Aujourd’hui c’est lundi, vous êtes mal réveillé, on va vous secouer avec des ricanements douteux de chroniqueur agressif et… Ah zut, trop tard. Aujourd’hui, je vous fais une fournée de bouquins que je n’ai pas eu le courage de finir et même une BD, ce qui est quand même super rare. Sortons le missile anti-char dernière génération…
Voilà un bouquin qui a des problèmes graves à la naissance puisqu’il est bicéphale. Daniel Pizzoli fait une analyse du travail graphique de Moebius en 90 pages et Patrick Bouster – qui n’a même pas droit à son nom en couverture – fait le listing le plus complet possible de TOUS les travaux publiés par le même Moebius.
Je n’ai évidemment pas lu la partie Bouster qui fait un travail d’archiviste remarquable qui sera une vraie référence pour le collectionneur malade de Moebius. Un travail d’autant plus compliqué que le gars Moeb a travaillé pour des tas de supports et des pays différents (pub, magazines, fascicules, amis, fanzines…). Si vous voulez savoir si vous avez vraiment tous les ex-libris signés Moebius, c’est le genre de référence qu’il vous faut. Il est à noter que le travail signé Giraud n’est pas pris en compte ici.
Daniel Pizzoli a déjà réalisé un livre sur le travail de Giraud : Il était une fois Blueberry publié chez Dargaud où il étudie le travail graphique de Giraud entre autre – je ne l’ai pas lu. Dans l’ensemble, j’ai toujours eu l’impression que les critiques BD parlaient du dessin un peu au pifomètre. Souvent littéraires à la base dans une culture scolaire qui laisse peu de place au dessin figuratif, ils font un peu ce qu’ils peuvent et je suis quelque fois atterré des opinions positives qu’ils peuvent avoir de graphismes visiblement très pauvres. Bref, ils sont incapables de voir si un type sait dessiner ou s’il fait juste bonne figure.
Dans ces Errances du trait, Pizzoli se révèle du coup très ambitieux en s’intéressant vraiment au dessin d’un auteur BD. Il souligne l’apport de la peinture classique à l’œuvre de Moebius, son utilisation très soutenue de la documentation photographique et de ses influences – Virgil Finlay notamment dans le cadre de ce livre. Toutes ces remarques sont fort bien vues et donnera des éclairages indispensables à tous les curieux du travail graphique de Moebius.
Mais s’il rappelle Finlay, il n’y a pas un mot sur Heath Robinson et c’est là que le bât blesse un peu puisque Pizzoli décortique quelques dessins en s’intéressant surtout au travail de hachures et évacuant complètement l’aspect ligne claire de Moebius – globalement la période pré-Incal. C’est donc terriblement limité et en supprimant tous les adjectifs genre ”admirable, génial, extraordinaire…”, on aurait pu gagner dix pages…
À remarquer que vous ne trouverez aucun dessin inédit et que les reproductions – pas beaucoup – qui illustrent la partie ”Bouster” sont toutes petites.
Histoires vraies (Blaise Cendrars – Folio)
J’ai eu un coup de chaud Cendrars et je me suis acheté quelques livres. Histoires vraies est un recueil d’articles qu’il a réalisé pour des journaux, une activité qui lui a permis de bien vivre pendant un moment et de voyager aux frais de la princesse. Lire ces reportages dans les années 30 devaient être fascinant mais j’avoue que j’ai été un peu déçu. Cendrars part d’une anecdote, d’un témoignage mais ne fait jamais de ”vraie histoire”. Il y a toujours des personnages hauts en couleur, une idée excitante mais le soufflé retombe, sans dramaturgie pour le nourrir.
Il y a donc un cuistot de navire qui a droit à un cercueil de grand luxe, des chercheurs de diamants et la belle société brésilienne, un saint idiot et la belle société chilienne, un vrai outlaw à Hollywood et une tenancière de bar perdu, une croisière sur l’Amazone et un Anglais de la Légion Étrangère égoutier.
C’est cette dernière histoire qui m’a le plus plu : l’égoutier de Londres raconte comment Cendrars a croisé sur le front de la Première Guerre Mondiale un grand escogriffe anglais qui lui a raconté son intrusion dans les coffres de la Banque d’Angleterre. L’histoire de l’intrusion n’a pas vraiment d’intérêt, c’est surtout le personnage admirablement croqué et vivant dans l’ambiance du front qui justifie la nouvelle.
J’ai craqué avec la croisière sur l’Amazone qui n’en finissait pas – et je m’en fichais un peu. En plus, Cendrars, journaliste/aventurier ”bien français” plein d’énergie est un peu agaçant, particulièrement quand il se fait mousser avec ses belles bourgeoises chiliennes qui l’amènent à Monte Carlo en Hispano-Suiza, un verre de champagne à la main.
L’énigme du cadran solaire (Mary Gentle – Folio SF)
Régulièrement croisé dans mes lectures de critiques de bouquins de genre, je ne savais pas trop quoi penser de cette Énigme du cadran solaire, un mix entre Alexandre Dumas, Nostradamus et Soleil rouge.
