La SF a dû mal à conquérir un nouveau public bourré de Star Wars et qui préfère une belle boîte de Lego a un bouquin intelligent et dérangeant. Assez curieusement, L’Écorcheur de Neal Asher est perçu par certains en France comme une cure de jouvence du genre.
Spatterjay est un beau cauchemar zoologique : la bestiole principale de la planète est une espèce de sangsue (de 50 cm à plusieurs mètres de long) qui a la particularité d’injecter à ses victimes un virus qui fait tout pour que ces dernières restent en vie. Quitte à les coloniser entièrement. Résultat des courses : il est très difficile de mourir sur Spatterjay. D’où une faune infernale aux bouches pleine de dents qui s’entredévore – principalement sous l’eau puisque Spatterjay est composée d’îles multiples et peuplée de pêcheurs humains immortels par la force des choses mais qui évitent soigneusement de se faite boulotter par les bestioles qu’ils chassent. Seul inconvénient au virus : il faut consommer terrien sous peine de se transformer au bout d’un moment en chose ignoble et bleue… tel l’Écorcheur, ogre maléfique se trimbalant sans tête sur une île maudite. Ladite tête couinant dans la caisse d’un capitaine que recherchent activement trois humains fraîchement débarqués sur la planète.
Asher nous convie donc à une aventure complètement barrée qui n’est pas sans rappeler Pirates des Caraïbes – les pêcheurs locaux, ayant l’éternité devant eux ou presque, refusent tout progrès mécanique et utilisent comme voile une bestiole intelligente locale. C’est particulièrement gore – coupez un membre et il suffit de l’appliquer sur la plaie pour qu’il se recolle quasi instantanément – et très drôle à la fois. L’action est menée tambour battant – robots pensants ironiques et combattants, ET qui considèrent que la viande humaine avariée est un plat de choix… – et les personnages hauts en couleurs. L’univers est assez proche de la Culture de Iain M. Banks (intelligences artificielles qui sont devenues indépendantes, ressources infinies qui permettent toute sorte de délire…) en moins philosophique mais on retrouve des échos intéressants : chaque humain ayant plusieurs siècles d’espèrance de vie, l’ennui est un redoutable ennemi et tous les moyens sont bons pour y échapper.
Au final, un bouquin réjouissant sans prétention littéraire mais diablement efficace pour se changer les idées. Il faut juste dépasser les premiers chapitres qui saoûlent un peu pour se laisser ensuite porter par l’aventure.
La couverture : pour l’édition Pocket on a droit à une couverture assez laide mais qui, curieusement, donne une bonne idée de l’action du bouquin. La version Fleuve Noir est beaucoup plus belle mais un peu trop ”clean” pour l’univers de Spatterjay.
Excellent bouquin qui change de toute cette daube SF que l’on nous sert actuellement, à part Banks bien sur.
Asher a écrit deux autres romans se passant sur Spatterjay The Voyage of the Sable Keech (2006) et Orbus (2009) non traduits en français.
Drone (Shadow of the Scorpion, 2008) paru au Fleuve Noir en 2010 est bien moins bon. Asher y rend hommage à Peter Watts dont le pas mauvais roman Vision Aveugle est sorti chez Pocket n°7031 en 2011.
@Doc Mars : ah zut, déjà qu’il parait que Voyageurs est encore moins bon.
J’adore construire des boîtes de Lego, et ça ne m’empêche pas de lire R.C. Wilson ou Ted Chiang. Je suis pas certain que les amateurs de petites briques danoises soient les derniers à lire de la SF ”intelligente”- il y a des romans Star Wars, d’ailleurs, et ils ne sont pas tous écrits avec les pieds !
@Pierre Brrr : ah ah, je sais qu’il y en a des paquets qui aiment les petits Legos Star Wars. Mais bon, j’avoue que j’aurai beaucoup de mal à lire un bouquin contemporain où les vaisseaux font vroum dans l’espace – et je ne parle pas du modèle de vol.