L’ombre du bourreau (Gene Wolfe – Lune d’Encre)

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Parler de l’Ombre du bourreau de Gene Wolfe, c’est se hasar­der en des terres désolées, là où la SF semble être de la Fanta­sy, là où la Fanta­sy n’est plus que Litté­ra­ture, peuplées de curieux solitaires qui parlent du Graal qui les a éblouis, gromme­lant dans leur coin, incapables de revenir dans le mains­tream telle­ment convenu.

J’ai lu, il y a longtemps, au moins les deux premiers volumes de la trilo­gie officielle – L’Ombre du bourreau, La Griffe du demi-dieu et L’Épée du licteur. Je suis sûr des deux premiers mais pas du dernier qui m’a semblé neuf et inédit à ma mémoire. Heureu­se­ment d’ailleurs parce qu’après les mille pages des premiers tomes, j’ai abordé l’Épée … aussi épuisé que Séverian décou­vrant les Montagnes du Nord, ex-bourreau fuyant les soldats de l’Autarque, tentant de se faire oublier dans le tumulte des armées et ne faisant qu’avan­cer vers sa desti­née. Que le lecteur me pardonne ici mais il s’agit d’un roman somme, d’une chose rare et précieuse et la pauvre­té de mon écriture est bien incapable de lui rendre la justice qu’elle mérite.

Or donc, Séverian est un enfant abandon­né à la porte de la Guilde des Bourreaux – les filles sont laissées devant la porte des Sorcières dont on entend les cris les soirs d’hiver dans la tour voisine. Il y grandit sous la tutelle de maîtres âgés et dans la compa­gnie d’appren­tis comme lui, pleins de vie et rêvant d’un destin alors que leur futur est tracé d’avance : exécu­ter les décisions de la justice de l’Autarque. Sauf que Séverian est sauvé de la noyade par une géante aquatique – où du moins il en a gardé ce souve­nir – qu’il sauve de la mort un chien de combat estro­pié puis le célèbre Vodalus, brigand et ennemi juré de l’Autarque, et qu’on finit par lui confier la garde d’une belle aristocrate.
Et le voilà, d’abord à travers la grande ville de Nexus puis sur les chemins du Nord où ses maîtres l’ont affec­té, se battant en duel armé d’une plante extra-terrestre, tombant plusieurs fois amoureux, fuyant des monstres innom­mables, acteur d’une troupe itiné­rante, bourreau rendant la justice et écoutant des histoires au coin du feu. Tout cela dans une lointaine Terre où notre époque à nous n’est qu’une fraction d’un lointain passé obscur et oublié.

Ce bouquin est impos­sible à résumer. Je n’ai jamais lu les Mémoires de Casano­va mais je suis sûr que ça doit y ressem­bler : une autobio­gra­phie où le narra­teur multi­plie les rencontres, mélan­geant anecdotes prosaïques et réflexions philo­so­phiques sur les événe­ments et les gens rencon­trés, s’excu­sant de sa maladresse et vivant des aventures étonnantes. Les amateurs de Tolkien et de toute la fanta­sy moderne doivent décou­vrir ces pages avec effare­ment – et c’est le cas si j’en crois quelques critiques glanées ça et là écrites par des gens au goût très peu sûr – pleurant sur le rythme tout en lenteur calcu­lée du récit, les retours en arrière, les accélé­ra­tions narra­tives verti­gi­neuses et les divers contes lus, racon­tés et oubliés par les diffé­rents person­nages. C’est bien un univers de science-fiction : le soleil s’éteint – on peut le fixer sans problème en plein jour – l’Huma­ni­té a conquis l’Espace une fois et s’est recro­que­villée sur une planète mourante, rêvant d’un Nouveau Soleil sans en avoir les moyens. Mais c’est aussi un monde de fanta­sy peuplé de créatures issues des étoiles, de choses incom­pré­hen­sibles et magiques – du moins si on n’y réflé­chit pas assez. C’est un roman qui parle de la mémoire, du temps et de la litté­ra­ture en général, machine à voyager dans les espaces tempo­rels et physiques, machine faisant passer d’une dimen­sion à une autre, objet magique ultime pour qui sait s’en servir.

Ou alors il faut croire Gene Wolfe lorsqu’il dit qu’il se contente de traduire un récit décou­vert par hasard. Et n’y voir que la première pierre d’un édifice dédiée à la grandeur d’un Autarque qui a préfé­ré rédiger lui-même ses Mémoires. C’est aussi un hommage à Jack Vance, c’est un bouquin que l’on voudrait plus lu pour pouvoir en discu­ter au coin d’un feu comme Séverian dans la grande tente des Prêtresses de la Griffe du Licteur écoute les récits des amoureux de la femme soldat afin de la séduire avec une bonne histoire.

J’allais oublier de dire du bien de la magni­fique couver­ture de Guillaume Sorel et de préci­ser que cette édition est une remise à neuf de la traduc­tion de la version Présences du futur et qu’elle est complé­tée par les nouvelles écrites en complé­ment autour de l’uni­vers ainsi que du Nouveau Soleil de Teur. Je ne les ais pas encore lus et le lecteur compré­hen­sif saura m’en excuser.
L’ensemble est aussi dispo­nible en poche.

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9 commentaires

  1. Quelle bonne compa­gnie que celle de Sévérian pour termi­ner l’année ! Ainsi donc ses aventures ont eu droit à une nouvelle édition revue et augmen­tée ? Ça intrigue suffi­sam­ment pour donner envie de la confron­ter aux souve­nirs de la première édition (je l’ai lue il y a longtemps, moi aussi).

    Bon réveillon !

    • Le réveillon a été cinéma­to­gra­phique. J’encou­rage à relire l’Ombre…, un livre conçu litté­ra­le­ment pour la relecture.

  2. Gene Wolfe, Ursula Le Guin, même combat. Des livres qui chamboulent et auxquels on repense longtemps.

    Person­nel­le­ment, ça fait partie de mes plus belles lectures, tous genre confondus.

  3. J’ai juré il y a longtemps de m’atta­quer à Gene Wolfe… Depuis, toujours rien, c’est un auteur ”intimi­dant”… Mais je m’y mettrai un jour, idem pour Le Guin et son cycle de l’Eku­men notamment.

  4. Le cycle de Terre­mer est une succes­sion de ”petites” nouvelles qu’on ne rattache tout à fait qu’en fin de lecture. Person­nel­le­ment, ça m’a suffi­sam­ment marqué pour tenir Le Guin comme l’une de mes auteures préfé­rées. C’est telle­ment fin et intel­li­gent qu’on a presque honte d’écrire et de gribouiller des trucs dans son coin après ça.

    • Çe me fait penser qu’il faut que je relise Terre­mer. J’ai dû offrir ça au fiston et ça doit traîner sur une de ses étagères.

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