Sélénie, une aventure lunaire de Fabrice Lebeault

selenie lebeault couv

Que reste-t-il de la glorieuse équipe Delcourt des années 1990 ? Plus grand monde n’est resté sur le navire amiral et Fabrice Lebeault est une de ces heureuses excep­tions. Avec Sélénie, il propose une courte histoire pleine d’images fasci­nantes et au goût un peu amer.

Pendant que la Terre est en guerre, les colons de la Lune dirigés par la Reine Sélénie de posent la question du retour sur la planète mère. Un étrange vaisseau va les obliger à agir.

Sélénie est un hommage à l’aventure science-fiction­nesque à la Flash Gordon, la cape en moins. Panta­lons moulants, créatures étonnantes, traître caché dans l’ombre, androïde omniscient, indigènes sauvages, la panoplie est complète. Lebeault développe tout une galerie de créatures étonnantes et réussit à réinven­ter un onirisme Moebiu­sien en dessi­nant de grandes cases merveilleuses. Mais derrière ces péripé­ties classiques, on devine un univers quelque peu fêlé.

selenie lebeault planche

Réflexions sur la nature du récit d’aventure contemporain

Atten­tion, ça spoile quelque peu ici
À la lecture, une pensée très moderne m’a traver­sée l’esprit : ces gens là sont bien blancs (un scien­ti­fique de couleur apporte un peu de varié­té mais il est bien le seul). Qui a amené une autre question : que sont les Sélénites qui sont traités comme des esclaves et qui n’ont litté­ra­le­ment pas leur mot à dire (ils ont leur propre langue mais un des person­nages est verte­ment répri­man­dé du fait de ses efforts pour commu­ni­quer) ? Lebeault a visible­ment poussé la référence à l’aventure des années 1930 jusqu’à mettre en scène les défauts de ces récits : racisme latent et colonia­lisme reven­di­qué. Au point de livrer une conclu­sion un peu déran­geante : finale­ment, est-ce que cette aventure trépi­dante ne serait pas un fantasme déses­pé­ré d’une extrême droite blanche qui refuse d’affronter la réali­té du monde ? Il est un peu dommage que ce ne soit pas plus dévelop­pé, laissant une petite ambiguï­té planer. Quoiqu’il en soit, Fabrice Lebeault poursuit son œuvre origi­nale avec brio et j’attends le prochain ouvrage avec intérêt.

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15 commentaires

  1. Je ne connais pas. La couv et la planche cepen­dant me renvoient très fort dans l’uni­vers graphique et coloré du ”vagabond des limbes”.

    • En mieux alors, ah ah (je n’ai jamais rien compris au Vagabond). Lebeault a publié la série Horolo­giom qui est assez connue.

  2. Merci Li-An, ton analyse très fine m’oblige à fouiller dans les tréfonds de mon âme. Serais-je, au fond, un réaction­naire invété­ré ? Eh bien oui, je te dis ça toute honte bue et sans ironie, jene peux m’empêcher de penser, un peu naïve­ment je veux bien l’admettre , que « c’était mieux avant ». J’ai lorgné effec­ti­ve­ment du côté rétro de la science-fiction, ne devais-je donc pas jouer le jeu jusqu’au bout ? Quoiqu’il en soit, je te remer­cie énormé­ment, ta critique est, comme à l’habitude sur ton site, sensible et intel­li­gente et très enrichis­sante pour moi .

    • Bonjour M.Lebeault, je suis toujours un peu stres­sé quand un auteur passe parce que, si je peux avoir la dent dure, le but n’est pas de blesser les artistes. Mais, évidem­ment, donner une vision critique d’une œuvre c’est s’attaquer à un enfant et l’artiste/parent réagit souvent de manière épidermique.

