[anatèm], un roman SF monastique de Neal Stephenson

Le lance­ment d’une nouvelle collec­tion litté­raire commence par le choix très réflé­chi des premiers titres que les lecteurs vont décou­vrir. Pour Imagi­naires de chez Albin Michel, [anatèm] de Neal Stephen­son s’est vite révélé comme leur meilleure vente. Un ouvrage consi­dé­ré comme pas facile du fait d’un vocabu­laire riche soigneu­se­ment construit et d’une histoire humaine imagi­née sur plusieurs millé­naires. Ça commen­çait fort.

Avec Neal Stephen­son, j’en étais resté sur une décep­tion à savoir son thril­ler Les deux mondes (qui conti­nue à mal vieillir quand on voit ce qui reste de joueurs de MMO). J’étais donc tout esbau­di de décou­vrir une nouveau­té purement SF très ambitieuse si j’en croyais les critiques enthou­siastes. Mais ça coûte cher ces romans pas en Poche et j’ai patien­té, patien­té, et j’ai fini par le chercher d’occase pas cher (parce qu’il plaisait telle­ment que même d’occase il était encore cher).

anetam neal stephenson couv

Mal chaussés les moines

Sur la planète Arbre, l’histoire de l’Humanité est longue de plusieurs millé­naires marqués par la sépara­tion progres­sive de la recherche fonda­men­tale et du reste de la popula­tion. Au point de confi­ner les intel­lec­tuels dans des monas­tères qui ouvrent leurs portes au public tous les dix, cent ou mille ans suivant les ordres monas­tiques. Avec toujours une certaine angoisse : comment a évolué le monde extérieur et est-ce qu’il ne va pas faire irrup­tion avec torches et fourches ?
Stephen­son développe brillam­ment cette partie : les savants/​chercheurs purs/​philosophes vivent cloîtrés (garçons et filles), dévelop­pant leurs recherches et leurs théories en mépri­sant la technique pure et se dispu­tant autour des concepts (les schismes scien­ti­fiques et philo­so­phiques sont nombreux et quelque fois violents). C’est le concept de l’université anglo-saxonne poussée à une logique extrême où les chercheurs vivent dans un ascétisme joyeux et très dévelop­pe­ment durable… mais sans Dieu (on manque de preuves scien­ti­fiques). En paral­lèle, Stephen­son invente toute une Histoire de la présence humaine sur Arbre, dévelop­pant par le menu les disputes, les conquêtes, les massacres, les saints et les martyrs d’une science décriée ou écrasante suivant les époques. En rajou­tant par dessus tout un vocabu­laire inven­tif et riche – et qui a évidem­ment des échos avec notre propre Histoire.

On découvre donc le frère Erasmas au moment de l’ouverture décen­nale de sa partie de couvent, ses amis, ses ambitions, son carac­tère de cochon et sa curio­si­té envers des évène­ments qui font exclure des frères de la commu­nau­té. Et ça déraille quelque peu. Car le monde extérieur qu’il redécouvre ressemble quelque peu à celui que nous connais­sons. Smart­phones, chaînes d’infos en conti­nu, petites frappes, croyants un peu excités, on ne peut pas dire que ça dépayse beaucoup. C’est même un poil trop carica­tu­ral et on a l’impression de se retrou­ver dans un épisode d’une série TV ironique sur la vie quoti­dienne aux États-Unis. Et ça ne s’arrange pas puisque nos héros partent à l’aventure. On frise alors l’émission de voyage de la TNT dans les contrées sauvages de l’Alaska. En fait, on retrouve exacte­ment l’ambiance d’une partie des Deux mondes où une bande de person­nages à forte person­na­li­té se retrou­vaient à crapa­hu­ter dans la neige. Je n’ai même pas réussi à aller au bout de ce tome 1, peu intéres­sé par ce qu’il allait advenir.

J’en sors donc vraiment déçu. Stephen­son démontre qu’il a toujours le don pour inven­ter des person­nages attachants, qu’il a une ambition folle mais qu’il cède aussi, comme à son habitude ?, à une certaine facili­té dans l’action qui donne l’impression de vision­ner une série télé avec un budget moyen (en même temps, on peut dire la même chose de Stephen King). Le second tome sera donc sans moi. Et j’ai envie de relire Un cantique pour Leibo­witz de Walter M. Miller.

Un mot sur la couv

Je l’ai trouvée pas géniale mais les deux volumes mis côte à côte forment l’image entière qui fonctionne beaucoup mieux. Elle est signée Gaëlle Marco.

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4 commentaires

  1. Les deux mondes c’était une tenta­tive alimen­taire de faire du James Bond sans préve­nir les fans de Stephen­son que c’était pas pour eux. Ca n’a pas dû très bien se vendre.
    Anatem, je trouve qu’il y a des trucs qui ne fonctionnent pas, comme ces monas­tères sans Dieu, une idée de geek, et pourtant c’est sympa. Le monde hors monas­tère est cohérent, mais dans le tome 2 y’a des terres paral­lèles qui se pointent, dont une qui ressemble à la notre, et un espèce de rétro­fu­tu­risme général, bofbof. Mais je suis allé au bout pour pouvoir m’auto­ri­ser à penser que ça ne m’avait pas embal­lé, contrai­re­ment à Crypto­no­mi­con ou Snowcrash. Il a l’air brillant et intel­li­gent, mais il a l’air d’avoir des problèmes de vente, certains de ses romans ne sont pas traduits en français, donc je suis quand même content d’avoir soute­nu l’édi­teur. Au moins ça.

    • En plus moi je l’ai acheté d’occase donc on ne peut même pas dire que je supporte l’éditeur. Je ne pense pas avoir lu Snowcrash.

  2. Snowcrash = le Samou­raï virtuel, une grosse claque à l’époque, qui ouvrait de nouveaux horizons, dans la mouvance du Neuro­man­cien de William Gibson.
    Méfions-nous : les romans cyber­punk vieillissent plus vite que les autres.

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