Aventures de Huckleberry Finn (Mark Twain – Tristram)

Pour accom­pa­gner mon voyage trans­at­lan­tique, j’ai choisi un énorme classique de la litté­ra­ture étatsun­sienne, le ”Huckle­ber­ry Finn” de Mark Twain. Cela faisait un sacré bout de temps que je voulais le lire, intri­gué par cette histoire de gamin qui descend le Missis­si­pi en radeau accom­pa­gné d’un Noir fugitif. Au point de le propo­ser en adapta­tion pour la collec­tion Ex-Libris. Mais la place était déjà prise et même moulte­ment prise puisque Soleil publiait sa propre version de Tom Sawyer (le livre qui précède Huckle­ber­ry Finn). Autant dire que j’ai fait un peu la grimace devant deux adapta­tions très manga/​ligne claire de ce qui me semblait relever de l’obs­cu­ri­té, le rapport à la nature et le clapo­tis des vagues. Ben avant de râler, je ferais mieux de le lire ce satané bouquin !
Tristram propose dans cette édition une nouvelle traduc­tion intégrale de Bernard Hœpff­ner qui semble bien plus fidèle que les précé­dentes accusées d’arron­dir les angles voire de polir un texte que les éditeurs français consi­dé­raient comme ”jeunesse”. Je n’ai pas encore lu le Tom Sawyer (c’est l’Amé­rique !) qui semble avoir été moins marquants pour l’His­toire de la Littérature.
Première surprise, le récit est narré par Huckle­ber­ry Finn lui-même, un petit gars de la campagne du Sud des États-Unis avant la Guerre de Séces­sion qui vient à peine d’apprendre à lire et à écrire. On a donc un peu l’impres­sion de retrou­ver un cousin du petit Nicolas mais qui s’embrouillerait pas mal dans son vocabu­laire au point d’inven­ter, de mélan­ger de nombreux mots ou de malme­ner la syntaxe et la grammaire. La possi­bi­li­té de voir le monde à travers les yeux d’un gamin épris de liber­té est un des grands charmes du livre.
Huck a été ”adopté” par la tante Polly suite à ses aventures narrées dans Tom Sawyer qui lui ont rappor­té un petit pécule. Attiré par l’or, son père, une brute avinée de la pire espèce, vient le récla­mer. Face aux crises de démences de son pater­nel, Huck décide de prendre la fuite en faisant croire à son assas­si­nat par un rodeur. Il croise sur son chemin un esclave noir en fuite, Jim, qui est du coup suspec­té de l’assas­si­nat de Huck. Les deux décident de descendre le fleuve jusqu’à une ville qui accep­te­rait Jim sans un grave cas de conscience pour Huck : un vrai garçon du Sud honnête et moral ne laisse­rait jamais un esclave s’enfuir. Il se résigne donc à pencher du côté du Mal…
De nombreux commen­taires glanés ici et là soulignent la prise de conscience de Huck face à la détresse de Jim. Je n’ai pas eu l’impres­sion que ce soit le thème princi­pal du livre. Même si Huck conclut que Jim est bien un être humain comme lui, il ne peut pas s’empêcher de garder un petit senti­ment de supério­ri­té devant un Jim super­sti­tieux et très crédule. C’est d’ailleurs une belle idée de Twain : montrer Jim comme un futur Obama n’aurait rien donné de vraiment passionnant.
On sait que Twain a navigué sur le Missis­si­pi et le livre est une espèce d’hom­mage au fleuve. Les deux person­nages sont en parfaite commu­nion avec la nature qui les entoure et le récit se présente comme une succes­sion de péripé­ties où plages de calme et aventures mouve­men­tées se succèdent. Le thème qui m’a le plus marqué est celui du mensonge ou du moins de l’inven­tion. Huck passe son temps à mentir par obliga­tion : puisqu’il est censé être mort, il doit cacher son identi­té aux personnes qu’il croise au point même de se dégui­ser en petite fille à un moment donné. Ensuite, les deux amis croisent le chemin de deux escrocs incroyables qui se font passer pour roi et duc dans une suren­chère de rodomon­tades. Ils finissent par escro­quer de pauvres orphe­lins ce qui condui­ra Huck aux pires extré­mi­tés : il va falloir dire la vérité. Pendant ce temps, Jim est arrêté et Huck se présente à la famille qui le retient prison­nier et se fait passer pour … Tom Sawyer. Ce dernier le rejoint rapide­ment et les deux s’empressent de trouver un moyen de faire évader Jim d’une pauvre cabane. Mais la facili­té n’est pas du goût de Tom qui est litté­ra­le­ment perdu dans ses rêves de romans de cape et d’épée. La tenta­tive d’éva­sion se trans­forme en une construc­tion romanesque incroyable, véritable parabole sur la création littéraire.
Un magni­fique roman qui va bien au delà de la réputa­tion ”jeunesse” qu’on lui colle oscil­lant entre drôle­rie et vision très ironique de l’Humanité.

