The Art of Harvey Kurtzman (Kitchen & Shearer – Abrams Comicarts)

harvey-kurtzman-couv

Harvey Kurtz­man (1924 – 1993) est consi­dé­ré comme un des auteurs/​directeur de comics les plus influents de sa généra­tion. Et pour une fois, on ne se conten­te­ra pas de l’avis étatsu­nien puisque son sens de l’humour a franchi l’Atlan­tique pour marquer des auteurs français aussi impor­tants que Goscin­ny ou Gotlib. Cette espèce de connais­sance infuse que je tenais de mes multiples lectures/​discussions s’est trouvée confir­mée par ce très beau volume de Denis Kitchen et Paul Buhle qui font ici un magni­fique travail, présen­tant des repro­duc­tions d’ori­gi­naux et même des histoires entières sans compter de nombreux inédits. Mais ce que j’igno­rais, c’est que la carrière de Kurtz­man n’a rien du conte de fée à l’amé­ri­caine avec pluie de dollars à l’arrivée.
Déjà, il faut saluer la quali­té du texte qui se permet d’être humoris­tique de manière légère et qui a choisi de montrer à quel point la vie et le travail de Kurtz­man s’ins­crit dans son temps. Il profite dès son adoles­cence des cours d’un lycée à vocation artis­tique ouvert à tous créé dans l’esprit du New Deal. Il va y croiser plusieurs des personnes qui compte­ront dans son parcours profes­sion­nel (Will Elder est élève au même lycée même si à l’époque ils ne se fréquentent pas). Kurtz­man est un obsédé du comics. Il ne cherche pas à faire de l’illus­tra­tion, de la peinture ou de la pub, c’est le comics qui l’inté­resse. Après la guerre, ses tenta­tives de placer des planches à droite à gauche l’amènent à créer une série comique Hey Look ! pour Marvel où le jeune Stan Lee gère d’une main de fer son équipe. Un sondage auprès des lecteurs montre que Hey Look ! est la série préfé­rée des lecteurs. Sondage super­vi­sé par une très jeune femme, Adele Hasan, qui adore l’humour de Kurtz­man et n’hésite pas à changer le résul­tat des votes en faveur… de son futur mari. Ce qui permit à Hey Look ! de conti­nuer son petit bonhomme de chemin. Stan Lee demande au bout de quelques temps à Kurtz­man de plancher sur une série plus ambitieuse à la Blondie, ce qui n’enthou­siasme guère le très décon­neur Kurtz­man. trait pour une couv de Frontline Il croise à cette période William M. Gaines qui a hérité des EC Comics (educa­tio­nal comics) et qui désire faire évoluer sa gamme de comics en ”Enter­tai­ning Comics”. Il lance une série de revues basées sur des thèmes très à la mode à l’époque : le fantastique/​horrifique/​SF où s’illus­trent des auteurs devenus célèbres comme Wallace Wood, Jack Davis, Bernie Krieg­stein et autres Al William­son. Rapide­ment, Kurtz­man demande à avoir son propre comics et Gaines lui octroie Two-Fisted Tales suivi de Front­line Combat en 1951, toutes les deux consa­crées aux histoires de guerre (on sort de la Seconde et celle de Corée fait rage). Kurtz­man dépense une énergie phéno­mé­nale pour faire des revues de quali­té : il lit un maximum de livres et d’articles et inter­viewe des vétérans pour réali­ser des histoires de guerre qui tiennent la route. Ses scéna­rios sont présen­tés sous forme de décou­pages très précis et il supporte diffi­ci­le­ment toute modifi­ca­tion de la part de ses colla­bo­ra­teurs. Mais la somme de boulot lui parait dispro­por­tion­née par rapport à ce qu’il touche puisqu’il reste payé à la page. Il propose alors à Gaines de faire un journal humoristique/​satirique. Mad sort fin 1952. Sa moder­ni­té tient à la vision que Kurtz­man donne de la socié­té améri­caine de l’époque et notam­ment le cinéma et la télévi­sion qui s’impose dans les foyers. Mais ce n’est pas suffi­sant : Kurtz­man voit grand et rêve d’une revue plus presti­gieuse qui dépas­se­rait le format comics et le public qui va avec. Il veut une revue de quali­té impres­sion équiva­lente aux grands magazines US. En 1955 sort la seconde version de Mad qui corres­pond à ses rêves… et cinq numéros plus tard, Kurtz­man quitte EC comics en abandon­nant son beau bébé.
C’est qu’entre temps, il a croisé le chemin d’une étoile montante de l’édi­tion magazine US : Hugh Heffner, le patron de la révolu­tion sexy Playboy. Ce dernier a tout de suite compris à quel point l’équipe de Mad était douée et il propose à Kurtz­man de créer une revue humoris­tique sous son égide. Kurtz­man est frustré de travailler chez EC dans des condi­tions qu’il trouve étriquées et a tenté un coup de poker en exigeant 51% du magazine.projet d'adaptation de Dickens au format roman graphique Gaines manque de s’étouf­fer avec son cigare et propose 10%, bien conscient de l’impor­tance de Kurtz­man. C’est évidem­ment ”insuf­fi­sant” et voilà donc une grande partie de l’équipe Mad plancher sur Trump. Budget illimi­té pour le premier numéro. Enfin, le Paradis ? Il y a quand même de petits arran­ge­ments. Kurzman n’aime pas le titre qui lui est imposé par exemple mais il profite très large­ment de la généro­si­té de son nouveau patron au point que ce dernier confie­ra que Kurtz­man avait réussi à explo­ser un budget sans limite. La sortie du premier numéro de Trump est un succès phéno­mé­nal qui… ben en fait non. Le groupe Playboy en plein boom fait face à des diffi­cul­tés avec ses banquiers et Heffner décide d’arrê­ter une aventure qui lui parait trop coûteuse au bout de deux petits numéros. Voilà Kurtz­man bien embêté les amis. Humbug. Voilà la solution. Un magazine finan­cé par les auteurs fonda­teurs qui sort en 1957 et qui ne dure qu’une belle année. Kurtz­man s’arrache les cheveux et se contente de travaux en freelance pour des magazines divers.
1960. Il s’asso­cie avec James Warren pour créer Help !. En tant que copro­prio, il a le pouvoir de décision et il sent que c’est tout bon ce coup-ci. Help ! reprend évidem­ment l’humour des précé­dentes revues et innove en mettant en scène en couver­ture des acteurs et présen­ta­teurs télé par exemple. Tout ceci soigneu­se­ment contrô­lé par Kurtz­man, véritable control freak. C’est dans les locaux de Help ! que vont se croiser notam­ment John Cleese (acteur dans un roman photo pour le magazine) et Terry Gilliam, assis­tant de Kurtz­man en 1964, futurs fonda­teurs des Monty Python une fois que Help ! ait bu la tasse en 1965. Cette fois-ci, Kurtz­man a une bouée de secours. Il travaille avec son vieux complice Elder (un dessi­na­teur qui supporte parfai­te­ment les direc­tives dicta­to­riales de son pote et qui rajoute même des gags visuels) pour Playboy depuis 1962 avec Little Annie Fanny. Désor­mais il se consa­cre­ra entiè­re­ment à ce person­nage au grand dam d’une partie de ses fans. Ce person­nage à gros seins obligé de se désha­biller sur l’injonc­tion de Heffner qui contrôle soigneu­se­ment les planches (avant de passer la main à des assistant(e)s pas toujours à la hauteur), ce n’est sûrement pas la liber­té dont rêvait Kurtz­man qui ne possède aucun droit sur sa création. Il ne pourra plus jamais faire tourner sa machine à idées à plein tube. Finale­ment, son héritage s’est concré­ti­sé en France avec Pilote, L’Écho des Savanes et Fluide Glacial.

