La vie secrète des jeunes vol.2 (Riad Sattouf – L’Association)

Riad Sattouf me laisse sans voix (et je ne blague pas, ça fait 1/​4 d’heure que je cherche une accroche pour ce billet). Quand on lit ses planches, on ne peut qu’ac­quies­cer : ”mais il a raison, les gens ils parlent comme ça, ils font ces trucs, je l’ai vu dans la rue hier”. Et on se rend surtout compte qu’il semble être le seul à décrire le monde qui nous entoure de manière réaliste. On dirait qu’il n’y a pas de filtre : il raconte ce qu’il voit et entend et ça a la violence des choses qui gênent, qui inquiètent. Évidem­ment, les scènes de La vie secrète sont des situa­tions fortes ou étranges, ce n’est pas tout à fait la vie de tous les gens tous les jours mais ces instan­ta­nés volés dans le métro ou la rue ouvrent une fenêtre sur l’inti­mi­té d’une popula­tion qui a rarement la parole, quelque chose qui ne semble jamais abordé de manière aussi crue (je dis jamais parce que ma culture limitée me fait sûrement passer à côté d’œuvres aussi fortes). Le mauvais côté de la chose, c’est qu’on a un peu de mal à croire en l’Huma­ni­té après 20 pages de Sattouf : intolé­rance, bêtise crasse, futili­té élevée au rang d’impor­tance majeure, nombri­lisme exacer­bé, il fait un portrait effrayant du monde d’aujourd’­hui. Et en même temps, on arrive à rire. Jaune. Si l’Art doit parler du monde pour avoir un intérêt quelconque, Sattouf est proba­ble­ment un des auteurs les plus impor­tants du moment…

peur de l'étranger

Une des histoires m’a forte­ment inter­pel­lé : invité à un repas minis­té­riel post Angou­lême (sacré Sattouf qui arrive à faire croire qu’il est un petit auteur anonyme perdu au milieu de pontes alors qu’il n’y a que trente invités), il tente de parler à Madame la Ministre de l’époque de la loi sur les publi­ca­tions jeunesse de 1949 (pour plus d’infos sur cette loi, cf. [ici]). Cette loi a accom­pa­gné l’évo­lu­tion de la BD en France et cible les publi­ca­tions à carac­tère populaire. Elle a été consi­dé­rée dans les années 60/​70/​80 comme un frein à la liber­té de création, pesant sur des revues comme Fluide Glacial, Hara Kiri, Métal Hurlant etc… J’avais pensé que la Commis­sion chargée de la faire respec­ter n’exis­tait même plus mais Sattouf témoigne de deux convo­ca­tions au commis­sa­riat dans le cadre de cette loi. J’aurai bien aimé connaître quelles planches avaient conduit à ces convo­ca­tions mais je n’ai pas eu de réponse pour le moment. Quoiqu’il en soit, alors que les éditeurs publient du manga horrifique/​porno/​ultra violent sans sourciller, on peut se poser des questions sur ces pressions adminis­tra­tives sur un auteur qui me parait des plus origi­naux et impor­tants et je regrette que ce ne soit pas plus média­ti­sé. Si vous connais­sez le Ministre de la Culture, glissez lui un mot de ma part…

un habitant de la banlieue parisienne donne son avis [ici].

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20 commentaires

  1. Euh , ce n’est pas non plus le moins média­ti­sé quand meme .

    je lirai cette bd un de ces 4 , mais j’ai bien peur d’accen­tuer ma misan­thro­pie latente :-)

  2. Je crois que LI AN parlait de la média­ti­sa­tion du sujet de la loi;non?Comme LINDINGRE,SATTOUF décrit avec une justesse terri­fiante notre trés cher 21éme siècle.Nous voilà entrés dans un nouveau siècle de barbarie(revenant au sens ethymo­lo­gique du mot).C’est effrayant parce­qu’il fait vivre ses person­nages par un dialogue hyperréaliste,sans le décalage ou le propos d’un GOOSSENS.C’est effrayant parceque le (prochainement,c’est à l’étude)mysanthrope que je suis retrouve ses peurs sur un monde effrayant.Mais,un peu géné,j’admire le bonhomme qui hume si bien son temps​.Et je m’inter­roge sur moi,sur nous,si déran­gés par ce monde là…

