Malaises (Gus Bofa – Éditions Cornélius)

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Lors de mon dernier passage à Angou­lême, j’ai pilé devant Corné­lius au rayon Bofa. Je suis loin de possé­der toutes les œuvres de l’artiste publiées par cette presti­gieuse maison d’édi­tion, princi­pa­le­ment parce que ça coûte bonbon. Mais ce Malaises m’a semblé un bon compro­mis. C’est un gros pavé au papier épais, reprise d’un ouvrage publié par La Machine en 1997, enrichi par quelques inédits. J’ai un peu de mal à bien assimi­ler le concept de malaise recher­ché par Bofa ici mais il y a une constante dans les images. Elle présente un moment de silence ou de temps suspen­du ou d’éti­re­ment du temps. Le specta­teur est soit situé en hauteur, à droite, comme s’il était à sa fenêtre ou sur une échelle, soit placé derrière la personne obser­vée. Le thème de la fenêtre est souvent repris, on retrouve d’ailleurs deux images quasi identiques avec une légende très diffé­rente. Le dessin est évidem­ment magni­fique dans ses gris, son impres­sion de travail en cours arrêté, son absence d’effets inutiles.
Je me suis quand même posé la question de savoir si ils pouvaient encore fonction­ner de nos jours. Si l’effet de flotte­ment est intem­po­rel, ces gros messieurs en chapeau, ces militaires en goguette, ces maisons de campagne, ces filles de petite vertu et l’arrière plan patrio­tique semblent quand même appar­te­nir à un autre monde. Ce qui n’est pas sans appor­ter un étrange effet fantas­tique aux images.
Pour finir, je lance­rai un avertis­se­ment aux éventuels amateurs : si le pavé est consé­quent en volume et en poids, il n’y a en fait qu’une illus­tra­tion pour trois pages ”blanches”. C’est beau le luxe…

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25 commentaires

  1. ”Une illus­tra­tion pour trois pages blanches”..?(J’ai pas compris)
    Avec le temps,ce(s) gris et ce flotte­ment ont pris l’allure raffi­née d’un cinéma d’avant-guerre:Impressionnant,où la lumière et les contraintes techniques nous ont figé ce monde là,authentique ou transposé,sincére ou maniéré.Admirable,encore une fois.(Le malaise c’est pas le prix tout de m^me?(facile))

  2. Éh bien, il y a une page avec le titre, puis une page blanche, puis l’image, puis une page blanche. Je ne l’ai pas payé si cher que ça (au kg de papier).

  3. C’est vraiment la grande classe ce mec. Pote avec mac orlan, boxeur, critique litté­raire et illus­tra­teur assez génial.
    Le plus étonnant est qu’il soit tombé si longtemps dans l’oubli. Quand je pense qu’à la sortie de Malaises, au Mercure d’Angou­lême, les origi­naux était à 700 francs et que c’était grosso modo la moitié de mon indem­ni­tés d’objec­teur de conscience…
    Il dessine magni­fi­que­ment les moments pas glorieux et ses femmes sont d’une grande beauté…

  4. L’État n’aide pas assez les amateurs d’Art :-) Il y a une espèce de mollesse ironique assez étonnante chez Bofa.

    • Merci Emmanuel. Je pense que j’ai dû donner le lien dans un précé­dent billet mais dans le doute …

