Meurtres et poésie avec Pierre Véry

Pierre Véry, intégrale vol.1 (Le Masque)

J’ai un faible pour la litté­ra­ture de Pierre Véry, ces romans policiers qui ne se prennent pas vraiment au sérieux et qui se déroulent dans une province française pleine d’enfants criards, de vieux cassés en deux et d’églises remplies le dimanche.
Ses ouvrages sont réguliè­re­ment réédi­tés – du moins les plus connus – et à ma connais­sance, il n’existe que deux recueils un peu complets, ceux publiés par Le Masque. Voyons le volume 1.

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Les disparus de Saint-Agil (1935)

Proba­ble­ment le roman le plus connu de Véry suite au succès phéno­mé­nal du film qui en a été tiré par Chris­tian-Jaque.
Dans la pension de Saint-Agil, deux internes appar­te­nant à un même club secret dispa­raissent mysté­rieu­se­ment. Les autori­tés soupçonnent une fugue et refusent de céder à la panique mais un des ensei­gnants meurt.

Véry s’est inspi­ré de son adoles­cence en inter­nat et s’est amusé – avec énormé­ment de nostal­gie – à recréer les rêves de jeunes garçons enfer­més qui s’ima­ginent courir le monde, s’inventent des codes secrets et écrivent des romans d’aven­ture. Le lecteur moderne pourra s’éton­ner de l’inno­cence de ces jeunes gens (ils frisent les quinze ans et ne semblent pas avoir du tout les angoisses et les désirs des collé­giens d’aujourd’­hui) mais l’his­toire est écrite dans les années 30 et se déroule avant la première Guerre Mondiale – qui rôde d’ailleurs en arrière-plan.

Comme pour l’ensemble des récits de Véry, on a droit à un défilé de person­nages hauts en couleur et l’écri­ture n’a franche­ment pas pris de coup de vieux. Ça se lit comme si ça avait été écrit hier à quelques expres­sions près. Si vous le pouvez, éviter la préface de Véry qui explique ses inspi­ra­tions et qui spoile du coup pas mal le récit.
À remar­quer qu’il existe une édition illus­trée par Beuville que je n’ai toujours pas achetée.

Les anciens de Saint-Loup (1944)

Les anciens de Saint-Loup a eu droit aussi à une adapta­tion cinéma­to­gra­phique et il faut dire que ça fait penser à une espèce de suite aux Dispa­rus…. Le direc­teur de l’inter­nat de Saint-Loup a l’idée d’invi­ter une classe entière d’anciens élèves trente­naires – dont un banquier million­naire – pour essayer de les convaincre de finan­cer les travaux de l’école qui tombe litté­ra­le­ment en ruine. Mais les anciens pension­naires préfèrent replon­ger dans leurs souve­nirs d’enfance plutôt que de voir une vérité qui ne les intéresse guère.

Véry imagine les person­nages de Saint-Agil devenus plus vieux, passés à côté de leurs rêves ou les ayant vécu mais pas comme ils l’espé­raient – avec toujours la théma­tique du club secret qui rêve de partir à la conquête des Amériques. C’est un roman franche­ment sombre entre le déses­poir du vieux direc­teur qui voit son univers partir en morceaux, des anciens élèves qui ont perdu leur innocence d’enfance et une morte en attente. Et le lecteur moderne s’éton­ne­ra de ces trente­naires décrits comme des hommes mariés, avec des enfants et bien instal­lés dans leur métiers – proba­ble­ment un peu chargés par Valéry pour faire un contraste avec leur jeunesse – mais qui paraissent déjà très vieux.

Les héritiers d’Avril (1959)

Les héritiers d’Avril est une commande de Goscin­ny pour le magazine Pilote qui va se lancer. Le récit passe donc en feuille­ton illus­tré dans les premiers numéros de la fameuse revue.

Un vieux tonton qui a fait fortune aux USA lègue sa fortune à des neveux qui ne l’ont jamais connu. Une chasse au trésor s’engage menée par une troupe hétéro­clite et un détec­tive en herbe.

Une histoire très gentille – le méchant est facile à deviner – avec des person­nages étonnants comme toujours chez Véry. En prime, voici quelques pages tirées de Pilote – merci à Chris­tian Kastel­nik, respon­sable de nombreux lieux dédiés à la mémoire Pilote de me les avoir scannées.

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Le thé des vieilles dames (1937)

Dans un petit village bien tranquille débarque, à la poursuite de papillons papillon­nants, l’avo­cat Lepicq qui se lie d’ami­tié avec un club de vielles dames férues de sciences divina­toires. Un Lepicq qui décide de prolon­ger son séjour quand l’homme le plus détes­té du patelin est retrou­vé mort assassiné.
Entre fausses pistes et fakir omniscient, Véry s’amuse à décrire la vie d’un petit village replié dans ses habitudes, aux diffé­rentes couches sociales bien définies par la géogra­phie et aux rumeurs bruis­santes. Vieilles dames qui lisent l’ave­nir dans les astres, petites filles aux comptines obsédantes, maire ambitieux et vague­ment ridicule, tout un univers croqui­gno­let que Lepicq finit pas ne plus trouver si charmant au final.

