Wasterlain a marqué mes lectures BD. Le Docteur Poche, les premiers Jeannette Pointu et même ensuite son travail chez Okapi contenait des choses merveilleuses – c’est un des auteurs les plus présents dans ma bibliothèque. Mais petit à petit, j’ai fini par me lasser : en passant chez Casterman, les aventures de Poche sont devenues enfantines, Jeannette Pointu n’avait plus droit qu’à des histoires courtes pleines de voitures, le public jeune était de plus en plus ciblé et, à un moment, j’ai arrêté d’acheter.
Je me suis donc précipité sur cette monographie signée Éric Polaert, Jean-Michel Vernet et Gilles Ratier, curieux de découvrir un auteur qui n’a pas vraiment eu droit à une reconnaissance livresque. Le livre se présente sous la forme d’une longue interview où Wasterlain raconte sa vie depuis son enfance jusqu’à aujourd’hui, ses débuts au studio Peyo – je me rappelle bien sa couverture Schtroumpf pour Spirou au trait très différent – ses tentatives de placer une série, comment Charles Dupuis s’est démené pour récupérer le personnage de Jeannette Pointu prévu à l’origine dans le magazine La Vie, promettant monts et merveilles qui ne se sont jamais réalisés. On découvre aussi les déconvenues d’un auteur qui n’aura jamais obtenu un vrai succès public apte à rassurer Dupuis. Wasterlain découvre la plupart du temps par hasard et abruptement que l’on a décidé d’arrêter ses séries. J’ai appris avec surprise que l’annonce à la fin du troisième tome de Gilles et Georges paru dans Okapi n’était pas une blague : deux autres histoires inédites en album ont été publiées dans le magazine ! Enfin, Wasterlain parle de ses inspirations et révèle les traumatismes qui l’ont marqué, notamment la mort d’un enfant qui sera à l’origine de la très belle histoire Karabouilla. Il règle aussi quelques comptes mais ça, je vous le laisse découvrir.
Comme on pouvait s’y attendre, le livre est plein d’inédits ou d’images rares voire des versions de cases différentes mais je regrette la publication de toute une série de dédicaces (collection privée), des dessins aux crayons de couleur qui n’apportent rien – là, je reste poli – et occupent quelque fois une page entière. Personnellement, je regrette qu’il n’y ait pas plus de commentaires sur le contenu de ses histoires les plus marquantes, les sources d’inspiration, l’approche d’une histoire. On reste souvent au niveau des faits, pas de l’analyse d’une oeuvre très riche – son rapport à l’oeuvre de Tintin mériterait des pages entières.
Wasterlain aura été un auteur vraiment à part, montrant une voie différente pour la BD jeunesse souvent très calibrée ou surfant sur des modes. Son graphisme des années 80 est époustouflant de vie et sa capacité d’invention et de liberté m’a marqué. Mais, encore une fois, le talent et l’originalité n’ont pas été vraiment récompensés. Pas vraiment reconnu par l’intelligentsia BD – le personnage de Jeannette Pointu n’a pas eu droit de cité dans la conférence sur les rapports entre journalisme et bandes dessinées en 2012 à Angoulême – Wasterlain réalise maintenant des BD enfantines toujours aussi enfiévrées mais moins marquantes.
Quoiqu’il en soit, ce petit livre servira de référence utile aux amateurs et me rappelle que je n’ai toujours pas investi un peu d’argent dans la réédition en recueil des Docteur Poche avec plein de trucs inédits dedans. J’ai aussi découvert qu’il existe une revue intitulée Quatrième de couv’, réalisés par des fans, qui éditent de nombreuses choses rares ou inédites. Malheureusement, pas de site Internet…
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Je rejoins cette pointe d’amertume (distance désabusée?)de ton billet,complet.Evidemment,le cheminement de Wasterlain offre aux lecteurs beaucoup de regrets.Cela a déjà été débattu par ailleurs,ici même sur ces cassures,affaires de génération ou de culture,une chance trop souvent absente,des voies aux issues malheureuses…Il était question d’une adaptation de ”La guerre des boutons” en 1983 – 84;il doit bien en rester quelque chose..?Les monographies MOSQUITO sont souvent remarquables(Baudoin,Toppi,Battaglia,Lepage…)et on imagine mal-dommage-une partie critique sur cet état de grâce perdu de Wasterlain.
@julien : ben difficile de dire que ça a été facile pour Wasterlain.
La guerre des boutons est tombée à l’eau mais visiblement, ça l’arrangeait.
La monographie arrive à un moment un peu étrange : pas en pleine gloire, pas à la retraite… Mais, bon, Mosquito est son éditeur officiel maintenant :-)
Aaaah, Wasterlain… Je suis toujours scotché quand je regarde ses planches des premiers Docteur Poche, où on sent un peu l’énergie d’un Ronald Searle qu’il admire beaucoup. Le truc qui m’a marqué, c’est son trait de plume ”cassant” qui lui a été imposé par un accident à la main ! Comme quoi…
@Guillaume : c’est ce qu’il y a de mieux à faire : savoir utiliser les limitations pour rebondir.
@Li-An : Et de quelle façon dans son cas … Il est passé de son trait ”rond” hérité de Peyo à quelque chose d’hyper incisif complètement décalé du style belge de l’époque. J’avais les albums, j’ai racheté les 2 compilations Dr Poche. Très bien faits, beaucoup de matériel en plus, bien choisis, rédactionnel irréprochable et bigrement intéressant.
@Guillaume : perso, je n’ai pas les premiers albums que j’ai offerts par contre – et j’en ai pas mal en Spirou. Donc, la compile devient de plus en plus une urgence. À St Malo, Mosquito n’avait pensé à emmener que deux (!) exemplaires de cette monographie. Quelle idée…
Oui, dommage que cette monographie ne gratte pas plus l’œuvre et reste dans le factuel. Finalement on en apprend plus sur ses débuts en chambre de bonne et on passe très vite sur Dr Poche et Jeannette Pointu, ça donne une vision un peu déformée de sa carrière.
(en revanche, ce qui m’a surpris, c’est d’apprendre qu’il scénarisait sans relâche des histoires de schtroumpfs jusqu’à la fin des années 90).
@jérôme : moi aussi j’ignorais cette histoire de scénarios… surtout qu’il fallait connaître l’existence de cette revue allemande.
On retrouve avec plaisir la ”patte cassée” de Wasterlain sur le tard dans ”La soupe aux schtroumpfs”;c’est un bonheur que de repérer son style qui-ne-rentre-pas-dans-les-codes.Toutes les reprises de vieilles choses manquent cruellement de ce genre de patte…Non.Pas d’exemple.
@julien : bah, on peut dire du mal des reprises qui sont philosophiquement critiquable…