L’entrevue (Manuele Fior – Futuropolis)

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La première fois que j’ai enten­du parler de Manuele Fior, c’était l’année où Gauguin était nominé à Angou­lême : c’est son album Cinq mille kilomètres par seconde, publié chez Atrabile, qui a obtenu le titre de meilleur album de l’année – ou je ne sais quel nom ils donnent à ce prix, comme quoi ils sont très forts à Angou­lême, on ne retient même pas le nom des prix. J’ai pu mesurer un instant l’impor­tance de ma créti­ni­tude puisqu’il est évident que je n’avais pas à poireau­ter debout dans le théâtre, mon sac à la main, prêt à foncer vers la gare pour ne pas louper mon train, sans savoir si j’avais le moindre prix : on m’aurait sûrement préve­nu à l’avance si j’avais eu la moindre chance… Après avoir feuille­té l’album et deman­dé un avis à droite à gauche, j’ai passé mon tour.
Pour ce nouvel opus, L’entre­vue, publié cette fois-ci chez Futuro­po­lis, les planches origi­nales admirées à Bastia m’ont décidé à franchir le pas. Ranie­ro est psycho­logue d’une quaran­taine bien tassée , sa femme a décidé de le quitter à l’amiable, ce qu’il a du mal à digérer, et on lui confie une nouvelle patiente, Dora, une jeune femme persua­dée de commu­ni­quer avec les extra terrestres en vadrouille autour de la Terre. Ce que peut diffi­ci­le­ment nier Ranie­ro qui a lui-même vu un vaisseau étrange… L’Entre­vue est une espèce de fable science fiction­nesque : dans un futur assez proche Ranie­ro est un person­nage relati­ve­ment conser­va­teur : il croit dans les vertus du mariage, conduit une vraie voiture et délaisse les véhicules automa­ti­sées. Face à lui, Dora fait partie d’un mouve­ment qui prône la liber­té sexuelle et qui repré­sente un avenir dérou­tant pour la généra­tion de Raniero.

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J’avoue que je ne sais pas trop quoi penser de l’album et c’est typique­ment le genre d’objet qui va me permettre des discus­sions à moitié alcoo­li­sées à 1 heure du matin pour savoir si c’est un chef d’œuvre où un album sympa­thique au scéna­rio un peu léger. Il me faudra en discu­ter avec les gens et le relire pour me faire une idée claire de la chose. Ce que je retiens pour le moment, c’est la forme qui mérite le détour. Dans un noir/​gris/​blanc magni­fique, les planches sont soigneu­se­ment construites avec des échos d’auteurs US – Toth, Mazzu­chel­li ? – et Fior utilise de manière très subtile deux approches graphiques diffé­rentes pour repré­sen­ter Ranie­ro et Dora, qui penche plus vers Mattot­ti, elle. Il y a aussi une espèce d’évo­lu­tion dans le dessin tout au long de l’his­toire, diffi­cile à analy­ser, passant d’une carica­ture souple à quelque que chose de plus réaliste, plus posé. Du point de vue du graphisme, il est incon­tes­table que Fior est en passe de devenir un auteur à suivre de près.
Pour ce qui est du scéna­rio, j’ai eu un peu de mal à rentrer dedans. Le côté SF est un peu étrange puisque l’his­toire aurait globa­le­ment très bien se dérou­ler dans les années 70 entre un type bourgeois et une jeune baba cool (je pense que le cinéma de l’époque est d’ailleurs une des références pour Fior) et la SF ne se justi­fie vraiment que pour la toute fin. De la même manière, le thème princi­pal, la diffi­cul­té de commu­ni­quer, est très 70’s et j’ai eu le même ressen­ti que pour certains albums de Blutch, un vague senti­ment que le thème était déjà ”usé”, trop référen­cé. Parce qu’évi­dem­ment, dans la logique de l’his­toire, les person­nages restent assez flous au lecteur, leurs senti­ments jamais tout à fait évidents. Un album qui plaira sûrement beaucoup à ceux qui appré­cient les sous-enten­dus, des histoires plus en sensa­tions qu’en narra­tion. Ça manque juste un peu de viande de cheval pour mon goût actuel. Mais ça va faire un excellent sujet de discus­sion, surtout que je lui prédis un très bon accueil de la critique des grands médias (ah, je suis coincé, je ne peux pas écrire ”intel­lo” ou ”parisienne”).

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13 commentaires

  1. Les réserves sont louables;mais son travail passé m’invi­te­ra à le suivre toujours de prés.

    J’ai défini­ti­ve­ment accep­té l’idée qu’un Blutch dérou­tant mérite­ra quand même d’y revenir.On sait jamais.

    La couv’ est une petite énigme.C’est pour les fans de David B qui s’amou­rachent de Vasarely ?

    • @julien : oui, il vaut mieux être déçu par Blutch que pas de Blutch du tout :-)

      Je me deman­dais à quoi me faisait penser cette couver­ture… Vasare­ly, évidem­ment !

  2. Juste­ment, la force de Fior, quel que soit son ouvrage réside dans les possibles inter­pré­ta­tions que le lecteur peut faire… On ne saisit jamais tout, on n’est jamais sûr de rien… en fait c’est un peu comme la vie (d’ailleurs son discours tend vers ça)… Et je le trouve assez juste ce discours… Si je le compare à ”Gauguin” – que je n’ai pas parti­cu­liè­re­ment appré­cié parce que trop ”conve­nu” -, bien que les deux ouvrages ne soient pas réelle­ment compa­rables, ce qui fait la force de Fior a été votre faiblesse… trop en dire, trop explicite…

    • @Lio : hum, je ne suis pas convain­cu par votre discours. Il serait idiot que je fasse ”comme Fior” alors que ça ne corres­pond pas à mes goûts :-) J’ai l’avan­tage ici d’être cohérent avec moi-même. Chacun cherche les histoires qui lui parlent le plus et, heureu­se­ment, elles ne se ressemblent pas toutes.

  3. Encore plus de questions à la ferme­ture du livre qu’avant son ouver­ture. Deran­geant et plaisant à la fois. Mention spéciale pour le côté futuriste rétro. C’est beau le fusain !

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