  5. Bonjour.
    De petites préci­sions à votre très intéres­sant billet sur « Malaises ».
    D’abord concer­nant ”une illus­tra­tion pour trois pages blanches”… Plus préci­sé­ment les feuilles sont impri­mées unique­ment sur le recto, et chaque planche est précé­dée d’une page de titre. La Machine a repro­duit la dispo­si­tion de l’édi­tion origi­nale. Cette édition était effec­ti­ve­ment un livre de luxe, tiré à 583 exemplaires seulement.
    En 2001, Corné­lius a rache­té le stock de La Machine, pour éviter que les exemplaires finissent pilon­nés ou bradés sur les étals de bouquins d’occa­sion. Et remis le livre en vente, avec une nouvelle jaquette, et un prix abais­sé, à l’époque, de 350 fcs à 190 fcs, soit 29€.
    Quant au sens des ”malaises” que décrit Bofa, il s’agit des ”pannes du moteur senti­men­tal” ou de ces moments de ”cafard” (terme d’argot militaire passé dans la langue courante après la Grande Guerre), où l’homme éprouve vague­ment, de façon plus ou moins diffuse, l’impres­sion de la vanité, de l’absur­di­té de l’exis­tence. Cette existence que Bofa définit comme un ”bien super­flu et inexpli­cable”. Nous prenons conscience, pour des raisons banales, dérisoires (chaleur, ennui, calen­drier, le silence ou un bruit…) de notre solitude, de notre fragi­li­té et que la vie n’est pas ce qu’on nous fait croire. C’est effec­ti­ve­ment un moment de temps suspen­du, de flottement…
    La fenêtre ouverte apparaît, vous avez raison, souvent dans l’œuvre de Bofa (voir dans « Synthèses… » ou « Dingo », par exemple). Si l’on garde en mémoire cette défini­tion que Gus Bofa donne de la condi­tion humaine : « Libre ? Mais oui, dans les limites exactes de votre petite cage. Et seul ? Bien enten­du » , on comprend mieux ces images d’hommes ou de femmes à leur fenêtre, regar­dant le monde depuis leur cage.
    Bofa joue d’ailleurs souvent sur le hors-champ. Il se passe quelque-chose hors du cadre, que nous ne voyons pas. C’est très frappant dans ”Malaises” mais aussi ”L’Assas­si­nat…”
    Bien cordialement.
    Emmanuel.

  6. Un grand merci pour ces quelques préci­sions bien plus intéres­santes que mes pauvres commen­taires. En tous les cas, cela précise le titre Malaises de façon très éclairante.

  7. Mais alors,finalement,Jean-Jacques Sempé est un digne et trans­pa­rent héritier de Gus bofa!Celui-ci était-il juge,observateur ou acteur de ces malaises?(Merci Emmanuel)

  8. Il eut y avoir un lien de solitude entre Sempé et Bofa mais je n’arrive pas trop à les mettre dans la même famille.

  9. Pourtant entre les flotte­ments évoqués et l’arrière plan de leurs humeurs,pensées il y a une m^me ligne…Mais je songe surtout au Sempé d’aujourd’hui.

  10. Bonjour.

    Bofa était aussi un acteur de ces malaises. Il explique, dans une lettre à un jeune dessi­na­teur de ses amis, que le dessin est ”un remède assez surfait, mais c’en est un”, à la solitude.
    Chez Bofa cette solitude est accep­tée, comme contre­par­tie de la liber­té. Mais cette solitude est aussi celle de l’homme, enfer­mée dans sa peau, qui ne peut pas plus comprendre les autres qu’il ne peut se comprendre lui-même, et dont la vie est une paren­thèse entre deux néants. A la fin de son existence, Bofa compare son moi profond à une momie dans son sarco­phage, dont personne n’a eu la curio­si­té de dérou­ler les bande­lettes. Pas même lui. et il conclut ”Mais à quoi bon.”
    Gus Bofa n’était pas vraiment un rigolo. ”On vise”, écrit-il, ”au petit bonheur des objec­tifs, qu’on n’atteint jamais ; qui ont changé de place et de signi­fi­ca­tion lorsqu’on les attrape d’aven­ture. Ceux que ce mouve­ment perpé­tuel exalte et qui s’efforcent à le suivre, n’y parviennent jamais. Les autres qui préfèrent l’immo­bi­li­té et l’indif­fé­rence, n’y réussissent pas d’avantage.”
    J’espère que Corné­lius réédi­te­ra ”La Sympho­nie de la Peur”. Bofa y développe une longue réflexion sur la condi­tion humaine : ”La peur est née avec la vie – qui n’est qu’un compro­mis entre la peur de l’éter­ni­té et la peur du néant. (…)Mais rien ne peut rassu­rer l’Homme, non pas même l’idée de la mort et l’assu­rance qu’il se donne, qu’il y a, quelque part, un Dieu acces­sible. Que quelque-chose de stable l’attend au-delà de la vie. Que ne donne­rait-il pas pour en être sûr ! De quelle humili­té passion­née ne paierait-il pas la révéla­tion évidente d’un tel Dieu, même cruel et injuste. Elle n’est Jamais venue. Caché derrière ses religions, ses morales, son âme immor­telle, son orgueil d’Homme, et toute sa science, – comme une petite fille dans le noir, sous les couver­tures, il tremble de peur, à jamais.”
    Et ce livre contient quelques-uns de ses dessins les plus extra­or­di­naires, dans sa veine fantas­tique. Gus Bofa est d’ailleurs, à mon avis, avant tout un auteur fantas­tique, voire onirique, dont l’oeuvre, au fil du temps, évolue de plus en plus vers une explo­ra­tion de son univers intérieur.
    Au fond, il n’aime pas beaucoup les hommes. Il ne leur en veut pas de leur bêtise, de leur lâche­té et de leur allure physique qui corres­pond à leur effon­dre­ment moral, mais il ne les aime pas. S’il pouvait, il se passe­rait d’eux.
    Lui-même se sentait bien plus proche de ce pauvre fou de Don Quichotte, qui rêvait les yeux grand ouverts et se perdait dans ses mirages. La vie véritable est imaginaire.

