Je n’avais jamais eu l’occasion de visionner le film de Brian de Palma tiré du fameux roman de James Ellroy et son passage à la télé il y a peu m’a permis de vérifier si c’était aussi mauvais qu’on le clamait partout. La première demi-heure se passait parfaitement bien et je me demandais ce que l’on pouvait reprocher à ce film lorsque…
Un des grands avantages de ce film, c’est que l’on a une folle envie de reprendre le bouquin pour voir ce qui a été gardé/modifié. Dwight Bucky Bleichert et Leland Lee Blanchard sont deux anciens boxeurs rentrés dans la police de Los Angeles pour de mauvaises raisons (ou d’excellentes selon le point de vue) amenés à reprendre les gants pour le grand bénéfice de leur service. Une amitié nait pimentée d’une relation à trois quand Bleichert tombe amoureux de la petite amie de Blanchard, Kay Lake. Mais l’équilibre atteint est fortement mis à mal par la découverte dans un terrain vague du corps supplicié d’une fille légère, Betty Short surnommée le Dahlia Noir. Inspiré d’une affaire criminelle réelle (cf. mon billet ici), le roman permet tout d’abord à Ellroy d’exorciser la mort de sa mère assassinée dans la même période à Los Angeles alors qu’il n’était qu’un gamin. Sa fascination pour le personnage du Dahlia est projetée dans les deux policiers dont la vie est littéralement explosée par ce cadavre. Une longue enquête de plusieurs années commence pour Bleichert qui traverse toutes les couches sociales de Los Angeles et dont la rédemption passe par l’amour.
Assez bizarrement, le film tente de reprendre TOUT ce qu’il y a dans le livre. Mais comme ce n’est pas possible, il finit par oublier des choses importantes en route, multiplie les déductions artificielles (ce qui a nécessité plusieurs mois de cogitation pour le héros prends 20 secondes à l’écran) et simplifie les personnages de manière outrancière. Bleichert est un personnage sans avenir avant sa rencontre avec Blanchard dans le bouquin, pas clair dans son passé. Le film en fait un personnage positif et limite niaiseux. Du coup, le personnage de Blanchard, policier surdoué et modèle inconscient pour Bleichert devient LE personnage du film sauf que… Franchement, il y a de belles choses dans le début de ce film : le combat de boxe, la scène d’échanges de coups de feu suivi de la découverte du corps du Dahlia sont magnifiques.
Dans les trucs gênants : le mauvais casting de Scarlett Johansson dans le rôle de Kay (alors que Hilary Swank qui joue un autre personnage féminin important aurait été parfaite) pas fichue de se débrouiller avec son fume cigarette, une scène de meurtre importante pour l’histoire, mais résumée de manière grotesque et enfin une résolution qui tourne au grand cirque (je soupçonne De Palma de s’être rendu compte que le scénario ne pouvait tout simplement pas fonctionner en l’état et s’être laissé aller au délire) laissent le spectateur dans un état hébétude avancé. De Palma a eu quand même une idée assez géniale : faire revivre le Dahlia à travers les bouts d’essais qu’elle fait pour des producteurs. On la voit très mauvaise actrice et en même temps très touchante par son besoin d’exister, ce qui correspond parfaitement au personnage. Et hop, par-derrière, une scène de boîte lesbienne complètement artificielle (Broadway chez les lesbiennes dans le LA des années 50, vous y croyez vous ?) et un film ”pornographique” digne de M6 finit par vaincre tous vos espoirs.
J’avais gardé un souvenir mitigé de ce roman. Découvrir Ellroy, c’est plonger dans un univers très dur et si on n’a pas l’habitude, on peut être un peu nauséeux/perdu mais sa relecture s’est révélé un vrai plaisir, surtout avec une bonne connaissance de l’affaire. On voit que les intuitions de Ellroy et sa parfaite connaissance des mécanismes policiers donnent un portrait saisissant du Los Angeles de l’époque.