À noter qu’il existe des réédi­tions reliées de quasi­ment toutes ces revues encore disponibles.

couv de Help avec concept

Partagez ce contenu

!ABC Pour signaler une erreur ou une faute de français, veuillez sélectionner le texte en question et cliquer sur l’icône R en bas à gauche.

fille boutique fond
fille boutique seule300b

Visit my shop

Illustrations, livres, ex-libris, planches en vente sur ma boutique.

43 commentaires

  1. J’avais lu une annonce à propose de ce livre et je te remer­cie d’en faire un compte rendu aussi détaillé. Ce qui est curieux, c’est que je ne l’ai pas vu pendant ma tournée des librai­ries parisiennes la semaine passée. Etait-ce trop tôt pour qu’il soit en rayon ? En tout cas, cela semble être un ”must” !

  2. Il est sorti depuis quelques mois. J’ai mis beaucoup de temps à le comman­der puis à le lire :-).

  3. Billet très interessant.
    Je ne savais pas tout cela sur Kurtzman.
    Je redécouvre aussi un excellent dessi­na­teur, assez moderne finalement.

  4. Oui, il a un dessin très enlevé et je suis sûr qu’il se serait adapté sans problème à notre époque.

  5. Raymond en parle, Dionnet en parle,vous mainte­nant. Qu’est-ce que les français attendent pour éditer d’autres ouvrages de Kurtz­man que le (génial mais bien mal présenté)”Livre de la jungle”? Une édition des Beaver Goodman permet­trai à pas mal de lecteurs de décou­vrir deux grands auteurs et une certaine préhis­toire des Monty Python,Gotlib,etc.

