Fiction n°18 (Les Indés de l’Imaginaire)

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J’ai déjà parlé de la revue de SF/​fantastique/​fantasy Fiction mais, comme souvent avec les revues SF, j’ai cessé de l’ache­ter avant quelle ne s’arrête d’elle-même. Quoiqu’il en soit, une revue qui date de 1953 et qui a connu plusieurs vies ne peut pas crever comme ça. Il suffit de la cloner et hop, ça repart pour un tour !

Il y a de l’espace pour vous laisser crier

Cette nouvelle mouture frappe princi­pa­le­ment par … sa maquette. C’est propre, c’est clair, assez chic et classe et je n’ai vu qu’une faute de frappe.
Au sommaire, inter­views croisées, articles de vulga­ri­sa­tion scien­ti­fiques et litté­raires et nouvelles.

Le concept d’entre­tien croisé est intéres­sant : il met face à face deux écrivains qui discutent de leurs œuvre et des points communs des théma­tiques abordés dans leurs livres.

Pour Ayerdhal et Norman Spinrad, c’est l’enga­ge­ment politique qui ressort – les thèmes qui ne passent pas auprès des éditeurs, les contraintes édito­riales face à des problé­ma­tiques que l’on aimerait aborder en littérature…
Deux points faibles de cet entre­tien : Spinrad n’a rien lu d’Ayer­dhal et les références à une mythologie/​un combat très années 60/​70 – même si Spinrad n’est pas dupe – donne l’impres­sion quelque fois d’une discus­sion de baba cool. ”L’esprit rock’n roll n’est pas mort !”. Pitié.
Plus mauvaise question : ”Et ça te fait quoi de vivre avec une femme aussi belle que Dona ?”. Direct from Closer ?

Second entre­tien croisé : Justine Niogret et Jean-Philippe Jawors­ki autour du thème de la civili­sa­tion celtique.
Pour le coup, on atteint vite là les limites du concept. Sur un sujet que le lecteur ne maîtrise peut-être pas (c’est mon cas en tous les cas), on a droit à des références obscures qui font rire les deux inter­ve­nants (avec peu d’expli­ca­tion et pas de note de bas de page) le tout rédigé en ”langage parlé” qui donne l’impres­sion de suivre la discus­sion de deux geeks ados un peu hysté­riques à propos de leur jeu vidéo favori.
Si le but était de me donner envie de décou­vrir ou relire ces auteurs, c’est plutôt raté. Brusque­ment, je me suis dit que le dernier Jawors­ki pouvait bien attendre encore quelques temps. Mais c’est peut-être aussi que je n’en ai rien à battre des Celtes…

Science parlante

Les trois articles Avez-vous un visage si la machine ne le voit pas ? de Nicolas Nova – sur le thème de la recon­nais­sance faciale par les machines, les problèmes qu’elles rencontrent et les consé­quences éventuelles – Les mutants d’Alex Nikola­vitch – qui traite sur un spectre assez large de la présence des mutants dans la création imagi­naire et rappelle la défini­tion scien­ti­fique du mutant – et De la litté­ra­ture comme errance de Julie Proust Tanguy – les labyrinthes dans la litté­ra­ture et vice versa – se lisent bien et le dernier est même très stimulant.

Au milieu, un magni­fique ”truc” digne des Inrockup­tibles puisque nous avons droit à des photos de corps sur la plage signées Patrick Imbert associées à des courtes phrases de Cathe­rine Dufour (ex ”vendeuse de perles noires à Tahiti” = bijou­tière ? Parce que vendre des perles noires à Tahiti c’est aussi excep­tion­nel que de vendre du vin dans le Beaujo­lais…). Je n’ai pas vu l’inté­rêt ”imagi­naire” de la chose. La précé­dente version de Fiction essayait d’asso­cier l’image dessi­née au texte (une associa­tion très féconde dans le passé) sans réussite marquante (trop de second degré ? de référence ?) mais j’avoue que cette tenta­tive de photo/​texte me paraît parti­cu­liè­re­ment gonflante.

Retour vers le futur

Nous arrivons enfin aux textes ! Rappe­lons que la revue a été ressus­ci­tée suite à l’asso­cia­tion de trois éditeurs ActuSF, Mnémos et Les Moutons électriques qui en profitent pour vendre leurs poulains. Est-ce que ça aura une consé­quence édito­riale ? Voyons ça.

Hasard de naissance de Robin Hobb est un extrait de son dernier ouvrage. Un extrait ??? J’ai payé pour ça, malheur… Fanta­sy bien sympa­thique ma foi, je le lirai bien si je le trouve dans la biblio­thèque d’un ami.

