Après Le Pouvoir, voilà donc le second ouvrage de Frank M. Robinson publié en France, cette fois-ci de la SF que l’on pourrait qualifier de classique.
Moineau se réveille. Il a dix sept ans, il est à bord d’un vaisseau d’exploration humain qui parcourt l’univers à la recherche de vie extra-terrestre et tout ce dont il se rappelle, c’est qu’il a failli mourir sur une des planètes visitées. Le voilà redécouvrant un vaisseau de 2000 ans d’âge et son équipage qui ne le regarde pas tout le temps d’un bon oeil. Qui sont ses amis, qui sont ses ennemis, pas évident de lire l’âme humaine quand on est un jeune adulte plein d’énergie qui redécouvre les relations humaines. Et encore, ce ne serait que ça : après 2000 ans de voyage sans aucun succès, le Capitaine a décidé de traverser un espace vierge de toute planète, une immense zone vide où le vaisseau risque de s’échouer par manque de matières première. Et le Capitaine c’est Dieu à bord. Après tout, il est immortel…
Comme pour Le Pouvoir, on a droit à un grand roman paranoïaque accentué par la claustrophobie. Les rapports de Moineau avec son entourage sont plein de non-dits, de sous-entendus et d’une attente qui le dépasse. Malgré les amitiés et les amours, il semble qu’il ne puisse faire confiance à personne. Rien qu’avec ça, on tiendrait un bon bouquin. Mais Robinson va encore plus loin : il s’interroge sur la constitution d’une société repliée sur elle-même, ses rites amoureux ou reproductifs, la façon dont elle peut survivre au voyage. Et enfin, l’histoire elle-même se dévoile strate par strate, de manière parfaitement cohérente avec un sens du rebondissement impressionnant. Les premières et dernières phrases sont deux petits bijous et entre ces deux là, un roman SF incontournable.
Je garde un excellent souvenir de ce roman, plus profond qu’un ”simple” space-opera.
Il mérite vraiment d’être plus connu.
@Lorhkan : en tous les cas, je sais que je vais l’offrir :-)
J’ai aussi beaucoup aimé ce ”Destination Ténèbres”, qui m’a donné l’impression d’être un space opera qui donne des accès de claustrophobie… Un huis-clos dans l’espace.
A.C.
@A.C. de Haenne : j’ignore si on peut le classer dans le space-opera d’ailleurs. Merci pour ce premier commentaire :-)
La forme du space-opera me semble ici subvertie par une imagerie issue des épopées maritimes de l’ancien temps, je ne peux m’empêcher de voir Marlon Brando dans le rôle de l’inflexible capitaine, comme si la science-fiction n’était là que comme un vernis d’ailleurs un peu craquelé (malgré les falsifs) maquillant une histoire très ancienne, mais plus j’avance, et plus cette épopée surfant sur le vide et le silence des espaces infinis m’effraie, jusqu’à l’atrocement ironique retournement final. Heureusement que j’ai pris mes médicaments contre le mal de mère, et que je ne suis pas dépressif.
Je ne sais pas si un bon livre peut rendre dépressif ? Quand on est dépressif, on n’a pas trop envie de lire, non ?
Nuançons notre propos ; d’après mon expérience, quand on est en dépression, on n’a pas envie de lire. D’ailleurs, on n’en est guère capable. Mais quand on se sait de tempérament dépressif, sans être plongé dans une crise aïgue, on peut chercher des lectures qui nous caressent dans le sens du poil (les livres déprimants conforteront alors nos valeurs et préférences) ou qui nous sortent de notre prison portative (le ”tout est foutu” en est un mantra fréquent)
Destination ténèbres est à la fois stimulant intellectuellement et profondément déprimant dans sa Weltanschauung. (je jure que je n’ai pas repris de Seroplex®)
J’avoue que je n’ai jamais analysé les raisons de mes choix de lecture. Ça part un peu dans tous les sens.
Je ne me serais peut-être pas embarqué dans Destination ténèbres si j’avais su de quoi il retournait, parce que je n’ai pas envie de flatter certaines tendances intérieures qui n’ont pas besoin d’être nourries si abondamment pour prospérer ; après, si on se doutait de ce qu’on allait lire avant de le lire, on le lirait pas. On est guidé par du désir, et le désir c’est du vivant. C’est le principal !