Le grand nulle part
Emballé par ce premier volume, j’ai attaqué aussi sec Le grand nulle part qui voit revenir deux personnages du Dahlia : Ellis Loew, procureur ambitieux qui décide de s’attaquer aux syndicats de gauche de l’industrie du cinéma et Buzz Meeks, ancien policier homme à tout faire d’Howard Hughes et familier du gangster Mickey Cohen. Un jeune policier ambitieux, Danny Upshaw, enquête sur des meurtres horribles qui frappent des homosexuels en parallèle de son engagement dans l’équipe de Loew qui lui demande d’infiltrer un groupe de gauchiste d’Hollywood. Même si on retrouve la plupart des qualités narratives d’Ellroy, ce roman est moins fascinant. On a constamment l’impression de découvrir Hollywood par le petit côté de la lorgnette et sa description de gauchistes complètement décadents et engagés pour de mauvaises raisons m’avait laissé perplexe à la première lecture. Finalement, ça reste un excellent livre mais sans le souffle du Dahlia. Reste l’arrivée du personnage de l’inspecteur Dudley Smith, personnage à la Orson Welles, manipulateur et grande gueule qui s’imposera dans les volumes suivants.
En grande fan d’Ellroy, je ne pouvais que laisser un message après ton billet !
Principe de base : tout film de De Palma contient au moins deux scènes sublimes. Ici, on serait bien en peine de les citer ! Ce sont plutôt des scènes non abouties, ridicules qui pullulent malheureusement. Mon exemple préféré reste la scène du dîner : un must du n’importe quoi régnant dans le film !
Le plus étonnant quand on reprend le livre, c’est de s’apercevoir que les scènes les plus marquantes, les plus cinématographiques, n’aient pas été tournées…
Reste alors une seule chose à sauver – signalée par tes soins d’ailleurs : les apparitions furtives du Dahlia. (Quand à l’erreur de casting, je suis contente de voir que je ne suis pas la seule à trouver que les deux actrices auraient dû échanger leur rôle !)
Concernant les livres, Le Dahlia est le livre de la liberté, celui où Ellroy s’affranchir de plusieurs contraintes (Nombre de pages, intrigues, écriture,…) et s’aperçoit qu’il peut désormais tout écrire. Bref, le pivot qui annonce toute l’oeuvre Ellroyenne (ça se dit ça ?) mais pas l’Oeuvre Ultime. Le premier chef d’oeuvre LE GRAND NULLE PART vient juste après ! LA Confidential est en cran en dessous. White Jazz amorce le style d’écriture télégraphique et enfin le temps suspend son vol avec American Tabloid, probablement le plus grand roman américain jamais écrit. Et qui plombe définitivement d’indigestion tout lecteur tentant de commencer l’oeuvre Ellroyenne (Allez c’est adopté !) par ce dernier !
Ca fait quelques années que je me demande comment réussir une adaptation BD de Ellroy. Quelques années que j’ai envie de m’y coller. Difficile de commencer par les nouvelles, toutes mauvaises. (Les editions Paquet s’y sont essayé) Faut obligatoirement se coller sur du lourd. Au moins la trilogie Loydd Hopkins. Je tire mon chapeau au premier projet qui réussira !
Mon préféré reste LA Confidential qui est une vraie grande épopée lyrique. American tabloïd m’a laissé de marbre. Soit le sujet ne m’a pas intéressé soit j’étais mal luné…
En tous les cas, merci pour ce long commentaire qui met un peu d’animation avant Noël :-)
Tout est dit…
Niveau adaptation ciné, Curtis Hanson s’était pas mal débrouillé avec LA Confidential, non ?
C’était un film satisfaisant. Après, était-ce une ”bonne” adaptation ? Lisez les livres.
Justement malin, je l’ai lu LA Confidential – comme le reste de la tétralogie.
Bon alors t’as vu ce qu’ils n’ont pas pu mettre dans le film :-)
Oui mais par essence à part des livres de 50 pages, tu ne peux pas tout garder dans une adaptation ciné. Le LA Confidential de Hanson me paraît beaucoup plus solide et cohérent – rien que dans le casting, la narration – que le Dahlia noir de De Palma, ce véritable naufrage – notamment pour les raisons que tu indiques. Après, ce sont les dimensions et le choix des impasses qui font la différence…
Je ne te contredirai pas. Disons que j’ai regardé le film sans trop me poser la question de l’adaptation qui me paraissait impossible dans le format donné.