Les Djinns funèbres de Timothée Rey – Sur Amaoré, vous pouvez être possé­dé par des Djinns (enfin des trucs intel­li­gents capables d’influer sur la matière) si vous n’êtes pas dûment proté­gés. Mthuli Ndouja est envoyé par sa boîte pour captu­rer ces choses – pas très légal – mais dès son arrivée, ça tourne mal. Un texte pas facile à appré­hen­der au départ, plein de mots inven­tés, mais sa richesse visuelle et l’humour certain qui s’en dégage (un hommage à Jack Vance qui rappelle en effet un peu Magnus Ridolph) donne envie d’en lire plus de l’auteur. L’uni­vers inspi­ré par les Comores semble-t-il (Amaoré = ”Mahorais” ?) avec les visages peints des habitants est très dépay­sant et fait bien voyager pour le coup.

Trajec­toire de Ken Liu – La vie de la première femme ayant suivie un traite­ment d’immor­ta­li­té. Liu dépasse le fantasme pour parler de choses très concrètes – la possi­bi­li­té avec le temps de changer, le choix de mourir, le temps qui passe… Mais il évacue très large­ment les consé­quences socié­tales et sociales de l’immor­ta­li­té pour – presque – tous.

Quatre cents millions d’années de réflexion de Steven Utley – Il me semblait avoir chroni­qué une nouvelle de Utley parue aussi dans Fiction mais impos­sible de la retrou­ver. Une assis­tante d’un génie scien­ti­fique qui a permis la décou­verte d’un univers paral­lèle resté à la période du Précam­brien l’accom­pagne sur place. Sauf qu’il ne se passe rien au Précam­brien et que son patron est obsédé par lui-même et qu’elle se demande ce qu’elle a fait de sa vie dans l’ombre du Grand Homme. Gentil sans plus.

Gipsy Nuke de Estelle Faye – À partir de l’expres­sion journa­lis­tique ”les gitans du nucléaire” désignant les travailleurs itiné­rants qui bossent à l’entre­tien des centrales dans des condi­tions déplo­rables et pour des salaires pas mieux, Faye imagine que ce sont de vrais Roms qui se chargent de ce sale boulot, menés par un mysté­rieux Roi Rouge caché dans Tcher­no­byl. Le héros crasseux à l’haleine de poney va séduire la reine de la Mafia ukrai­nienne, insen­si­bi­li­sée par un traite­ment médical et à la recherche de sensa­tions fortes.
Une espèce de thril­ler moderne post atomique avec un héros qui fait décou­vrir l’Amour à la sublime créature en manteau de vison en la chevau­chant sauva­ge­ment dans une chambre miteuse. C’est un peu SAS du regret­té Gérard de Villiers à la mode Madmax. Le plus déran­geant c’est que le récit est à la première personne et que j’ai n’ai jamais eu l’impres­sion d’être dans la tête d’un Rom. Et ça ressemble à une ébauche de roman vu les pistes abandon­nées. Ou le début d’une suite de nouvelles ?

La rive d’en face d’Elisa­beth Hand – un ancien danseur classique homosexuel garde une maison d’hôte hors saison près d’un lac sauvage réserve de volatile en tout genre. Un bel oiseau étrange passe.
Je n’ai même pas besoin d’en dire plus. C’est une struc­ture de conte classique à peine trans­po­sé et dans les années 60/​70, ça aurait été une jeune femme solitaire qui aurait croisé le bel oiseau. Une belle écriture qui frôle l’Arlequinade.

Pique-nique à Pente­côte de Rand B. Lee – un vaisseau attiré irrésis­ti­ble­ment par une planète. L’équi­page est englou­ti et l’on se retrouve dans la tête d’une survi­vante qui prend cher.
Sur le moment, j’ai cru être revenu dans les années 80 quand la SF française se grisait d’une écriture allumée – genre Soleil chaud, poisson des profon­deurs de Michel Jeury (enfin pour ce que je m’en souviens). Une espèce d’incan­ta­tion poétique chargée de trans­mettre une expérience autre. Assez étonnant et digne d’un dessin animé psyché­dé­lique. En fait, je suis sûr que ça fonction­ne­rait mieux en BD que par l’écrit pur.

DynaCos­tu­meTM de M.K. Hobson- Un cadre sup se repose entiè­re­ment sur l’Intel­li­gence Artifi­cielle qu’il a acquise à prix d’or pour conduire sa carrière et tous les détails de sa vie courante. Il l’appelle ”l’Ami” et n’a pas d’autre ami. Aujourd’­hui, il doit parti­ci­per à une réunion dont dépend son avenir et, évidem­ment, rien ne va se passer comme prévu.
Une appli­ca­tion très ironique de notre dépen­dance aux outils techno­lo­giques censés nous aider et qui nous coupent du monde. Mais les enjeux sont peu glorieux – qui s’inté­resse aux malheurs d’un cadre sup lambda peu sympa­thique ? La fin est maligne mais un peu artificielle.