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15 commentaires

  1. Belle chonique qui donne envie de lire ce récit :-)

    J’ai vu deux ou trois fois le film hollyw­wo­dien qui a été tiré de ce livre et qui s’appelle ”Aventures sur le Fleuve”. J’avais le senti­ment que l’essen­tiel y était et que la lecture n’appor­te­rait rien de plus. Me serais-je trompé ?

  2. J’ai un peu de mal à imagi­ner que Holly­wood puisse conser­ver la poésie, l’iro­nie mordante et surtout le carac­tère très parti­cu­lier de Jim qui est proche du vieux maboul frous­sard et plein de bonnes intentions.

  3. Je suis d’accord, et c’est pour cette raison que cela me tente d’essayer le livre. Il faut dire que j’ai lu jadis les ”Contes Choisis” (en français bien sûr) de Mark Twain et j’ai pu y décou­vrir son ironie et sa truculence.

  4. Excel­lente nouvelle traduction,puisque l’on découvre vraiment le ”jus” de Mark Twain…A laisser tel quel!Pas en BD!Ou alors dans une édition de hors-texte…

  5. ah,mais c’était pas un (trééés mauvais)jeu de mots…Les hors-texte,c’est bien comme ça qu’on appelle les illus­tra­tions disper­sées au coeur d’un roman?Non?Hein ?

  6. Très bonne critique. J’ avais lu ”les Aventures de Tom Sawyer” et j’ avais pu goûter aux grandes quali­tés d’ écrivain du Monsieur, là, je me dis qu’ un d’ ces jours , va falloir que j’ me ”fasse” ç’ ui-là.. C’ est vrai que c’ est déjà très visuel mais bon, pas inadap­table peut-être, pour quelqu’ un qui travaille­rait DANS L’ ESPRIT (j’ ai un bibio­thèque verte illus­tré par Billon…). Alors qu’ il se peut qu’ une mise en image + ”classique” même par le grand ROSSI que j’ adore ne rajoute pas énormé­ment ( mais bon, le bayou par Rossi c’ est quelque chose…). Faut voir (c’ est le cas de le dire, sic !)

  7. Twain, suite.
    Petite note pour signa­ler une (relative) injus­tice qui me laisse un peu triste comme éditeur : Freddy Michals­ki (le traduc­teur de James Ellroy) traduit depuis 2002 l’œuvre de Mark Twain pour les éditions L’Oeil d’Or : on y trouve Le journal d’Adam, le Journal d’Eve, L’Étran­ger mysté­rieux (inédit), les Lettres de la terre (inédit), Le Préten­dant améri­cain (inédit)… et Hucle­ber­ry Finn, dans une tout aussi nouvelle traduc­tion… Et cette fois ci, il y a des ”hors textes” : chaque livre est accom­pa­gnées d gravures de Sarah d’Hayer. Bon voilà, c’est dit…

    • Voilà une mise au point instruc­tive. Mais vous compren­drez que je ne sois pas au courant de toutes les éditions de Huckle­ber­ry :-) Je vais quand même me pencher sur votre catalogue (quoique je ne pense pas rache­ter le livre de Twain pour l’occasion).

  8. Le préten­dant améri­cain n’est pas inédit, mais a été traduit depuis longtemps.

    Par ailleurs, cette nouvelle « nouvelle » traduc­tion me laisse d’emblée perplexe… traduire par « il a pas racon­té de craques », là où Twain dit simple­ment : « he told the truth », ben ça donne pas envie de continuer.

  9. J’com­prends Londo.
    ”Le mieux est l’enne­mi du bien”
    ”tradut­tore : traditore”
    (le citeur fou a encore frappé).

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