Lorsqu’un ami libraire m’a parlé de ce bouquin, j’ai un peu tilté en grommelant ”purée, il ne se gène pas ce type, du Moebius en plein…”. Évidemment, j’aurais dû deviner que Loïc Goisnard ferait partie du groupe Google Giraud/Moebius et que mes remarques ironiques ne passeraient pas inaperçues. Goisnard m’a très gentiment proposé de m’envoyer un exemplaire de son livre et je ne pouvais qu’accepter au moins pour satisfaire ma curiosité.
Goisnard semble inspiré par les dernières années de Moebius – volutes/spaghettis pour faire vite – et uniquement des illustrations. Pour de nombreux dessins, il semble y avoir des échos d’images ”connues” de Moebius – pour les amateurs probablement – et en creusant un peu, on finit par voir d’autres figures apparaître qui laisse à penser qu’un univers original est en gestation.
J’ai toujours eu une faiblesse pour les dessinateurs qui s’immergent totalement dans une oeuvre qu’ils admirent au point de chercher le mimétisme – une situation que j’ai vécue moi-même. Dans le cas de Moebius, c’est encore plus facile puisqu’il laisse beaucoup de liberté d’interprétation ce qui pousse à compléter. On n’est plus dans un système de copie mais dans un désir de fusion, une espèce de parcours mystique dans le désir de comprendre intuitivement et profondément ce que l’on admire. Il y a un côté fan attitude mais pas seulement puisque l’on crée et que l’on ne recrée jamais exactement ce que l’on aime – la frustration de l’artiste qui tente de faire aussi bien, à qui l’on reproche cette imitation et qui ne voit que les différences entre son travail et celui du maître.
Un autre point positif de cette recherche de fusion, c’est que l’on met la barre très haut. On s’attaque à une oeuvre géniale et c’est une école d’humilité et de remise en cause – les gens très doués trouvent en général très rapidement leur graphisme et non pas à souffrir ce parcours.
Mais il faut reconnaître que ce besoin de fusion touche en général les jeunes artiste qui se cherchent. Goisnard est de ma génération et il a découvert Moebius dans Métal Hurlant, on aurait pu croire qu’il serait plus intéressé par cette période plus rock’n roll. Son approche et son désir n’en sont que plus troublants.
Je rajoute une petite galerie Moebius pour que le néophyte voit d’où ça vient :
- pour en savoir plus : http://signe-loic.blog4ever.com/
L’immersion est d’autant plus louable-et ici,admirable-qu’elle est assumée,clamée (cri d’amour,non?) avec même une forme d’humilité.D’un certain point de vue,elle me semble fort liée à l’enfance;il est arrivé à ses désirs d’admirateur absolu.Mais,à moins de demeurer à ce stade d’un copiste remarquable et heureux,je me demande quelle peut en être l’issue (ou la compagnie),à part une lourde dépression ?
En tous cas,il n’a pas l’air frustré;ce qui le rend davantage attachant.
Ça, il faudra attendre quelques années pour voir ce que ça donne :-)
Ce qui est terrible dans la copie, c’est que l’œil pointe d’abord les erreurs.
Ici, je regarde les images et je me dis : ”ça manque de vie”, ”les ombres sont mal portées”, ” pourquoi ce dessin ?”
Cette dernière question est la meilleure, vouloir dessiner en réaction à l’oeuvre d’un auteur, c’est s’exposer forcément à un unique levier de comparaison en omettant donc volontairement tout ce qui attrait à l’origine du dessin. Comme ici, l’origine est connu, Moebius, et qu’elle est géniale, Moebius, le dessin ne se confronte plus qu’au maître et la comparaison fait très mal.
Mais comme je l’ai dit, c’est surtout une volonté de se faire plaisir. Après, il y a un risque de se faire casser…
Il y a le nom de Moebius cité quelque part au moins ? Sur un site perso ou sur Deviant art, j’aurais trouvé ça sympa mais de là à en faire un livre.…
C’est marrant en tout cas parce qu’à la mort de Moebius, j’avais écrit un billet sur l’influence incroyable qu’il peut exercer sur les dessinateurs. Pour moi, il y a clairement deux catégories : ceux qui ne parviennent pas à dépasser le stade du mimétisme (il y a des noms plus connus que Loïc qu’on pourrait citer) et ceux qui parviennent à transcender cette influence (des gens comme Killofer ou Andreas) :
Moebius est largement cité dans la préface – et l’influence revendiquée. Goisnard espérait même ajouter une très jolie dédicace du Maître mais ça n’a pas pu se faire.
C’est moins ”grave” ici parce que Goisnard ne vit pas de ce type de dessins et qu’il le fait pour le simple plaisir. On aurait pu citer Manara, Cadelo etc…
Tout d’abord, merci à Li-An d’avoir accepté de donner un avis sur mon livre. Je craignais que la critique soit plus piquante. Sur ce point je suis rassuré. Ma démarche ne provoque pas une aversion totale. Apparemment, elle a plutôt tendance à créer des interrogations voire des incompréhensions. Que dire, sinon qu’il n’y a aucune prétention dans mon travail et surtout pas celle de vouloir prendre la place de Moeb. Ma seule ambition est de tenter de retrouver les sensations qui se dégagent de ses dessins. Bilal dit, dans le hors-série de Arts magazine qui lui est consacré (nov. 2013), ”Il vaut mieux être inspiré par un grand que par un médiocre”. Pour moi le choix est fait. Après, il reste à poursuivre le travail pour s’efforcer de s’améliorer et le plaisir renouvelé de produire de belles images.
Et qu’est devenu le dessinateur Bati..?(Même génération,tiens,d’ailleurs;mais son parcours est autre)
Je l’avais croisé il y a quelques années à Orléans où il proposait une exposition relative à la fabrication d’une BD avec des synopsis de Moebius justement.
Éloge de l’émulation ! Tu vas chroniquer les Pictes ? :)
J’y pensais en voyant hier à la gare les affiches pour les Pictes. Comment dire du mal du travail de Goisnard et ne pas s’offusquer de Conrad faisant du Uderzo…
Allons, tu ne saurais te montrer trop cruel ; je t’ai vu dire du bien de Daan Jippes (graphiquement parlant ! Beaucoup moins sur le scénar)
Oui mais Jippes fait du Franquin avec un projet personnel, ça n’a rien à voir avec la machine Astérix – d’ailleurs la couverture ressemble à une pub Mc Do.
Ne te disperse pas, concentre-toi sur le dessin ! Nul ici ne saurait appréhender la monstrueuse machine de guerre marketing sans un haut le coeur – mais qu’en est-il du dessin ?
Quand j’aurai vu le dessin, je rendrai mon verdict.