  6. Ah ben s’il fallait éditer en France tous les trucs indis­pen­sables, on croule­rait sous le papier :-)
    Je ne vois pas quel éditeur pourrait jouer ce rôle en ce moment.

  7. On trouve pas mal de rensei­gne­ments sur Kurtz­man dans les quatre très beaux recueils de Little Annie Fanny jadis édité chez Hors Collec­tion, que l’on trouve peut-être encore chez les soldeurs.

  8. On peut imagi­ner qu’un FUTUROPOLIS(qui s’ever­tue à ne publier que des ”chefs-d’oeuvre”) publie­rait du Kurtzman.Ou qui sait Fluide Glacial qui boule­verse un peu(oui,un peu)sa politique d’albums…Bah,ça viendra.Drugstore(quel joli nom),filiale Glénat,joue parfois les pères Noel dans ce domaine…Mais il me semble qu’il manque surtout un vrai refuge pour ces ”classiques”,une pléiade je sais pas,mais une vraie idée,forte et pensée(Houlaaa)d’édition…Dans ma liste de couses,j’en appelle aussi à une revue qui serait l’écho de cette politique-là.Comme un ”Courrier-inter­na­tio­nal” de la B.D.(Afrique,Amerique du sud,USA etc) et de l’illus­tra­tion en compo­sant patri­moine et contemporain.Allez,va,J’arrete mes fantasmes.

  9. Si Fluide devrait faire une collec Classiques, ça pourrait tout à fait rentrer dedans. On verra, c’est le genre de projet lancé par un dir de coll qui pète un plomb…

  10. Bonne info.(Merci Totoche)Un mélange entre la partie bd-repor­tage de ”21”(et aussi ”9éme art”,un peu)et la relance de ”métal hurlant”.Faire naitre des collaborations…

  11. Et je ne le regrette pas !

    Au prix actuel­le­ment affiché sur la toile, c’eut été une erreur de s’en priver.

    Rassu­rant de voir qu’il y a encore des types (étasu­niens, de surcroît) qui font des ouvrages comme ça !

  12. Ben en ce moment, c’est surtout les Étatsu­niens qui montrent des beaux livres riches et pas chers.

  13. On peut lire le n°1 de Humbug en PDF sur le site de Fanta­gra­phics (qui les a réédités) :

    http://​www​.fanta​gra​phics​.com/​i​n​d​e​x​.​p​h​p​?​p​a​g​e​=​s​h​o​p​.​p​r​o​d​u​c​t​_​d​e​t​a​i​l​s​&​f​l​y​p​a​g​e​=​s​h​o​p​.​f​l​y​p​a​g​e​&​p​r​o​d​u​c​t​_​i​d​=​1​5​0​1​&​c​a​t​e​g​o​r​y​_​i​d​=​5​4​6​&​m​a​n​u​f​a​c​t​u​r​e​r​_​i​d​=​0​&​o​p​t​i​o​n​=​c​o​m​_​v​i​r​t​u​e​m​a​r​t​&​I​t​e​m​i​d​=​6​2​&​v​m​c​c​h​k​=​1​&​I​t​e​m​i​d​=62

  14. En fait, même aux états-unis, il n’y a pas beaucoup de bouquins d’Har­vey Kurtz­man actuel­le­ment dispo­nibles : ”The complete Trump” chez Fanta­gra­phics, ”The grasshop­per and the ant” chez Denis Kitchen, ”Playboy’s Little Annie Fanny” chez Dark Horse/​Playboy Press, et ce magni­fique ”The art of Harvey Kurtz­man” chez Abrams. Les deux premiers volumes de ”MAD” (comic book) sont peut-être encore dispo­nibles égale­ment, ainsi que ses ”TWO FISTED TALES” et ”FRONTLINE COMBAT”, mais j’ai un doute…Evidemment je m’en fous puisque j’ai à peu prés tout. ”The Complete PLAYBOY’s TRUMP” (les deux numéros, plus des bonus) est annon­cé depuis deux ou trois ans chez Dark Horse/​Playboy Press, et devrait sortir en 2011 m’avait écrit Denis (Kitchen) mais je commence à douter.
    Je reste à votre dispo­si­tion pour tout détail supplé­men­taire, bien sûr.

    • Les volumes de Mad ne sont pas tous dispos et certains chers en occase. En fait, ce serait bien de savoir ce qui vaut vraiment le coup. Les amateurs sont assez parta­gés, notam­ment sur des gags portés sur l’actua­li­té média­tique de l’époque, complè­te­ment incom­pré­hen­sibles de nos jours.

