Écrire des nouvelles en hommage à un auteur et à son univers, quelle drôle d’idée… Comment retrouver l’écriture scintillante de Jack Vance, son ironie mordante et l’atmosphère crépusculaire de la Terre Mourante sans frôler la caricature ? La création de Vance me paraissant d’un équilibre tellement délicat, issu aussi bien d’une solide culture que d’une forme d’improvisation nonchalante qu’un hommage m’a parut un exercice particulièrement casse-gueule. Ce n’est pas pour rien qu’il n’existe aucune adaptation cinématographique ou télévisuelle de son œuvre – pauvres auteurs de BD présomptueux…
Bref, il a fallut attendre Nouel pour que je me fasse offrir ce recueil. Après tout, il faut assumer sa fanattitude. Et puis il y avait quand même du joli monde dans ce premier volume.
La Terre Mourante, un des rares cycles fantasy de Vance, est composé de trois parties différentes : Un monde magique, sombre et romantique, les histoires de Cugel, sardoniques et cruelles, et Rhialto le Merveilleux, le plus faible des trois. Sur une Terre crépusculaire qui s’attend à voir disparaître le Soleil un jour très prochain, de puissants magiciens calfeutrés dans leur tour d’ivoire méditent sur l’Amour et la Mort quand ils ne créent pas des créatures hybrides, se font escroquer ou se retrouvent aux prises avec des concurrents forcément déloyaux. L’esprit est très éloigné de la fantasy tendance Seigneur des Anneaux, beaucoup plus poétique et ironique avec la pointe d’efficacité caractéristique de Vance. Cet univers a inspiré beaucoup d’autres artistes (Arleston aurait aimé l’adapter en BD) et notamment des écrivains US fameux qui l’ont découvert dans leur adolescence pour la plupart. D’où ce recueil présenté par Gardner Dozois et George R.R. Martin – oui, oui, celui qui fabrique des toilettes en métal.
Après une préface de Dean Koontz et une autre de Jack Vance himself – ironique genre ”ah ah, essayez toujours de faire aussi bien que moi, bande de minots”, on attaque les histoires.
Le Cru Véritable d’Erzuine Thale – Robert Silverberg, je l’ai aimé pour ses histoires SF tendance Nouvelle Vague (L’oreille interne, Les Ailes de la Nuit – qu’il faudrait que je relise tiens et qui parle aussi d’une Terre Mourante – ou Le Livre des Crânes) mais je n’ai pas du tout aimé sa fantasy du Cycle de Majipoor.
Erzuine Thale est riche et poète mais il n’attend plus que la Mort en buvant tranquillement sa faramineuse réserve de grands vins. Trois individus louches se présentent chez lui et, s’ils se déclarent amateurs de sa poésie, ils semblent plus en vouloir à ses trésors.
Une histoire gentille d’amateur de vin où on retrouve le thème du plus malin à la fin très Cugelien. Gentil sans plus.
La Porte Copse – Terry Dowling n’a pas l’air d’être traduit en France et il a, en plus de son œuvre, publié deux anthologies consacrées à Jack Vance.
Amberlin le Moindre a découvert une porte secrète sur les ruines de l’ancien manoir de l’archimage Eunepheos le Ténébreux. Malheureusement, il est suivi de près par deux concurrents redoutables, Sarimance l’Aspurge et Tralques qui lui a lancé un sort ne lui permettant plus d’articuler correctement (dans la Terre Mourante, les magiciens récitent un sort pour qu’il soit efficace et ils ne peuvent en mémoriser qu’un nombre limité – ce qui a inspiré le système de magie de Donjons & Dragons). Le voilà obligé de participer à un concours du meilleur magicien et il est très mal barré.
Une nouvelle agréable, bien fichue sans être transcendante.
Le Bon Magicien – Glen Cook est un auteur fantasy célèbre mais je n’ai jamais rien lu de lui.
Alfaro Morag est un jeune magicien ambitieux qui découvre par hasard que la cité d’Amuldar créée par le Bon Magicien n’a pas été détruite comme on le pensait. À la suite d’une troupe de magiciens fameux partagés entre excitation et inquiétude, il part à la découverte d’Amuldar.
Plutôt inspirée par Rhialto où l’on voyait déjà une troupe de magiciens – des gens pourtant peu portées à l’instinct grégaire – confrontés à des difficultés communes, l’histoire fonctionne très bien et respecte parfaitement l’esprit Vancien.
L’Université de Maugie – Byron Tetrick est un ancien pilote militaire et civil. C’est aussi un ancien ami de Vance et il se pique d’écrire.
Dringo est à la recherche de son père qu’il n’a jamais connu. Il croise sur son chemin Gasterlo, jeune élève de l’école de magie qui le fait entrer dans ladite école.
