Il y a quelques temps, sur France Cul, une auteure de science-fiction défendait l’idée que le genre était utile à la société. Me faisant pousser des cris d’orfraie. Je m’en fiche de l’Art utile à la société ! Je suis Dada, Punk et fainéant tout à la fois.
Ce côté « utilitaire » a profondément contaminé la BD, un média passionnant parce qu’il avait son propre flux créatif indépendant des tendances et de l’utilitarisme. C’est maintenant un sous-produit du grand marché du livre, permettant d’aborder des sujets de société cruciaux avec un énorme sticker « date de péremption » collé dessus.
Grâce à Dieu, il existe des auteurs comme Iain M. Banks qui n’en font qu’à leur tête (ce qui ne les empêche pas de dire aussi des choses sur notre monde actuel). Effroyabl Ange1 n’est pas le titre d’un EP électro de Brian, 15 ans, mais bien un roman SF surprenant et inventif.
La Dévoration bouffe le ciel – et surtout le Soleil. La Terre n’en a plus pour longtemps mais les autorités, recluses dans une Tour qui rejoint le ciel, ne semblent pas en faire leur priorité, gérant leur pouvoir absolu et une guerre intestine qui s’étend jusqu’à la Crypte, dimension parallèle informatique (je ne trouve pas mieux). Voilà un roman déconcertant qui s’intéresse à plusieurs personnages (un gamin, Bascule, qui peut passer entre les deux dimensions), un responsable politique qui se fait assassiner en série au point de se retrouver sans plus une vie de secours et Asura, une jeune fille envoyée par la Crypte pour sauver la Terre. Chacune des parties paraît indépendante même si elles se déroulent dans le même univers. Chacune décrit avec précision un espace où tout est possible, où le temps et l’espace sont d’une souplesse élastique. Banks développe des récits cohérents où l’effet d’onirisme est produit par l’imaginaire sans limite (tout est quasiment concevable dans un monde qui maîtrise technologie et copie d’esprit) qui rappelle quelquefois Hayao Miyazaki. Rajoutons à ça que la partie consacrée à Bascule est écrite en phonétique (bonjour le travail de traduction) avec des personnages qui zozotent ou qui chuintent !
Finalement un objet littéraire SF retournant et stimulant mais qui pourra embarrasser les lecteurs épris de récit solide. Et on aimerait tellement retrouver Bascule qui est très drôle et très attachant. Bon, Banks nous a quittés, me voilà avec les auteurs utiles et mes regrets.
À remarquer que la couverture de Manchu est un peu à côté puisqu’elle fait référence aux premières pages et ne reflète pas du tout le contenu. Je vous ai mis du coup celle réalisée par Mark Salwowski.
Roman réputé longtemps intraduisible ou au prix de nœuds dans la tête, louons le travail de Anne-Sylvie Homassel (la traductrice) et de Jean-Luc A. D’Asciano (l’éditeur).
Iain M. Banks est grand !
(As-tu lu ”Un chant de pierre” ? Avec la guerre en Ukraine, le bouquin résonne de manière sinistre ?)
Oui, j’imagine bien le challenge de la traduction où on est obligé de perdre des références phonétiques. Pas lu *Un chant de pierre* qu’on m’avait conseillé il y a fort longtemps. Je vais tâcher de le trouver pas cher.
Merci les amis et – oui, elle sonnerait de lugubre façon, la relecture d’Un chant de pierre, ces temps-ci. Vive Banks !!
Bon, on peut difficilement dire ”Vive Banks” puisqu’il est mort mais je vais essayer de trouver ce Chant de pierre.