Aujourd’hui, deux œuvres SF venues de loin avec des thématiques très dépaysantes. Mais est-ce bien judicieux de relire ces vieilleries ?
Retour à Zéro ( Smolderen & Bourlaud – Ankhama )
Olivier Vatine continue vaille que vaille son projet pharaonique d’adapter Stefan Wul et, cette fois-ci, c’est Smolderen qui a décidé de travailler sur le premier roman de Wul : Retour à « 0 ».
En postface, on apprend que Wul décide de se mettre à l’écriture suite aux commentaires dépités de sa femme qui vient de se fader un roman SF qu’elle trouve bien nul. Wul s’est dit qu’il ne pouvait faire que mieux et il faut croire que les amateurs de l’époque aient été d’accord avec lui en lui décernant le grand prix du roman de science-fiction 1956. J’aurais peut-être été emballé à l’époque mais ça n’a pas été une lecture enthousiaste en 2015.
Dans un lointain futur, la Terre envoie ses criminels de guerre sur la Lune où ils ont construit une société qui rêve de se venger. L’ingénieur atomiste terrien Jâ Benal est envoyé en espion, chargé de contrecarrer les plans diaboliques des Lunaires. Il va découvrir une société dictatoriale où les femmes sont des esclaves. Et il va tout faire péter.
Je n’ai pas lu le roman mais on découvre dans la BD quelques idées fortes. Les scientifiques lunaires rapetissent des militaires envoyés lutter contre un virus à l’intérieur du corps du héros, thème repris au cinéma dans le fameux Voyage fantastique de Richard Fleischer donnant envie à Wul de porter plainte pour plagiat. Et le statut inférieur des femmes en font des victimes sexuelles ce qui poussera la belle Nira Slid à s’allier à Benal pour renverser la dictature lunaire – parce que sur Terre, les femmes sont mieux traitées, c’est bien connu.
Mais le récit souffre des poncifs de l’époque : le héros invincible aux nombreux pouvoirs qui renverse un régime à lui seul ou presque est juste très agaçant. En plus, le rythme du scénario est un peu perturbant : on a droit à une longue scène d’action pour l’arrivée du héros sur la Lune où il affronte des créatures lunaires mais le combat à l’intérieur du corps est traité de manière très résumée. En plus, le super vilain méchant n’apparaît qu’à la toute fin de l’histoire, ce qui fait qu’on s’en fiche un peu de savoir ce qui va lui arriver.
Je me suis un peu demandé ce qui avait poussé Smolderen a choisir ce premier roman assez bancal semble-t-il et il explique que c’est son goût pour les histoires ”automatiques” qui l’a motivé. Sauf que je n’ai pas compris l’intérêt d’adapter une histoire ”automatique”. Il faut que j’arrête de lire quelques temps du Smolderen : je suis favorablement intrigué par ses projets mais je n’y trouve pas mon compte.
Côté dessin, ce qui a bien motivé mon achat, Laurent Bourlaud fait un travail très ambitieux au crayon rehaussé de couleurs façon sérigraphie, plus inspiré par le visuel soviétique des années 30 que des pulps US des années 50. On retrouve une étrangeté de certains graphismes des années 70/80 (le groupe Bazooka, Nicole Claveloux…). Mais, à mon avis, ce décalage n’a pas suffi à transcender un récit à la structure plutôt classique.
On peut s’amuser à comparer ça avec le travail de Moebius qui part, lui, d’un graphisme terriblement référencé et classique pour donner à voir un univers entièrement inédit. Cette adaptation, c’est finalement de l’anti-Moebius.
Mais je suis tenté de pousser à l’achat pour une raison simple : proposer une autre SF, d’autres thématiques et un graphisme qui sort de l’ordinaire est un acte militant en ces temps tristounets.
La maison aux mille étages ( Jan Weiss – Bibliothèque Marabout )
Avec l’écrivain tchèque Jan Weiss, on remonte encore plus loin puisque sa Maison aux mille étages a été publié en 1929.
Un homme se réveille, amnésique, dans un bâtiment aux étages qui se succèdent. Il découvre peu à peu qu’il semble être le fameux détective Pierre Brock, chargé de faire obstacle à Muller, le maître du monde et le bâtiment n’est autre que Mullertown, une construction conçue pour s’élever sans cesse, étage par étage. Brock se rend compte aussi qu’il est invisible, un pouvoir qui va lui permettre de visiter Mullertown sans se faire repérer, de retrouver la princesse Tamara et de lutter contre Muller, l’homme qui posséde le monde et les étoiles. Mais quelles sont ces visions étranges de corps meurtris qui assaillent Brock ? Qui est-il réellement ?