Esprits tordus de Albert E. Coudrey – Un agent secret US est chargé de mettre en sécuri­té un trans­fuge russe… télépathe. Et doit mettre la main sur un mysté­rieux tueur qu’il surnomme Mandrake pour ses capaci­tés à déjouer tous les systèmes de protection.
Une histoire de pouvoirs psy ”à l’ancienne” très bien fichue – le person­nage du télépathe et son accli­ma­ta­tion dans un petit village perdu améri­cain sont très drôles.

Les véritables Chroniques Martiennes de John Sladek. Une famille moyenne améri­caine s’ins­talle sur Mars. Ambiance ”deses­pe­rate house­wives” et version ironique des fameuses nouvelles de Bradbu­ry.

Mot de la fin du monde

Bon, en me relisant, je me rends compte que je n’ai pas échap­pé à ma tendance moucat’. Mais malgré un bel embal­lage, on cherche un texte vraiment marquant. Avec le lance­ment de cette nouvelle formule, le lecteur lambda espérait sûrement un Prix Nebula ou Hugo. Seul une nouvelle m’a donné envie d’en savoir plus sur l’auteur, ce qui ne fait pas beaucoup.
Pour termi­ner sur une note plus positive, je dois dire que je ne me suis pas vraiment ennuyé et les nouvelles sont suffi­sam­ment variées pour qu’on attaque la suivante avec curiosité.
Le dernier numéro est dans les librai­ries et je vais encore tenter le coup.

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8 commentaires

  1. Compte-rendu au cordeau:de ce fait,ça va pousser quelques curio­si­tés timides;malgré tout​.La couver­ture évoque­rait presque Raymond Moret​ti​.Et alors justement:quelle place pour le dessin dans cette relance ?

    • Ben…aucune. Ça me déprime un peu que les revues SF françaises actuelles n’arrivent pas à utili­ser les nombreux artistes graphiques. Mais pour en avoir discu­té avec eux, c’est aussi le manque de moyen qui joue : ils ne peuvent pas payer correc­te­ment d’éven­tuels illus­tra­teurs et ils ne les solli­citent donc pas.

  2. La nouvelle marquante du recueil reste pour moi celle de Ken Liu, très émouvante.
    Mais c’est vrai que pour le reste, même si j’ai trouvé le tout agréable, ça manque d’un récit vraiment frappant, un truc qui fait dire ”ouah, pu**** !”.
    Et c’est d’ailleurs aussi valable pour le numéro 19, même si là encore, il n’y a rien de vraiment mauvais.
    Mais j’attends le texte choc, je verrai avec le numéro 20. J’avoue être plutôt charmé par la maquette, le format, et le conte­nu (très axé sur les nouvelles, avec un peu de rédac­tion­nel) de cette revue.

    • Je trouve assez déses­pé­rant que les revues françaises n’aient pas les moyens de publier les nouvelles/​novella qui ont reçu des prix presti­gieux. Pour l’ama­teur, c’est un peu comme de vivre dans un pays où le cinéma ne passe pas les films primés à Cannes…

      • Après un petite recherche rapide, il y a eu des récits récom­pen­sés par des prix presti­gieux (Hugo, Nebula, Locus, World Fanta­sy Award, etc…) dans les numéros 1, 2, 3, 5, 6, 7, 8, 15, 16, 17. Soit la moitié des numéros.
        La tendance semble tout de même être à la baisse dans la deuxième moitié des numéros sortis (un prix Imagi­nales pour une nouvelle du 17 par exemple, sans vouloir dévaluer un prix franco-français).
        Mais je compte bien me procu­rer le numéro 16 qui contient trois nouvelles de Ken Liu (un auteur dont on n’a pas fini d’entendre parler, en bien), dont une qui a tout raflé (Nebula, Hugo et World Fantasy).

        Après, les prix ne veulent pas toujours tout dire non plus. ;)

        • Oui mais tu parles de la ”première saison”, là. J’ai dû aller jusqu’au 7 et je ne sais même pas si je les ai tous lu… Ben même si les Prix ne font pas tout, on se rend compte qu’il y a quand même peu de déchets.

          • Jusqu’au 7 il y a quand même quelques nouvelles primées.
            Après, je suis d’accord, ça aurait été une bonne idée de mettre un ou deux textes primés pour vraiment lancer cette nouvelle formule sur du gros qualitatif.
            Espérons que pour le chiffre rond du 20 ce soit le cas…

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