En 1860, l’Angleterre se passionne pour un fait divers sordide : Saville Kent, trois ans, est retrouvé dans les latrines, probablement étouffé et le corps lacéré par de nombreux coups. L’enquête de la police locale puis d’un détective envoyé spécialement de Londres permet de conclure que l’assassin est un personnage de la maison. Mais entre la nurse qui n’a rien entendu et la fille du premier mariage jalouse, les autorités et la presse hésitent.
L’affaire Kate Summerscale n’est pas un roman policier malgré tous les efforts de la quatrième de couverture. C’est un récit documentaire sur un meurtre qui a réellement eu lieu, marquant les esprits britanniques de l’époque par sa gratuité et parce que l’enquête et l’absence de preuves solides ne permirent pas une conclusion rapide. Il fallut même plusieurs années avant d’obtenir un début de réponse. Le crime en lui-même et sa résolution ne sont pas vraiment ”stimulants” intellectuellement mais l’auteur, Kate Summerscale a réalisé un gros travail de recherche et utilise ce point de départ pour faire une description très intéressante de la société victorienne, son rapport à la police, le travail de la police elle-même (le service de détectives en civil a été créé il y a peu), l’influence nouvelle de la presse et, enfin, les conséquences du meurtre sur le genre ”roman policier” qui n’est encore à l’époque que du ”roman à sensation”. Wilkie Collins publie à l’époque La dame en blanc et pose les bases de ce qui deviendra le roman policier à énigme. De la même manière, Dickens et Henry James se passionneront pour l’affaire – Dickens fréquentera assidûment le détective Whicher, le détective dépêché de Londres à cette occasion.
Une autre grande réussite du roman, c’est de raconter l’ensemble du parcours des principaux personnages, de leur naissance à leur mort, ce qui permet d’avoir une vision précise de leur place dans la société de l’époque. Cela fonctionne d’autant mieux que le parcours de certains est tout à fait romanesque en dehors même du nœud central du crime.
Au final, un livre qui passionnera les amateurs de littérature policière à détective aussi bien que les fans de l’époque victorienne – pour ne pas dire Steampunk. Dans mon cas, j’ai fini par comprendre que ce qui me plaisait dans la littérature de cette période historique – l’aspect très romanesque des personnages – tenait aussi à la réalité de la Grande Bretagne du milieu du XIXème siècle et pas uniquement au génie créatif des écrivains.
Tiens, puisqu’on a parlé récemment de séries, il y a une série britannique sur les enquêtes de ce fameux ”Mr Whicher” courtisé par Dickens. Pas mal, un peu lent, avec, comme d’habitude dans les séries anglaises, une reconstitution de l’époque soignée. Et pas disponible en français.
Au moins, il a bien existé celui-là. Bon, on attendra éventuellement que ça débarque en clair à la télé.