  11. Il y a un autre Bofa petit format chez Corné­lius qui m’avait intéres­sé mais je ne me rappelle plus le titre (suffi­sam­ment de dessins par rapport au prix).

    Merci pour ces longues et utiles préci­sions, Emmanuel.

  12. Un petit post-scriptum !
    Le brave Bofa explique qu’il faut savoir regar­der le monde avec des yeux d’enfant, c’est à dire comme si on le décou­vrait, comme si on était confron­té à des choses mysté­rieuses et incompréhensibles.

  13. Il doit s’agir de ”SLOGANS”(Originellement paru en 1940).Dans un papier d’Yves Frémion j’ai glané quelques anecdotes:La SEITA lui consa­cra une superbe rétrospective(1983)relevant l’artiste de l’oubli et la solitude(mort en 1968)Mac Orlan,évidemment,lui consa­cra un livre(1930)un essai parut chez FUTUROPOLIS(par Roger Bouillot,1980,GUS BOFA,L’INCENDIAIRE)il fonda un salon ”de l’Araignée”(1919 – 1927,et en 1930)pour faire la nique au salon des humoris­tique et pour épauler les débutants…On lui doit un roman:”ROLLMOPS”(1919)et ”SYNTHESES LITTERAIRES ET EXTRALITTERAIRES”(portraits symbo­liques d’auteurs à travers leur oeuvre principale)une pièce de théatre avec Max Aghion”LE COMPLET A L’IMPERIALE”(1912)etc,etc…
    Evidem­ment on pourrait citer TARDI…Mais dans ce flotte­ment et ces senti­ments troubles comment ne pas songer à BLUTCH,dont le nouveau bouquin sera prochai­ne­ment chroni­qué ici m^me(ah,non?)

  14. Ah bon, il y a un nouveau Blutch de prévu ? Oui, c’est proba­ble­ment Blutch qui a le plus de point commun dans le graphisme et dans certains flotte­ments (mais De Créçy est aussi un bon exemple, qui a écrit une préface à ce bouquin). Le bouquin contient une bio très vivante de Bofa.

  15. Oui, et si tu avais éventuel­le­ment envie de nous rendre visite, tu verrais une de ces repro­duc­tions affichée sur nos murs.

    @Oslav Boum : bon, on va dire que c’est Slogans alors.

  16. Bonjour.
    Quelques préci­sions à propos des réédi­tions de Gus Bofa.
    Corné­lius a réédi­té ”Slogans”, en 2002. 160 pages avec les dessins de l’édi­tion origi­nale, mais aussi cinq dessins non retenus dans cette édition, les esquisses prépa­ra­toires de Bofa, et des croquis pour un projet de suite datant de 1959. J’ajoute qu’entre-temps nous avons retrou­vé quelques dessins inédits pour la version de 1940.
    Toujours chez Corné­lius, ”Synthèses litté­raires et extra-litté­raires”, en 2003. 128 pages, avec les dessins de l’édi­tion origi­nale, et bon nombre d’inédits.
    En 2007, chez Corné­lius, « Le Livre de la Guerre de Cent Ans », là aussi avec des dessins inédits.
    En 2010, chez Corné­lius, « U‑713 », 200 pages à vue de nez, avec en prime tous les crayon­nés originaux.
    Et Corné­lius a rache­té le stock des inven­dus de « La Croisière incer­taine » (Le Seuil), qu’il a remis en vente, sous une jaquette nouvelle et à un prix réduit.
    On peut aussi signa­ler la réédi­tion du « Cirque », au 8e Monde, en 2010.
    A propos d’Alain Beaulet, il a en fait édité 16 planches choisies parmi les 40 qui n’avaient pas été retenues pour l’édi­tion Gründ des Histoires extra­or­di­naires et Nouvelles histoires extra­or­di­naires d’Edgar Allan Poe
    Cordialement ;

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