La lumière de Bornéo (Frank Pé & Zidrou – Dupuis)
J’ai beau tonner contre le concept de reprise (vous croyez vraiment qu’il n’y a plus de place pour une création originale tout public en BD ?), il faut bien que je m’intéresse à la chose lorsque les avis avisés sont positifs. Je m’étais dit ” je n’achète le Spirou de Frank Pé que si le dessin est à la hauteur ”. Et le dessin tient la route.
En fait, il fait mieux de bien tenir la route puisque j’ai eu la sensation de retrouver le Broussaille des débuts de Frank Pé, quand il développait dans les années 80 dans le beau journal de Spirou une BD proche de la nature au dessin inspiré et à la mise en page cinématographique sur des scénarios de Bom. Depuis, je l’avais un peu perdu de vue. Après le sommet La nuit du chat, histoire d’errance à travers la nuit de Broussaille à la recherche de son chat, une histoire hors norme qui avait fait de lui un dessinateur incontournable (toujours Bom au scénario), il signe Zoo qui en fait une vedette absolue – sur un scénario de Philippe Bonifay . Sauf que je n’ai jamais accroché à l’univers de Zoo. Après Zoo, Pé va disparaître du monde BD pour se tourner vers l’animation. Il revient à la BD sans que je m’y intéresse vraiment. Son Broussaille a pris une drôle de tête (il avait déjà commencé à devenir plus réaliste). Et donc, Spirou…
Spirou par Frank Pé, c’était intrigant. Parce que Pé a longtemps travaillé pour le journal et qu’il y était à une époque où le personnage était un peu flou dans la tête des décideurs. Le voir dessiner des aventures du groom n’a donc pas le côté artificiel de ces projets carte blanche. Pé fait partie de l’univers Spirou.
L’histoire est signée Zidrou – d’après une idée originale de Pé : Spirou claque la porte du journal Moustique pour protester contre la politique déplorable de la nouvelle rédac chef qui privilégie les annonceurs et le people sur l’information. Au détour d’une affiche, il retrouve Noé, le dresseur d’animaux génial créé par Franquin pour l’histoire Bravo les Brothers. Sauf que le petit bonhomme timide de l’histoire originelle est devenu un misanthrope qui n’arrive même pas à communiquer avec son ado de fille qui rumine un méchant traumatisme. Spirou accepte d’accueillir la donzelle qui hérite de son costume de groom (!). En parallèle, un galeriste reçoit de manière anonyme des œuvres magistrales d’un peintre inconnu. Et Champignac lutte contre un mystérieux champignon noir.
Éh oui, il est riche cet album, plein de petits détails étonnants (il se déroule dans un futur proche où la Belgique n’a pas l’air d’aller très bien mais on ne le devine que par de petites choses en arrière plan), avec une mise en page généreuse, des personnages super bien croqués (Spirou est un peu étonnant avec ses lunettes mais il a une vraie personnalité, observez les tenues de la secrétaire du galeriste…) et un dessin qui donne l’impression de retrouver le Broussaille des débuts. Une énorme madeleine de Proust avec du thé Darjeeling de grande classe.
Tout n’est pas tip top parfait – Champignac est excellent mais sa propre aventure est un peu obscure par rapport à la trame principale, trop symbolique et les ”chef d’œuvre picturaux” ne m’ont pas tout à fait impressionné – mais le plaisir procuré gomme aisément ces petites réticences. De plus, les petites piques contre les dérives de notre société (Pé a toujours été un peu moralisateur, notamment au travers de son personnages l’Élan) donnent une pointe d’acidité assez réjouissante à un retour en majesté. J’applaudis des mains et des pieds.
Qu’ajouter d’autre..?
Le propre bonheur-c’est un éclat-de Frank Pé à renouer avec la bande dessinée y est exprimé d’un bout à l’autre.Et exprimé avec l’énergie joyeuse qui m’a surtout rappelé ”Comme un animal en cage”;spontanéité et ce désir d’insouciance:tâcher de s’alléger de ”l’expérience”…Le vieil animal porte en lui aussi l’émotion,trés vive, qui manque peut être un peu,par ailleurs.
Frank avait réalisé une délicieuse histoire courte de Spirou (2013) où pointaient toutes ces promesses.
Bon,mais alors:Mickey ‚Spirou,Astérix,Lucky Luke…ça nous promet de bien jolis ”sondage de popularité des héros de bd”,lesquels m’ont toujours fasciné par leur justesse,leur pertinente originalité et surtout,leur intérêt.
Ça m’a aussi rappelé « Comme un animal… », on y retrouve des thématiques communes. Je serai curieux de lire cette histoire courte de 2013.