  3. @Lionel : que voilà une réponse précise et circons­tan­ciée. Ronan a intérêt à nous préci­ser tout ça. Et merci pour ce premier commen­taire qui me fout la honte de ne pas avoir lu un seul de tes albums…

    @olivier : comme le remarque Julien, je ne parlais pas de Sattouf comme person­nage média­tique mais de sa convo­ca­tion dont je n’avais jamais enten­du parler.

    @urbatrof : ben pas moi et je le regrette un peu ma foi.

  4. je crois qu’il s’agis­sait d’une polémique liée à la publi­ca­tion de ”Ma circon­ci­sion” aux éditions Bréal.
    Je ne sais pas quelles planches ont susci­tées la convo­ca­tion de Riad Sattouf.
    Je crois que c’est le sujet et le livre dans son ensemble qui ont provo­qués les foudres de la commission.

    Le livre aux éditions bréal débute par une note aux lecteurs qui rappelle que le racisme et l’antisémitisme sont des délits punis­sable par la loi.
    Note supri­mée dans la réédi­tion à l’asso­cia­tion n’ayant plus l’image d’un éditeur jeunesse.

    Dans un entre­tien donné à Ronan Lance­lot en octobre 2005 pour du9
    )
    Riad Sattouf explique que ”cette note est néces­saire car cette collec­tion peut tomber sous le coup de la loi de 1949 qui concerne les publi­ca­tions pour la jeunesse. L’avocat de Bréal a donc très forte­ment insis­té pour que cela soit écrit, afin que le livre soit inatta­quable. Le sujet étant sensible, il ne fallait pas prendre de risque et je pense qu’il a eu raison”.

    Joann Sfar relate cet épisode dans l’un de ses carnets.

  5. @Lionel : ”Joann Sfar relate cet épisode dans l’un de ses carnets.” C’est dans le carnet ”Caravan”… En fait c’est Sattouf lui-même qui relate (dans une BD pour charlie hebdo que Sfar repro­duit dans le carnet) son passage au commis­sa­riat qui fait suite à une enquête judiciaire consé­cu­tive au vote de l’inter­dic­tion du livre par ladite commis­sion de censure.

  6. @Jérôme : Merci ça me revient mainte­nant. Comme je n’ai plus ”Caravan” de Sfar je n’ai pas pu contrô­ler mes sources.

  7. De qui et quoi est compo­sée cette commission..?Toujours les m^mes?Toujours ces associa­tions ”libres” ”protec­trices de la jeunesse”..?Bourgeon ou encore Tardi,Comès par exemple ont cotoyé ces ennuis et des retraits-furtifs et locaux-de librairies…Grand sujet que cette commission,dont les pulsions outrées ont été réguliè­re­ment narrées dans le fanzine ”HOP”.Je vais fouiner tout ça;les petites histoires ne manquent pas.

  8. Ce que je sais:Il y avait dans cette commis­sion des REPRESENTANTS des auteurs,et pour les éditeurs…Mais pourquoi..?Défendre les points de vue de ces deux paries..?A lire:Livres et articles(nombreux!)de Bernard Joubert(Sous mes yeux le n°88 des cahiers de la BD)…Dans la biogra­phie de Pierre Assou­line sur Hergé(chapitre 9,dés la page 273)les origines et desseins de la commis­sions sont claire­ment établis:Protectionnisme,dénonciations du nombre envahis­sants de bandes étrangères(Surtout des USA)…A cette commission,beaucoup d’auteurs 100%français(croient-ils…)qui furent trés occupés en 39 – 45,oeuvrant avec beaucoup d’enthou­siasme dans la presse corrompue…Morris a trés réguliè­re­ment dénon­cé les initia­tives et pensées de la dite commis­sion dont il fut victime…Des origines de la commission,il demeure proba­ble­ment aujourd’­hui quelques renvois aigres…MAUVAIS GENRES avait récem­ment visité les archives de Joubert(dont les titres ELVIFRANCE).

