Je crois bien que Le Problème à trois corps de Liu Cixin est le pire roman SF chinois que j’ai jamais lu. Ou le meilleur ? En fait, c’est surtout le seul.
On connaissait bien la SF soviétique qui a apporté beaucoup au genre, mais la science-fiction chinoise, où se cachait-elle ? Probablement dans les campagnes, expédiée là-bas pour intellectualisme déviant qui ne saurait être corrigé que par le travail manuel. Un peu comme le premier personnage du Problème à trois corps, Ye Wenjie, jeune étudiante en astrophysique qui a vu son père, un astrophysicien émérite lui-même, tué par les gardes rouges parce qu’il faisait passer l’expérimentation avant la pensée marxiste. Ye Wenjie se retrouve à raser des forêts et prend conscience des problèmes écologiques. Ye Wenjie découvre un mystérieux observatoire construit par l’Armée où elle est invitée à trimer. L’occasion de changer le destin de l’Humanité.
Le roman est super compliqué à résumer pour une raison simple : Liu Cixin, son auteur, multiplie les mystères qui ne se résolvent que bien plus tard. Exposer le premier mystère (la fonction de l’observatoire), c’est gâcher la lecture du roman. Ce que réussit avec brio la quatrième de couverture de cette édition de chez Babel en expliquant tout en quelques phrases. Bravo les gars.
Quarante ans plus tard, les scientifiques de renom ont la fâcheuse habitude de se suicider les uns après les autres. Un chercheur en nanotechnologie voit apparaître un décompte dans son champ de vision et se retrouve mêlé à une enquête incroyable qui réunit les pays du monde entier engagés dans une guerre totale avec un ennemi invisible.
Alors est-ce que Le Problème est un thriller SF ? Si c’est le cas, il est assez mauvais, avec des rebondissements patauds, un policier désagréable (mais plus futé que tout le monde) particulièrement cliché et une tension très molle. En fait, ce bouquin est un repas chinois classique avec tous les plats qui se retrouvent mélangés au riz de votre bol. On devine par exemple une structure de contes traditionnels avec des protagonistes qui racontent leur histoire personnelle. Certains chapitres prennent la forme de rapports d’interrogatoires. Mais tout mélanger dans le bol, ça peut faire du gloubi-boulga.
Heureusement, Le Problème comporte quelques ingrédients de qualité. Notamment une capacité à transformer une science pointue en scènes poétiques (imaginez un monde où trois soleils tourneraient sans que l’on puisse deviner leur trajectoire, grillant ou gelant aléatoirement les habitants, imaginez le rendu multidimensionnel d’un proton et les mondes qu’il peut contenir). Et beaucoup d’idées visuelles étonnantes.
J’avoue que je suis assez mitigé au final. Le livre met un temps fou à démarrer et j’ai failli passer à autre chose. Il a fallu attendre les premiers mystères impossibles pour m’accrocher et avoir envie d’en savoir plus. L’exotisme est assez réduit (les noms chinois sont difficiles à retenir) en dehors de la thématique des Gardes Rouges. Il n’y a que très peu de référence au Parti Communiste chinois, ce qui est un peu étonnant. La thématique écologique est assez intéressante parce qu’elle est aussi un prétexte à parler du fanatisme politique.
Au final, un roman très malin qui utilise la science comme moteur d’imaginaire et de réflexion politique et humaniste (c’est déjà beaucoup) mais un peu balourd dans son habillage thriller (imaginez une réunion de gros pontes de différentes armées où le colonel états-unien se balade avec une boîte de cigares qui tombe à point nommé pour une démonstration) et où les personnages ont un caractère assez peu marqué. Bref, je ne pense pas investir dans les deux derniers tomes. Mais je peux comprendre qu’on puisse y prendre beaucoup de plaisir.
J’ai craqué également pour ce roman,bercé par la critique emplie de promesses…bon.Quand tu écris « roman très malin »,je ne vois pas comme un bon signe.Ah,oui:je n’ai pas encore commencé sa lecture.J’ai un Cormac McCarthy sur le feu…
Malin n’est pas le bon adjectif. Disons qu’il tient la route mais que les persos sont un peu sacrifiés au profit des concepts.
Je travaille justement sur l’adaptation BD d’un autre roman de cet auteur, ”ball lightning”, écrit avant la trilogie. Plus militaro-scientifique que purement SF mais qui développe des idées vertigineuses de macro-univers parallèles.
Et effectivement, comme tu le dis, où les personnages sont sacrifiés au profit des concepts. J’ai donc pris soin de modifier ce manque, de rendre un peu de pâte aux personnages.
Nous verrons plus tard si j’y ai réussi.
Ça risque d’être coton à illustrer (mais Liu développe une SF assez visuelle, ça peut aider). Est-ce que tu as vu l’épisode de Rick & Morty sur le même thème ? Bon, il vaut mieux voir toute la série pour apprécier la chose.
Ben là, c’est pas hyper visuel (les autres nouvelles le sont, c’est vrai).
ça se passe pratiquement de nos jours. Ce sont de longues discussions scientifiques dans des laboratoires au dessus desquels flottent le drapeau rouge (c’est tout de même assez éloigné de Rick et Morty je crois).
La dimension épique du roman se développe dans la tête du lecteur par les mondes évoqués, sans qu’on ne les visite jamais
J’ai rajouté ce qu’il fallait d’action et de grands espaces pour que visuellement ce ne soit pas étouffant.
Merci d’avoir fait le sale boulot et d’avoir lu ce livre pour moi, je prends ton compte-rendu pour argent comptant et je passe à autre chose. Je me réjouis de voir apparaître dans les commentaires Cormac McCarthy et Rick & Morty, qui sont yin et yang l’un pour l’autres, bien que la vacuité égotiste de la dérision de Rick & Morty puisse passer pour la version fun du nihilisme exacerbé de McCarthy.