Objectif Pub (Alain Lachartre – Robert Laffont/​Magic Strip)

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Les années 80, c’est trop à la mode en ce moment. Entre les petits groupes français qui redécouvrent les joies du synthé, de la chanteuse à petite voix sur des paroles sucrées/​salées et les jeux vidéos qui reçyclent le 16 bits voire parodient les jeux débiles de l’époque – cf. Far Cry 3 Blood Dragon – y’a de quoi faire. Mais à quoi ressem­blaient réelle­ment les années 80 ? Je vous propose un voyage dans le temps, au pays merveilleux des brushings étranges et du rotring sauvage…

Dans les années 80, on n’avait pas de pétrole mais on avait des idées. Les magazines BD poppaient comme des champi­gnons en septembre, dopés par des coûts d’impres­sion en baisse et des drogues faciles à trouver. Aux Bains Douches, célèbre salle de concert parisienne, se retrou­vaient éditeurs BD grande gueule, publi­ci­taires frétillants et post-punks varié­toches. Une nouvelle généra­tion de publi­ci­taires nourris à Spirou et Pilote croisait une nouvelle généra­tion d’auteurs BD qui semblaient promis aux plus grandes desti­nées et comme le dit si bien Alain Lachartre : ”Le règne sans partage de Tintin, Lucky Luke, Astérix, qui dure mainte­nant depuis de longues années, est menacé. De nouveaux Grands Talents arrivent, leurs Grands Héros sont là : Phil Perfect, Freddy Lombard, voire Francis Albany, égale­ment Kébra, Lucien, Ray Banana… […] Quand le tirage de leurs albums attein­dront les sommets, gageons que, tout naturel­le­ment, la publi­ci­té se fera un plaisir de les inviter : affaire à suivre.” On ne pouvait pas plus se tromper.

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Ted Benoît

Du point de vue BD, si on excepte Chaland qui a un mot d’excuse signé par Bison Futé et à part Marge­rin qui poursuit son bonhomme de chemin dans la BD, tous les autres ont un peu dispa­ru de la circu­la­tion. Mais à l’époque, ils étaient tout frais, tout excitants et potes avec les décideurs des agences. Objec­tif Pub, avec une belle couver­ture cosignée Chaland/​Floc’h, présente une rétros­pec­tive de ces années où on pouvait mettre des paquets de clopes en quatrième de couver­ture et rêver d’un monde d’huile de moteur de voitures. Avec ses 240 pages et son format costaud 37x28 cm, on en a pour son argent – reste à le trouver pas trop cher. Après une intro­duc­tion sur l’his­toire des inter­ac­tions entre la pub et la BD où Lachartre explique bien la diffé­rence entre les ”anciennes” pub basée sur des person­nages BD connus et celles des années 80 qui utilisent le talent graphique des auteurs/​illustrateurs, le livre est parta­gé en chapitres suivant les genres abordés (musique, voiture…). Il se finit par un index des illus­tra­teurs et des agences.

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Yves Chaland

Autant le dire tout de suite, c’est la ligne claire qui se taille la part du lion. Il doit y avoir en moyenne une illus­tra­tion de Chaland par page et Floc’h arrive juste derrière avec son frangin. Ever Meulen semble être le type qui a refusé le plus de campagnes et on retrouve Ted Benoît, Serge Clerc et Van Den Boogaard. À côté, quelques illus­tra­teurs au travail moins ”facile” font aussi leur trou (Slocombe, Cathy Millet…) et des auteurs BD sont ponctuel­le­ment invités à la fête comme Marge­rin, Mézières, ou Moebius (celui dont les images sont les moins mises en valeur propor­tion­nel­le­ment à sa présence dans le livre).
Au final, c’est Chaland qui reste le grand vainqueur : il a créé un univers graphique qu’il décline aussi bien en BD que dans la pub avec bonheur et beaucoup d’ima­gi­na­tion. Ses images sont souvent étonnantes et pleine d’idées visuelles. Son grand ”concur­rent”, Floc’h, conti­nue son bonhomme de chemin encore de nos jours mais j’avoue que son univers british compas­sé évoque pour moi des parfums de vieille tante et de biscuits périmés. Et la redécou­verte, c’est celle de Pierre Clément dont le travail mathé­ma­tique mérite­rait plus de visibi­li­té et qui n’a pas pris une ride.

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Pierre Clément

Au final un beau bouquin très riche qui fera mouiller les fans de ligne claire en tout genre mais qui porte aussi une cruelle conclu­sion : pour toucher le plus grand nombre, il vaut mieux jouer sur un univers rétro au trait bien soigné. La BD d’aujourd’­hui en a tiré les leçons…

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14 commentaires

  1. C’est vrai qu’une pub signée Alber­to Breccia ou Matt Konture ‘aurait pas un grand écho…J’ai sourit/​pouffé honteu­se­ment au détour d’une ligne de ton texte…‘dirais pas où.

    Le bouquin(en son temps démon­té par quelques critiques) est devenu un témoi­gnage d’une époque déjà pétrie de pastiches.Qu’est-ce qu’on écrirait aujourd’hui ?

  2. ”Les magazines BD poppaient comme des champi­gnons en septembre, dopés par des coûts d’impression en baisse et des drogues faciles à trouver?” Wow ! Il manque à ce billet un lien vers un site de vente de DeLoreans dopées au pluto­nium ! Je veux aller là-bas.

  3. Pierre Clément a récem­ment eu les honneurs d’une expo à la Galerie Oblique. (d’ailleurs ça me fait penser que j’ai un billet en brouillon depuis un moment !)

  4. Compa­rons les deux scènes de circu­la­tion automo­bile : intel­li­gence d’Yves Chaland, et son humour macabre. Son dessin nous raconte une histoire et nous faire rire ‑noir. On note bien enten­du le contras­tant teles­co­page d’une belle améri­caine conduite par une élégante indemne avec une petite 4cv d’où s’extrait un colosse patibu­laire à la mise prolé­ta­rienne : décli­nai­son de poncifs humoris­tiques et de stéréo­types socio-cultu­rels (opposi­tion des contraires, les femmes au volant …) mais on ne remarque pas tout de suite la marre de sang où baigne, caché, le possible cadavre d’un non-voyant (car c’est ainsi qu’on désigne aujourd’­hui les aveugles) et plouf, on saute à pieds joints dans le politi­que­ment non correct. Au feu rouge, stationne une superbe ferra­ri rouge, avec à son bord un conduc­teur dont le visage est masqué (l’artiste ?) rue … Joannet. Peut-être est-ce un signe avant-coureur de son destin tragique ? Allez savoir …

    Et cela, quand Van Den Boogaard se contente de patau­ger dans la super­fi­cia­li­té, l’anec­dote, le pastiche facile de Hergé (n’y a‑t-il pas un dessin similaire ‑mais beaucoup plus saisis­sant- dans l’Affaire Tourne­sol avec aussi un marchant d’oranges ?).

    De là, ce malen­ten­du entre Chaland et ses épigones (et je ne pense pas spéci­fi­que­ment à Van Den Boogaard, mais on trouve­ra aisément des noms): de lui ils n’ont retenu que la dimen­sion la plus super­fi­cielle, le trait, la ligne claire marci­nel­lienne, efficace mais vaine quand elle n’est pas portée par une science de la compo­si­tion, de la narra­tion, d’un esprit parti­cu­lier, à la fois lucide, nostal­gique et un brin moqueur.

    • @Pierre : en même temps, il faut une pointe de génie pour y arriver. Malheu­reu­se­ment, tout le monde ne peut pas en avoir… ou du moins pas exacte­ment la même.

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