  9. C’est assez étonnant qu’elle fonctionne aujourd’­hui et que visible­ment ne s’attaque qu’aux auteurs français.

  10. Pour répondre aux inter­ro­ga­tions de Li-An (et faire suite aux commen­taires de Lionel et Julien) : vous trouve­rez le détail de ce que la Commis­sion de surveillance repro­cha à ”Ma circon­ci­sion” dans un article que j’avais écrit pour un annuel de la revue ”art press” (”Bandes d’auteurs”, ”art press spécial” n° 26, 2005). ”Art press” se trouve assez facile­ment en biblio­thèque. Li-An, je vous en envoie des scans par votre page contact. (L’article fait quatre pages et il est impor­tant de le voir dans sa maquette d’ori­gine, qui accom­pa­gnait chaque critique de la Commis­sion par le dessin visé.) Vous pourrez le mettre sur votre site, si vous voulez.

    Mettre un avertis­se­ment dans la première édition fut proba­ble­ment la cause première des ennuis de Sattouf. (L’avo­cat qui conseilla cela aux éditions Bréal, Pierrat, fut le même qui conseilla à Delcourt de ne pas publier ”Filles perdues” d’Alan Moore et Melin­da Gebbie, avant que je ne vienne conseiller à Delcourt de ne pas tenir compte de ces conseils…) S’empresser d’annon­cer en ouver­ture d’un livre que, contrai­re­ment à ce que certains esprits mal tournés pourraient penser, ce livre n’est pas raciste, est le meilleur moyen d’atti­rer l’atten­tion des esprits mal tournés et de les convaincre, avant toute lecture, qu’on a quelque chose à se reprocher.

    Pour ce qui est de la Commis­sion aujourd’­hui, elle est moribonde, mais toujours en activi­té. Ici un article où je racon­tais ce qu’elle repro­chait à ”Fluide glacial” et ”Psiko­pat” l’année dernière :

    http://​susau​vieux​monde​.canal​blog​.com/​a​r​c​h​i​v​e​s​/​2​0​0​9​/​0​9​/​1​4​/​1​5​0​6​3​9​5​2​.​h​tml

    Pour l’inter­dic­tion du manga ”Angel”, dont parle Totoche, ici est repro­duite la postface que j’avais écrite pour le tome 4 (inutile de signer la pétition, elle date de 1995 !) :

    Bon, j’arrête, ça fait ancien combat­tant qui raconte ses guerres !

  11. Merci pour tous ces rensei­gne­ments, Bernard (je fais comme sur France Inter mainte­nant, j’inter­pelle mes lecteurs par leur prénom), qui éclairent grande­ment ma lanterne. Je vais sûrement mettre en ligne les documents en question et je complè­te­rai le billet à ce moment là.

  12. Pour les amateurs(merci à vous deux!Trois?)j’ai deux pages de ”direc­tives” vivement recom­man­dées aux auteurs de pockets dans les années 60…(Bon,tant pis,alors)

  13. ah bin si je m’atten­dais à lire une éloge de Sattouf (auteur telle­ment à la mode chez les branchouilles) sur ce site ! J’ai l’impres­sion qu’il est hyper média­ti­sé, et pas seule­ment depuis ses consé­cra­tions à tout va. Je ne vois pas l’inté­rêt de ces bouquins : où est son point de vu ? son avis ? son audace ? C’est tout à fait dans la lignée assoce : le nombril sans recul. Bon là, c’est au niveau du nombril des autres, mais toujours sans recul, visions brutes de décof­frage. bon… je vais aller lire une BD tiens

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