Une des meilleurs histoires du recueil où Véry prend son temps et surprend réguliè­re­ment le lecteur par sa poésie mi sucrée mi amère.

Les Métamorphoses (1931)

Dans un vieux cabinet somnolent deux vieux archi­tectes perdus dans leur univers intérieur. Lorsque Jean Sucre, avec ses tics insup­por­tables et son hygiène de vie déplo­rable, s’éteint pendant sa sieste. Ce qui ne fait pas l’affaire de son collègue Flambi­nel à qui l’étude était promise. Alors qu’il se résout à la vente, un repre­neur se présente qui lui propose de reprendre comme avant. Mais telle­ment comme avant que, sous le regard fasci­né de Flambi­nel, le nouveau proprié­taire se trans­forme peu à peu en Sucre.

Une histoire fort fantas­tique très onirique – le vrai travail des deux archi­tectes est situé dans … leurs rêves où ils développent des bâtiments incroyables que personne ne leur deman­de­ra jamais de construire.
En paral­lèle, Véry développe encore une fois la perte de l’enfance avec un club de garne­ments qui rêve d’aven­tures et tente d’extor­quer – sans aucun succès – de l’argent à Sucre. Leur monde est par contre plus corsé que celui de St Agil avec les gamins qui vont fumer et boire une bière au bistrot du coin en reluquant du coin de l’œil les filles légères.

Le Meneur de jeu (1934)

Proba­ble­ment mon texte préfé­ré de ce premier volume.

Désiré Triboire est au bout du rouleau… Il a épuisé les écono­mies de ses parents à jouer au billard plutôt que de termi­ner ses études de médecine et il ne lui reste qu’une vieille bicoque perdue au fond de la Bretagne et des menhirs reçue en héritage. Mais un aimable fortu­né lui conseille de faire confiance à la magie et de suivre tous les signes qui se présen­te­raient à lui.
Et donc, un soir, alors qu’il hésite entre mourir de faim ou de faim mourir entre ses meubles/​valises (sic) reçus en héritage, on frappe à la porte. Casimir Gond, colleur d’affiches publi­ci­taires lui propose de voyager avec lui. Jusqu’à ce qu’ap­pa­raisse, sur une tour en ruine, le mot TRÉSOR. Une belle jeune fille, un vieillard fou, des frères cyclistes, toute une sarabande se forme autour de Désiré, jeune homme qui manque un peu de carac­tère malgré son physique avantageux.

C’est vraiment une histoire comme je les aime : une suite de mystères étonnants qui semblent se succé­der sans fin, des person­nages hauts en couleur au compor­te­ment étonnant – ils ressemblent fort aux héros des illus­trés de la jeunesse de Casimir qui en a retrou­vé tout un lot dans le grenier de sa tante. Finale­ment dépas­sé par les événe­ments, notre héros fuit l’aven­ture avant qu’elle ne la rattrape…
Je ne peux pas racon­ter la fin mais Véry réussit là où beaucoup échoue : inven­ter des mystères dont la résolu­tion est ironique et évidente quoique impos­sible à deviner pour le lecteur accroché.
Assez étran­ge­ment, le person­nage est encore un enfant mais qui a déjà perdu ses illusions au début de l’his­toire et qui lutte contre le retour de ses enthou­siasmes de jeunesse.
À noter une écriture plus sophis­ti­quée que dans les autres histoires.

Les clients du père Conscrit (1946)

Les clients du père Conscrit est un hommage au Arsène Lupin de Maurice Leblanc avec un enquê­teur plus fort que tous qui ridicu­lise la police mais le postfa­cier a senti le vent du boulet et suppose que le lecteur d’aujourd’­hui aura bien du mal avec ce texte. Et il y a de quoi… L’enquête policière est peu passion­nante et tirée par les cheveux et en plus la résolu­tion est juste un gag très léger que l’on décon­seille­rait à un écrivain amateur. Très décevant.

Le retour de l’enfant prodige (1937)

L’enfant prodige a été repéré dans un petit village par un produc­teur de passage qui le trans­forme en grande vedette d’Hol­ly­wood. Mais quand il revient dans sa patrie, l’ado­les­cent un peu gauche qu’il est devenu déçoit les admira­teurs passés.
Une nouvelle douce­ment triste inspi­rée par les acteurs enfants de Holly­wood et leur devenir mais Véry donne encore une chance à son person­nage qui a tout perdu.

Snouk ou le rendez-vous des enfants prodiges (1957)

Snouk est une pièce de théâtre qui reprend le thème de la nouvelle précé­dente et j’avoue que je ne l’ai pas lue.

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6 commentaires

  1. Tentant.L’enfance,un certain refus du réalisme documen­té et une forme d’enthou­siasme maintenu.
    On réédite du Jean Ray en ce moment (mais ça n’avait jamais disparu:Lefranc,Ananké…)et c’est un égal bonheur​.Au coin:une profonde mélancolie.

    • Dans le cas de Véry, c’est une nostal­gie au carré parce que son travail est déjà basé sur la nostal­gie – une vieille France de son enfance qui est encore plus vieille pour nous.

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