Le travail de Heath Robinson m’enchante toujours autant. Sa ligne claire épaisse, ses personnages british moyens perdus dans le décor, son univers soigné et très libre à la fois me rappelle toujours le Moebius des années 1970 (jusqu’à la ligne d’horizon).
Heath’s Robinson Commercial Art, publié chez Geoffrey Beare, a un titre qui annonce la couleur : voilà réuni dans un gros volume au papier épais une grosse partie des travaux publicitaires réalisés par Robinson entre les années 1910 et 1940. Une très longue longévité qui s’explique par un humour intemporel et un dessin immédiatement reconnaissable. Robinson se rêvait peintre paysagiste, puis illustrateur de beaux livres et, par la force du hasard et des projets, il a assuré une bonne part de ses revenus via la publicité qui a explosé après la Première Guerre Mondiale. Robinson avait ravi les Tommies dans leur tranchée avec des dessins caricaturaux sur la guerre et l’ennemi complètement surréalistes et une partie des soldats revenus à la vie civile s’en est souvenu et lui a proposé de continuer dans cette veine pour aider à faire connaître des marques de whisky, de sidérurgie ou de grand magasin. Il a donc inventé des méthodes complètement farfelues pour extraire le charbon, rénover les maisons ou imprimer. L’humour de Robinson plaisait aux lecteurs et au commanditaire, car il masquait l’angoisse de l’industrialisation en marche : dans ses dessins, les personnages dépensent beaucoup d’énergie à réaliser des actions industrielles de manière très artisanale ou l’humain est au centre de l’activité. Pas tout à fait la réalité économique et sociale du capitalisme en plein essor. À remarquer que son travail s’est exporté en Europe et qu’il a travaillé pour des entreprises allemandes et belges (peut-être alors une connexion avec Hergé ?).
J’ai tendance à me plaindre de monographies pas toujours aussi riches qu’elles le pourraient, mais ce n’est pas le cas pour ce livre qui se révèle presque trop complet. En effet, Robinson s’est retrouvé à dessiner régulièrement dans les mêmes thématiques et c’est un peu saoulant de décortiquer des inventions qui finissent par se ressembler dans le détail. À part ça, le bouquin est excellent et l’imagination fertile de l’artiste ravira petits et grands. Régulièrement, Robinson réussit des images magiques comme Moebius a essayé de le faire. Un dessin très simple qui suggère un monde familier et étrange à la fois où le quotidien disparaît. Et, oui, les inventions de Gromit doivent beaucoup aux bricolages de Robinson.