Une école de magie ? La recherche d’un père ? Des gens sympathiques qui s’encouragent ? Tetrick a dû confondre la Terre Mourante et Harry Potter. J’imagine que cette nouvelle apparaît dans ce volume grâce à l’amitié que portait Vance à Tetrick parce qu’elle n’est vraiment pas bonne et ne respecte en rien l’esprit Vancien à mes yeux.
Abrizonde – Walter Jon Williams est l’auteur d’un des plus fameux roman cyberpunk, Câblé, et je ne l’ai pas lu.
Vespanus de Roë est un jeune magicien qui s’est spécialisé dans l’architecture. Grâce à son sandestin – démon mineur lié par contrat au magicien (chez Vance, les sandestins sont ronchons et tentent d’échapper à leur servage tandis que le magicien s’emploie à les garder à son service le plus longtemps possible) – il fabrique palais et œuvres d’art pour une clientèle fortunée. Lors d’un périple, il s’arrête au château d’Abrizonde qui garde un passage et permet de lever des taxes confortables. Malheureusement pour lui, il s’y retrouve coincé entre deux armées qui ont décidé de s’accaparer le château. Il va falloir se montrer très malin.
On m’aurait vendu l’histoire comme une nouvelle de Vance, je l’aurai gobé sans sourciller. Pleine de fantaisie et de mauvaise foi, c’est l’histoire la plus fidèle à l’esprit Vancien et en plus elle est réussie.
Une nuit au Chalet du Lac – On ne présente plus George R.R. Martin, l’auteur du Trône de Fer.
La Terre est vraiment Mourante pour le coup et les magiciens perdent petit à petit leurs pouvoirs au point d’être pourchassés par les mystérieuses Lames de la Nuit. Molloqos le Mélancolique décide de faire un arrêt à l’auberge du Chalet du Lac même si celui-ci ne semble pas être ce qu’il prétend. Il va y retrouver toute une floppée de personnages hauts en couleur et y passer une nuit mouvementée.
Si on retrouve une partie du bestiaire Vancien et l’humour noir de ce dernier, la thématique – les intérêts et conflits multiples entre personnages qui jouent un rôle – en est assez éloignée. Mais j’ai pris beaucoup de plaisir à suivre les mésaventures d’antihéros tous plus vils les uns que les autres.
La dernière quête du Mage Sarnod – S’il fallait un auteur pour me convaincre de lire ce livre, Jeff VanderMeer était le candidat idéal. J’avais été fasciné par sa Cité des Saints et des Fous et je regrette que rien d’autre de lui n’ait été traduit en français.
Sarnod est devenu un très très vieux magicien et il se sent vaguement oppressé. Lorsque surgit de la Bouche, la porte qui permet de rejoindre l’univers inférieur où il a banni tous ses ennemis, un Nez qui lui rappelle son amour trahi, il décide d’envoyer ses deux serviteurs à la recherche de son frère et son ancienne bien aimée.
Inutile de se voiler la face, c’est le récit le moins Vancien de tous. VanderMeer nous fait visiter un enfer effrayant mais où l’amour n’est pas tout à fait éteint. Il multiplie les créatures étranges et on finit par oublier complètement que l’on est dans un hommage à Vance. Tant mieux, c’est une nouvelle fascinante qui reprend quand même le thème des cuves du Monde magique.
Alors, l’acheter, pas l’acheter ? Personnellement, je conseillerai d’attendre une version poche à moins que vous ne soyez un fan absolu de tout ce qui touche à Vance. Mais on n’est pas volé, c’est déjà beaucoup et un second volume avec d’autres auteurs est disponible (mais pas de Gene Wolfe dedans, argh). Si vous n’avez pas lu les bouquins de Vance en question, je vous conseille quand même de commencer par ces derniers – ils ont plus que bien vieilli.
Je ne peux pas m’empêcher de faire un petit commentaire sur la maquette de couv que je trouve très déséquilibrée – un peu comme l’illustration d’ailleurs.
Je confirme pour la maquette. Le pompon étant remporté par l’esperluette à moitié bouffée par le grand G.
Tu m’as fait peur, j’ai cru avoir laissé trop de fautes d’orthographe. J’ai eu l’impression que l’illustrateur avait prévu un titre en haut et que ça ne s’est pas fait finalement.
Pour une version poche, je crois qu’on peut attendre longtemps, les livres d’ActuSF restent chez ActuSF il me semble…
En tout cas, j’ai bien l’intention de lire ces recueils-hommages, quand j’aurais avant toute chose finit de lire le cycle de la Terre Mourante (seulement le premier volume lu pour le moment). Il faut bien avouer que le casting est alléchant !
Ça m’étonnerait qu’ils refusent une édition Poche une fois un peu de temps passé mais je ne sais rien de leur politique – si c’est le cas, leurs auteurs doivent être un peu déprimé.
C’est sûr que c’est une belle brochette. Ce qui permet peut-être à Vance de reprendre de l’importance littéraire dans le genre ?