Livre SF évènement de l’année 2012, La fille automate est le premier roman surprise de Paolo Bacigalupi, États-Unien qui a décidé de le situer dans un futur vague, mais horriblement proche en… Thaïlande.
Après Le Fleuve des Dieux de Ian McDonald qui se déroulait en Inde, voilà donc un nouveau roman marquant qui ose s’éloigner des terres occidentales et penser un avenir plus exotique. Dans La Fille Automate, plus rien n’est comme avant : les réserves de pétrole ont été épuisées, les grandes entreprises de semences transgéniques imposent leurs graines dans un monde ravagé par des épidémies végétales et animales. De nombreuses plantes et animaux ont été remplacés par des équivalents génétiquement modifiés pour résister à un environnement agressif. Mais un petit bout du monde tente de résister à cet engloutissement, le Royaume Thaï qui impose un embargo sans pitié à tout ce qui vient de l’extérieur, luttant contre les maladies et les troupes étrangères grâce aux Chemises Blanches, troupes de choc du Ministère de l’Environnement. En fait, une seule chose n’a pas changé en ce bas monde : l’âme humaine. Amoureux, assoiffés de pouvoir ou de vengeance, à la quête de rédemption ou d’un peu de bonheur, les hommes continuent leur vie au milieu de chats transgéniques qui ont bouffé tous les autres chats, de papillons pollinisateurs transgéniques, de riz transgénique ou d’éléphant monstrueux…
Anderson Lake gère une usine de piles à ressort (elles ont remplacé les piles chimiques et se rechargent à la main, en pédalant ou par éléphant) mais c’est juste une couverture. Il est employé par HiGro et il est à la recherche d’une banque de semences intactes cachée au Royaume Thaï, un vrai trésor de guerre qui permet au pays de redécouvrir des fruits et légumes qui semblaient éteints – qui se souvient du letchi ? – et, surtout, de résister à toutes les tentatives des grosses entreprises de semences transgéniques de s’installer. Hock Sen est un yellow card, un Chinois qui a fui la Malaisie et ses massacres politico/religieux, un vieil homme qui a été riche et chef de clan et qui n’a pas su défendre sa famille. Il rêve d’un nouveau départ à partir des plans des piles à ressort révolutionnaires qui sortent de l’usine où il travaille comme homme à tout faire, chanceux d’avoir du travail dans un pays où les Yellow Cards sont juste tolérés et parqués dans les anciennes tours de bureau. Jaidee Rojjanasukchai est le Capitaine charismatique des Chemises Blanches, intègre chef d’une troupe qui sombre lentement dans la prévarication, police présente dans toutes les strates économiques, jugulant à peine les entrées de produits étrangers tellement rentables. Et Emiko est une fille tic tac. Un automate. Une combinaison génétique venue du Japon, le pays qui peine à trouver de la main d’œuvre jeune et qui a choisi de créer des hybrides humains, et abandonnée par son maître comme un Kleenex usagé. De toutes les capacités (traductrice, secrétaire, servante du thé…) seule sa soumission sexuelle est utilisée : elle subit les pires outrages en public, suscitant une curiosité malsaine dans un pays où elle est condamnée au recyclage. Et rêve d’un village, dans le Nord, où ses semblables vivent en paix et libérés de leurs maîtres. Jusqu’à ce que les ambitieux politiques et la soif de pouvoir emporte tout ce petit monde dans un maelström de violence.
C’est un livre qui va faire plaisir à tous les écolos qui luttent contre les modifications transgéniques : les manipulations des entreprises telles Monsanto conduisent à un vrai cauchemar écologique, humanitaire, social et économique. On serait tenté de le lire comme une histoire post-apocalyptique mais il n’en est rien. Si son environnement a profondément évolué, l’Humanité est fidèle à elle-même et les personnages décrits perpétuent les erreurs qui ont amené au désastre, courant après les mêmes chimères. Une exception : Emiko, néo-humaine victime expiatoire, symbolise une nouvelle innocence dans un monde devenu fou… tellement proche du nôtre. Malgré un début assez lent, Bacigalupi nous accroche surtout avec des personnages tout en gris, impossible à juger facilement, motivés avant tout par leur survie dans un univers sans pitié. Quand l’action commence à décoller, on ne décroche plus jusqu’à un final magnifique. Un bouquin qui aura amplement mérité sa moisson de prix.
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Un excellent roman, assez exigeant au début, mais qui a le mérite d’une approche assez rare de l’avenir. C’est bien écrit, bien mené, avec une belle réflexion à la clé.
Oui, il n’a pas volé ses récompenses !
@Lorhkan : c’est sûr qu’il donne du blé à moudre…