Cher ami lecteur, je sais que tu es comme moi, tu aimes la littérature ambitieuse, celle qui fait fi des modes et qui crache sur le système financier, tu aimes les romanciers à l’esprit fort et indépendant pour qui l’écriture est un besoin sacré. Mais comment les reconnaître ? C’est très simple : ces vrais artistes n’accepteraient jamais de suivre le flux moutonnier, la routine, la prévision et le coup marketing. Jamais ils n’accepteraient de faire publier leurs romans à la rentrée littéraire pour rentrer dans un moule consuméristomédiatique et bêler avec ses confrères plus faibles. Et voilà, cher ami lecteur, je viens de te faire économiser une somme assez faramineuse en te démontrant qu’un livre de la rentrée littéraire est un livre mou et consensuel, bref un livre à éviter.
En BD, il n’y a pas vraiment de rentrée, c’est juste que les affaires reprennent, les ”gros” livres sortiront avant Noël. Dans cette première fournée de septembre, deux albums ont retenu mon attention.
Le volume 2 de Klaf Marhan, non, Zahm Karaff, rhaaaa. Lewis Trondheim ne pouvaient pas appeler son personnage Canardo ? Pour un type qui a travaillé sur les pubs Orange et La Poste, il manque de simplicité, là !
Voilà donc déjà le second tome de Ralph Azham, le gars cool aux poils bleus dans un monde fantasy qui ne correspond pas à son caractère. Cette fois-ci, il est parti pour de bon avec tous ses petits copains à la pilosité colorée, marque des Élus aux pouvoirs étonnants, en route pour lutter contre le méchant Vom Syrus. Des idées bien vues dans cet album : Ralph est le seul adulte aux milieux de gamins, ce qui n’est pas sans rappeler une atmosphère à la Harry Potter, un des gamins passe son temps à l’asticoter, Ralph hérite d’un objet magique dont les propriétés sont incontrôlables (on retrouve un peu l’épée maudite de Herbert) ou une magicienne qui détecte le mensonge de manière particulièrement scientifique … Rapidement, ça va mal tourner. Quand j’avais croisé Trondheim l’année dernière, il m’avait dit que cette série serait l’occasion pour lui de mettre tous les trucs sombres qu’il n’avait pas pu caser dans la série Donjon. Je pensais qu’il blaguait – avec M. Trondheim, on ne sait jamais – mais il faut reconnaître que certains petits lecteurs de Spirou risquent d’être perturbés à vie. Il y aura de nouveau des problèmes familiaux pour Ralph et j’ai été quand même très étonné de le voir vivre des situations particulièrement difficiles avec un zen ahurissant. Dans les petits reproches, je rajouterai que l’action est très présente avec du coup un côté Mildiou qui n’est pas mon préféré et le coup de ”chacun son pouvoir magique” a des forts relents de Laufeust mais ça reste un très bon Trondheim, riche et pétillant et qui donne envie de connaître la suite.
Autre album attendu pour septembre, Voyage en Satanie, premier tome du trio gagnant Vehlmann/Kerascoët dont j’avais beaucoup aimé Jolies ténèbres. Vehlmann ose une histoire au concept vraiment original : une bande de spéléologues descendent dans les tréfonds de la Terre à la recherche d’un illuminé… et des Enfers. Ils découvriront un univers fantastique et mortel et croiseront une étrange utopie. On a ici affaire à un mélange surprenant d’aventure pseudo-scientifique et de fable métaphysique (et si des Néandertaliens s’étaient réfugiés dans les profondeurs, comment auraient-ils évolués ?). Évidemment, c’est un peu bancal (à ma connaissance, les seules bestioles avec de grandes cornes vivent dans des plaines où leurs appendices crâniens ne risquent pas de les gêner) mais le but du jeu n’est pas de concevoir un univers crédible : ce sont juste des fous à la poursuite d’un autre fou et qui sombrent dans la construction mentale de l’individu qu’ils poursuivent. Bon, je ne vais pas en faire des tonnes, mais je n’ai pas complètement accroché. Pour faire vite : j’ai eu l’impression d’avoir loupé un épisode tellement les personnages sont campés rapidement, sans compter que les motivations desdits personnages mettent du temps à apparaître. Ou alors, ils sont tous morts et ils descendent bien en Enfer ? Le dessin des Kerascoët est loin d’être aussi intéressant que celui utilisé pour Beauté déjà chroniqué et la couverture m’a paru un peu légère (c’est une repompe de celle de Mandryka pour Clopinettes où je rêve ?). Si ça se trouve, tout est dans cette couverture et cet album est en fait un commentaire déguisé de l’album de Gotlib et Mandryka ! Bon, en résumé, un concept courageux qui prouve que Vehlmann continue à explorer des sentiers peu pratiqués mais rien à faire, je ne rentre pas dedans. Un album à débats…
Tu rêves. Tu trailles trop, comme Trondheim.
Ah ah. La couverture de Mandryka était quand même plus réussie :-)