la main : Paris et ses musées sont montrés sous toute les coutures, il y a des scènes d’action qui sortent de l’ordinaire, les plans compliqués pour obtenir des infos ou réaliser le casse sont soigneusement détaillés. Il n’y a pas tromperie sur la marchandise, c’est un vrai truc à la Hollywood sur Seine. Alors qu’est-ce que ça fait chez Aire Libre demande l’amateur de XIII et autre IRS ? La vraie différence, c’est l’approche fondamentale des personnages : nos héroïnes sont embarquées dans leurs histoire parce qu’elles sont vides. Vides de désir, vides de morale, vides d’ambition. Elles ne le font pas pour l’argent, le pouvoir, parce qu’on les y oblige, pour la patrie ou la politique. Elles le font parce qu’il faut faire quelque chose et si possible quelque chose qui permette de s’amuser et d’avoir des poussées d’adrénaline – le Prince Charmant est un psychopathe dealer et trafiquant d’arme mais ça ne gène pas les filles. De ce point de vue là, elles sont très modernes ou, plutôt, elles pointent bien une vision désespérée de nos sociétés modernes : il faut juste trouver son plaisir et tant pis pour les conséquences. C’est évidemment aussi une vision très ironique et assez juste de ce genre d’histoires qui trouve des tas d’excuses pour expliquer des coups de flingues, des explosions, des meurtres ou des filles en bikini qui ne sont là que pour satisfaire une forme de voyeurisme de l’action.
J’ignore qui a fait quoi dans cet album. Dans les thèmes et le graphisme, je retrouve plus Ruppert & Mulot – qui semblent obsédés par la chute ou l’envol – et seules certains plans des filles laissent deviner le travail de Vivès. C’est très ambitieux du point de vue narration et découpage et ça fout un peu la honte aux oeuvres plus ”commerciales” qui, pour beaucoup, se contentent de choses sans beaucoup d’inventivité.
Mais je vais quand même finir sur une note négative : une fois lu, que reste-t-il de l’album ? Finalement, on se retrouve avec le même problème que pour les histoires de thriller classique. Une fois appréciées l’action, les bons mots et les jolies filles, on peut regretter une certaine vacuité, à l’image de ses héroïnes. Ou alors il faut aimer – ou imaginer – des troisièmes degrés cachés. Mais je fais confiance aux fans de Ruppert & Mulot pour ça – j’aime beaucoup la couverture.
Mise à jour du 09/10/2012 : je n’aime pas beaucoup les polémiques stériles sur ce blog. Visiblement, les allusions à un éventuel ”parisianisme” des auteurs n’ont pas plu à une certaine catégorie géographique de visiteurs qui sont proches de me lancer une fatwa. J’ai donc décidé de corriger ce billet pour le rendre un peu plus ”politiquement correct” (soupir). Certains des commentaires ci-dessous risquent donc de paraître un peu décalés.
- depuis que je les ai rencontré en vrai, je dois réviser mon jugement. Ils ne ressemblent à rien à l’idée que je m’en étais fait en lisant leurs BD sans compter qu’ils m’ont beaucoup fait rire ”en vrai”. Ce jugement à l’emporte pièces risque donc d’évoluer mais je le laisse pour le moment pour garder la cohérence éditoriale. Qu’ils me pardonnent s’ils passent ici.
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Et aprés,on dira qu’il n’y a plus de Critique.
Excellent papier.
@julien : non, la preuve, il faut aller chercher les auteurs pour faire la critique, ah ah.
Pour le ”qui a fait quoi ?”, cet article d’actuabd explique plutôt pas mal le truc, illustration à l’appui : http://www.actuabd.com/Ruppert-Mulot-La-Grande-Odalisque
@jérôme : ah, c’est beau les auteurs BD qui se rencontrent ”à St Petersbourg puis à Bologne” :-)C’est une autre vie… Quoiqu’il en soit, merci pour le lien qui clarifie bien les choses en effet.
Rassure-toi, en cherchant bien, on doit bien trouver quelques auteurs parisiens crétins.
@Totoche : ah ben zut, je croyais naïvement que ”Parisien = crétin”. Alalalala, on est bête quand on est vieux.
@Totoche : tiens, ça m’a fait réfléchir… Est-ce que je traitais ”gratuitement” Ruppert & Mulot de ”parisien”. En fait, non. Le seul autre album que j’ai lu d’eux est explicitement parisien – il se passe à Paris avec des jeunes gens très parisiens etc… Et ici aussi, les personnages sont parisiens. Je ne pense pas avoir dérapé du coup.
@Li-An : Ouf, me voilà rassuré. :)
@Totoche Tannenen : c’est vrai que c’est assez facile – et jouissif, assumons nos défaut – de traiter un Parisien de Parisien.
C’est bien vrai, surtout quand il est intelligent ! ;)
(moi qui pensais jusqu’à présent que Ruppert et Mulot étaient Dijonnais…, ça me fait froid dans le dos).
@Totoche Tannenen : ah mais attention ! Le Parisien le plus insupportable est bien l’ancien provincial installé à la capitale ! J’espère qu’on va me prouver que Ruppert & Mulot n’ont jamais quitté le pays de la moutarde, histoire de mettre mon nez dans mon caca.
T’as viré les commentaires énervés :) ? chuis déçu , je m’attendais à un peu de pestacle :)
@olivier : ben ce n’était pas ”énervé”. C’étaient de grosses insultes sur mon travail d’un pauv gars en quête de reconnaissance. Et pas fichu de lire puisqu’il pense que je n’aime pas le travail de Ruppert & Mulot – il me semble que cette chronique est plutôt positive. Comme en plus il pleurait pour que je passe ses commentaires, il est même banni du site. Il a qu’à faire son blog.