On retrouve donc ici encore un héros au un pouvoir décisif – l’invisibilité – aux prises avec une dictature omniprésente et de nature quasi-divine. Mais Brock a aussi la fièvre exaltée et la faiblesse des personnages des films de l’époque qui courent échevelés et se cognent aux murs. Il ne sait pas qui il est réellement et ignore tout des règles de l’univers où il évolue. Il agit en réaction des événements sans aucune prise sur son destin semble-t-il…
Il faut un peu mériter le roman. Weiss s’est converti au marxisme et on croise dans la première partie des thématiques anti capitalistes/bourgeoises assez classiques. Le cinéma de Fritz Lang a dû aussi l’inspirer – comme la littérature feuilletonesque – avec un pouvoir omniprésent qui s’appuie sur des assassins aussi efficaces que cartoonesques – l’homme aux yeux artificiels, le poison qui fait vieillir… Mais peu à peu, une poésie de l’étrange se fait jour, les scènes quasi felliniennes se succèdent et la vérité grotesque du régime donne une impression de cauchemar éveillé fascinante – le départ vers les étoiles semble une étrange prémonition du sort des Juifs pendant la Seconde Guerre Mondiale. Et la scène érotique surprend agréablement quand on connaît la pruderie anglo-saxonne en science-fiction. À noter une mise en page inventive qui souligne les slogans, cris et autres pancartes.
La fin est malheureusement assez prévisible – même si elle permet des hypothèses de discussion intéressantes – mais j’ai eu envie d’en savoir plus sur l’auteur. C’est que l’on annonce Le régiment fou, Du cheval blanc et Le pays des petits-fils ! Sauf qu’il n’y a aucune trace de ces romans en langue française sur le Web.
Bon, tu me donnes envie de lire un roman de SF de Wul pour le coup, et pour voir, connaissant le monsieur de nom, mais n’ayant pas eu l’occasion de jamais le lire. (ou je ne m’en souviens plus…)
*A noter le zinc aux cabines passagers dans les ailes, en haut de la 1ère planche. Ce n’est pas que SF : Junkers a sorti son gros G‑38 à la fin des années 30, avec cabines supplémentaires (peu confortables paraît-il) placées à l’emplanture des ailes. La vue devait être sympa de là, en vol. Bon, ce n’est pas l’occupation à outrance de toute la longueur des ailes, mais fallait quand même y penser. Voir ici :
Après, il y a eu x projets d’avions futuristes + ou – délires de ce type, avec grande occupation des ailes, mais c’est toujours resté dans les cartons a priori.
Le graphisme de Bourlaud ne me séduit pas trop ceci dit…
C’est vraiment un style de dessin particulier et je peux comprendre que ça laisse froid.
Et bien vu le G‑38. J’ai l’impression qu’on retrouve le concept dans la vieille SF des années 30.
*Rectificatif, petite erreur, le G‑38 est né à la fin des années 20… :-). Et a donc volé au début des années 30, pendant au moins une décennie. (Arrêté avec la guerre je présume)
Je repense à Bazooka que tu cites plus haut. J’étais étudiant à leurs débuts, et aux Beaux-Arts on entendait parler d’eux (et voyait leur travail). C’était assez déjanté, et novateur aussi par l’emploi de trucs rétros il est vrai. Une sorte de néo-rétro, précurseur de la vague qui a suivi un peu dans tous les domaines, dont l’auto et la moto notamment. A l’époque j’aimais leur production… mais pas tout. Ca m’inspirait même à suivre un peu la démarche dans mes boulots des Beaux-Arts.
Ils avaient le mérite – pour moi – de travailler sur un système figuratif (même si inspiré par Warhol si j’ai bien tout suivi.
Inspiration Warhol je dirais pas ça, mais plutôt un travail associant photo et dessin dans la mouvance Métal Hurlant (les 2 Picasso surtout, Kiki et Loulou…) et ”teinté” de punk et rock. Je viens de découvrir qu’un blog a existé jusqu’au début 2011, avec un style qui n’a pas changé dans leur production, depuis les seventies. Pas bien parcouru encore, mais ça semble dénué de tout commentaire, que ce soit d’eux-mêmes ou de visiteurs éventuels. Par ici pour le coup d’œil :
http://undreground.canalblog.com/archives/index.html
Ils ont fait deux ou trois trucs pour Métal mais je ne pense pas qu’ils étaient vraiment dans l’équipe. Ils faisaient partie d’une mouvance graphique parisienne de l’époque et les gens devaient pas mal se croiser – aux Bains Douches :-)