Rocherfort, homme de main de Sully, est à l’origine – bien malgré lui – de la mort d’Henri IV (je spoile comme un goret mais c’est le début de l’histoire). Il est contraint de s’enfuir à Londres accompagné d’un jeune duelliste qui le fait bander dur (le récit est très direct pour ce qui est des expériences sexuelles des personnages) et d’un samouraï repêché sur une plage normande où Rochefort allait zigouiller le duelliste juste avant que les hommes de main de la Médicis ne leur tombe dessus. Ça fait beaucoup ? Ça fait trop ? Attendez, je ne vous ai pas parlé du mathématicien qui peut prédire l’avenir au point de battre en duel Rocherfort sans savoir manier une épée… Bon, ils sont tous partis, je vais faire comme eux.
Mary Gentle nous a pondu un pavé de 1000 pages pas mal écrit avec un vrai goût pour l’Histoire et vous décrit un duel avec une précision visuelle impressionnante. On sent la sueur, le cuir des selles de chevaux, l’air du matin sur la route de la Normandie ou dans les rues de Londres mais, rien à faire, ce goût du détail authentique ne sauve pas un récit blouguiboulguesque.
Ça commence assez mal puisque le livre se présente comme les Mémoires authentiques de Rochefort, homme de main et dur à cuire. Mais, franchement, un ancien soldat qui passe son temps à raconter comment il se fait mettre la honte par un gamin et à avouer ses désirs homosexuels, c’est un peu fort de café. Sans compter que Gentle étire les scènes d’humiliation avec un plaisir effrayant à lire. Et elle les multiplie. Entre ça et les combats interminables, on a l’impression que l’on pourrait couper un bon tiers du livre sans problème. Enfin, je dis ça, j’ai craqué bien avant la fin. Sans compter que pour avaler le départ de l’Histoire, il vaut mieux avoir une très grande bouche.
J’ai toujours été sceptique face aux mélanges de genre et ce bouquin ne va pas changer mon avis.
Kräkaendraggon (Lewis Trondheim & Mathieu Sapin – Gallimard)
Publié en gags d’une page dans Spirou, le magazine où les auteurs doivent aller publier leurs albums ailleurs, Kräkaendraggon est encore une série au nom imbitable conçue par Trondheim pour me rendre ridicule en public parce que je n’arriverai jamais à m’en rappeler le titre.
L’Éducation Nationale, dans un grand élan de démagogie, a décidé de remplacer tous les cours classiques par des cours de geek. Apprentissage du Klingon, jeux vidéos tous les jours, jeux de rôle en TP etc… On suit les ”aventures” de Tom, jeune lycéen (il est au lycée mais j’ai cru qu’il était collégien vu le niveau) dans ce nouvel univers éducatif et drôle. Enfin, après un sondage auprès de mon entourage, c’est drôle surtout pour ceux qui ne comprennent rien au vocabulaire du jeu vidéo actuel. Lire un gag du genre ”je vais vous apprendre le rôle d’un tank et d’un healer dans WOW” alors que les gamins sont censés y avoir déjà joué des heures et des heures, c’est – traduction pour les non joueurs – comme si un prof d’anglais en seconde décidait de faire apprendre à ses élèves les nombres anglais jusqu’à dix. Imaginez la réaction des élèves. Et c’est un peu tout comme ça au début. J’ai dû craquer sur le gag de Raphaël, Leonardo et Michelangelo qui est quand même bien moisi. Et je ne parle pas du fils à papa qui a tout ce qu’il désire mais qui n’a JAMAIS joué à un jeu vidéo de sa vie – dans tes rêves, Lewis. J’ignore donc à qui cet ouvrage est destiné : il semble viser les ados mais j’ai peur que votre neveu, grand bouffeur de jeux vidéos, ne se sente insulté si vous lui offrez. Le test dit ”du fiston” est complètement négatif chez moi.
Si vous voulez lire quelque chose de drôle de Trondheim, je vous conseille plutôt le dernier Papier avec une histoire courte sur les militants pro palestiniens en France qui m’a fait beaucoup rire. Et si vous voulez lire quelque chose de drôle en rapport avec les jeux vidéos, lisez Canard PC. Du coup, je n’ai pas acheté le Oiry/Trondheim, bien échaudé, mais je vous parlerai quand même de la fin de Donjon parce que l’actualité Trondheimesque est très chargée.
Bon.Et bien je prendrai le Cendrars,alors.
La critique bd a toujours été malheureuse.L’évocation du dessin seul,et de ce qu’il dit,devrait se recentrer sur l’émotionnel,l’enfance,les premières approches et tenter de là,une biographie subjective,presque poétique.Les influences,les rapports et références ne sauraient expliquer le lien attaché entre l’artiste et son lecteur:ça ferai pas un gros bouquin,bien sûr.
Et personne ne le lirai.Cela dit la démarche est toujours à encourager.Il en sortira bien un jour une grande oeuvre?Existe t’il des autobiographies du dessin ?
Il existe des autobiographies dessinées mais du dessin… Il y a quand même de nombreux dessinateurs qui parlent de leur rapport au dessin.
J’ai relu un texte de Thierry Smolderen (1987) sur Gir-Moebius,”Le scanning autobiographique” entre Grubert,Barnier…Des pistes,sur cette distance qu’entretenait l’auteur avec son dessin.Un art constemment interrogé.On y retrouve cette phrase:”Qu’est-ce qui fait qu’une image foire ou réussit dans une bd?”
Faut quand même se méfier de ce que pouvait dire Moebius particulièrement avec Smoldo dans le coin. Ça part quelque fois en vrille.