      Le goût du rétro en science fiction ne passe­ra jamais (steam­punk et Star Wars en sont la preuve exemplaire) et je trouve que ton approche est délicieu­se­ment ambiguë. En fait, ce sont des théma­tiques toujours d’actualité : discours natio­nal, coloni­sa­tion, peur du monde extérieur… Mais l’album ne propose pas de réponse ou de discours moral et préfère jouer sur des clichés décalés. Je serai curieux de savoir ce que le lecteur ”lambda” en retient.

      Il y a quand même une théma­tique qui revient dans ton œuvre : c’est celle du travailleur forcé que ce soit dans Horolo­giom ou ici, en fond.

      En, pour conclure, pour ce qui est de la nostal­gie, il parait que c’est un senti­ment qui anime les grands artistes et je ne suis pas le dernier à soupi­rer après un passé où j’étais jeune et plein d’espoir.

  3. Ah, nous nous retrou­vons donc sur la nostalgie;)!
    J’en suis heureux bien que ça ne soit pas forcé­ment payant. Cet album, en effet, ne se vend absolu­ment pas et Delcourt vient de me refuser le tome deux sur lequel j’avais déjà bien avancé. Ce qui me met dans une situa­tion diffi­cile. Comme quoi, à trop culti­ver dans les sillons du passé on peut vite, sans s’en aperce­voir, s’éloigner un peu trop de l’air du temps.

    • Oh, je suis nostal­gique mais de manière positive : je suis conscient que la nostal­gie n’est pas basée sur des faits mais sur des ressen­tis. J’espère pouvoir être nostal­gique de choses encore à advenir.

      Ah, il me semblait bien que ça néces­si­tait une suite cette histoire. Et c’est en effet très triste que ça ne puisse pas se faire. En même temps, Delcourt m’a refusé telle­ment de projets que je ne peux que soupi­rer… J’espère que tu pourras vite rebon­dir (dit le type qui ne rebon­di pas beaucoup en ce moment).

  4. Mr Lebeault, dans une telle situa­tion, injuste pour le créateur, à mes yeux de ”profane” vis-à-vis du monde de la BD, n’y a‑t-il pas moyen de.…”changer de crème­rie ”, où c’en est obliga­toi­re­ment fini de l’his­toire bien avancée ?
    Sur un projet en 2 tomes, je ne comprends pas que des grandes boites comme Delcourt ne signent pas un contrat, qui les oblige à vous soute­nir jusqu’au bout. Renta­bi­li­té, rentabilité…

  5. C’est la loi du marché, Boying­ton ! Et quitte à jouer son jeu, pourquoi ne pas tenter une plate­forme, genre Ulule ? J’y pense de plus en plus fort. Quoiqu’il en soit, on ne peut pas en vouloir tant que ça à Delcourt, le monde de la bd a terri­ble­ment évolué. Et d’autre part, j’avais signé pour un one shot, l’idée d’une suite ne m’étant venue qu’après avoir achevé l’album.

    • Voilà une préci­sion qui relati­vise en effet le refus. Dommage que le public n’ait pas suivi – j’écris un peu trop souvent cette phrase.

  6. Et pourtant cette BD a du succès dans les mediatheques.
    Je ne suis pas spécia­li­sée dans l’édition mais j’ai vu récem­ment que Lisa Mandel avait fait un finan­ce­ment participatif,une plate-forme pour sa dernier BD.

    • Le problème du parti­ci­pa­tif, c’est que c’est du parti­ci­pa­tif. C’est à dire qu’il faut un gros travail de communication/​réseaux sociaux avec si possible une commu­nau­té qui existe déjà et il vaut mieux que l’album puisse toucher un public assez large (ici avec l’humour et l’autobio sans fard) ou très pointu mais passion­né (genre le porno SM). Le parti­ci­pa­tif, ce n’est pas pour tout le monde ou toutes les œuvres.

  7. Ben quoi ? Je viens de l’ache­ter, cet album ! Quoique… en vous lisant, je me demande si c’était bien judicieux, et si je n’aurais pas dû plutôt placer mon argent dans un produit d’ave­nir (du bitcoin, peut-être?).

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