  15. @Li-An :

    Un DVD-ROM ”ABSOLUTELY MAD” contient les 600 premiers numéros de MAD
    http://​www​.gitcorp​.com, isbn : 0 – 9768886‑6 – 1, dans les $50.00 je crois me souve­nir, il devrait toujours être dispo­nible, peut-être même soldé. Je n’ai pas aimé les traduc­tions françaises : la verve et la subti­li­té de Kurtz­man ne passent pas. C’est vrai aussi que comme souvent dans les parodies, sans un gros appareil critique ça ne passe pas auprès des jeunes généra­tions, comme dit l’autre. Ce que dit Dionnet sur son blog sur ”The Complete Humbug” n’est pas mal non plus.

  16. Oui, bon, consul­ter ça sur ordi, c’est un peu lourdingue (sauf pour les chercheurs). Et je ne pense pas avoir un niveau d’anglais suffi­sant pour comprendre toutes les subti­li­tés (sauf en cas d’his­toire muette :-)).

  17. Je me permets un salut amical à Jacques Dutrey;immense et passion­nant ”chroniqueur-USA”!(Un simple lecteur).Est-ce que KURTZMAN n’avait pas été traduit(entre autres)par Yvan Delporte(ou Gotlib en personne?)?..

  18. Ha, la traduc­tion, vaste problème !
    Fremion Yves a traduit quelques pages de ”Hey Look!” dans Fluide Glacial et l’album ”Hé les Mecs!”, que Gotlib a super­be­ment lettré (ah les lettrages de Gotlib!).
    Gotlib a traduit quelques histoires de Mad dans le premier album français (j’ai la flemme de vérifier).
    J’ai traduit en nordri­cain le beau-texte de Li-An sur ”The art of Harvey Kurtz­man”, et l’ai envoyé à mon vieux copain Denis Kitchen et à mon nouveau, Paul Buhle. Si Li-An m’envoie son e‑mail, elle pourra peut-être avoir des scans de trucs de Kurtz­man qui ne sont pas dans ”the art of”.
    Fershid Barhu­sha et sa moitié ont traduit/​trahi une grande partie des ”MAD” publiés en France en cinq albums.
    Marc Voline a traduit ”Harvey Kurtz­man’s Jungle Book” pour Albin Michel et un autre (dont le nom m’échappe, flemme de chercher) l’avait fait avant lui pour ”Charlie Mensuel” et l’album incom­plet des éditions du Square.

  19. @Julien :
    van Delporte n’a pas touché à kurtz­man, mais il a été le premier à traduire Walt Kelly (POGO) pour la collec­tion ”Gag de poche”, et c’était pas de la tarte !

  20. Ah ! ah ! Non, je ne suis pas une fille (il va falloir que je l’écrive en gros). Quoiqu’il en soit, merci pour ces complé­ments d’informations.

  21. Chuuuuttt…Y a peut etre un prix qui se joue ce mois-ci;ne pas évapo­rer complé­te­ment ce malentendu…Et,sans ironie:Bonne chance pour ce GAUGUIN.

  22. Oui, c’est vrai, ça peut se jouer à ça (j’ai eu l’impres­sion que j’ai reçu le Grand Prix de la Ville de St Denis de la Réunion parce qu’un des jurés m’a confon­du avec le grand Serge Huo-Chao-Si).

  23. N’est-ce pas aussi une confu­sion avec(Evelyne)Tran-Le;coloriste de Valérian?Et joli nom,par ailleurs?C’est vrai qu’il est grand Serge Huo-Chao-Si.Combien de fois n’aura-t’il pas été ortho­gra­phi­que­ment torturé,trituré!?Jean Graton est peinard.(Quoique.)

  24. Pour les passion­nés du génial Kurtz­man il ya ”the comics journal libra­ry” N° 7 par fanta­gra­phics, avec presque exclu­si­ve­ment des inter­views de l’auteur.
    Partie icono­gra­phique intéres­sante (roughs pour ”dinner at elaines” illus­tra­tion d’al Jaffee…)
    Parfois pages bds ou illus­tra­tions impri­mées trop petit
    Ferait un très bon complé­ment du livre chroni­qué par Li-An
    J’ai acheté dans le mauvais ordre, j’en ai bien peur ;)

  25. Bonjour suite aux extraits vu dans à comics journal library,
    Je cherche à savoir si ont été réédi­té les bandes dessinées
    De # Harvey Kurtzman :
    – ”Requiem pour un poids Lourd vu de l’inté­rieur” Help novembre 1962
    Et
    – Pageant 02/​1962 ” the psycho­lo­gi­cal Indian”

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise des cookies pour vous offrir la meilleure expérience possible.