Yves et Ada Rémy ont écrit à quatre mains Les soldats de la mer, découvert à l’époque où j’abordais la SF et le livre m’avait suffisamment marqué à l’époque pour que le Bifrost qui leur est consacré me donne envie d’investir pour en connaître un peu plus sur des auteurs atypiques.
On va commencer par la fin avec l’annonce du prix Nebula remis à Jeff VanderMeer pour Annihilation à paraître Au Diable Vauvert – sa Cité des saints et des fous était une des choses les plus étonnantes que j’ai lues. Je suis donc impatient de découvrir ce nouvel ouvrage.
Roland Lehoucq décrypte de manière très compréhensible les problèmes de physique soulevés par le film Interstellar de Christopher Nolan que je n’ai pas visionné – et donne une vision critique assez paradoxale du film qui semble osciller entre incohérence scénaristique et ambition. Du coup, ça donne envie pour se moquer ou s’esbaudir.
Trois nouvelles
Côté nouvelles, c’est plutôt de la bonne pioche.
Nuits cristallines de Greg Egan nous montre un gros ponte des nouvelles technologies/médias en possession d’un processeur révolutionnaire et qui utilise ces faramineuses capacités de calcul pour créer une intelligence artificielle par le biais d’une race de créatures virtuelles.
Au final, avec un point de départ moderne, on retrouve le vieux thème classique de la SF du petit peuple qui élève au rang de divinité un être humain – on le retrouve dans Toy Story, Men in Black et même un épisode de Rick et Morty.
L’introduction de Facteur X de Laurence Rivière m’a un peu fait peur puisqu’il est dit qu’elle travaille sur un roman où Pierre Tchernia borgne serait patron de la DST. Et la nouvelle est tout à fait dans cette veine : travaillant au service de recherche de l’ORTF – la télé française des années 1960 pour les plus jeunes de mes lecteurs et un service qui a donné les Shadocs notamment – Michel Bertin a l’idée d’un personnage de facteur, interprété dans la première saison par Daniel Gélin – qui voyagerait dans des univers parallèles où il vivrait des aventures étranges et fabuleuses. Au fil des décennies, cette série télé devenue culte, va profiter de la participation de tous les créateurs SF français.
Évidemment, si vous avez un peu de culture geek, vous pensez immédiatement à Doctor Who. Et c’est tout le concept de la nouvelle. Puisque le Docteur Who vit dans des univers parallèles, on peut imaginer un univers où ce sont des créateurs français qui ont créé un personnage équivalent. Il y a donc moultes clins d’œil à la célèbre série britannique mais aussi à tous les acteurs de la SF française – jusqu’à Dionnet, Moebius ou Druillet par exemple pour rester dans la BD.
Si je me suis un peu demandé à quel public s’adressait le texte à ses débuts – les nombreuses références très documentées parlent d’une époque inconnue à la jeune génération – le travail de reconstitution d’une série imaginaire devrait parler à des lecteurs très contemporains. Un résultat assez étonnant qui me rend curieux du travail de Mme Rivière.
Les légions du Temps de Michael Swanwick est un hommage à une SF classique – Williamson, Van Vogt mais ça m’a aussi fait penser à une série de Leiber. Dans le Chicago des années 1930, une femme travaille dans un bureau vide à surveiller la porte d’un placard vide, sous les ordres d’un odieux personnages à l’autorité surnaturelle. Dans un geste de défi, elle ouvre le placard à une heure non autorisée et se retrouve dans un étrange futur où les humains sont esclaves de… de quoi exactement ? Une histoire pleine de paradoxes et de rebondissements énormes assez jouissifs. J’aime beaucoup ce genre de SF qui laisse le lecteur imaginer des choses derrière ce qu’il lit.
Dossier Yves et Ada Rémy
J’ai lu les Soldats de la Mer il y a fort longtemps et je me rappelle de nouvelles à caractères fantastiques autour d’un univers napoléonien et parallèle qui m’avaient beaucoup plues à une époque où la SF française oscillait entre pamphlet politique et expérimentations linguistiques dickiennes. Du coup, j’ai eu envie d’en savoir plus sur un couple qui a écrit très peu de textes. On a les envies que l’on peut…
Le dossier comporte une nouvelle militaro/fantastique, Naissance, vie et mort d’un fantôme, dont le titre résume tout. Il montre les deux auteurs dans leur élément naturel puisqu’ils ont beaucoup travaillé pour l’Armée à filmer des documentaires et courts-métrages. Ils recueillent ici l’histoire d’un pilote qui se tue à l’entraînement en pilotant le fameux F 104 surnommé le Faiseur de veuve par les militaires allemands qui eurent à le piloter. Mais le défunt ne se résout pas à quitter ce monde. Pas très passionnant de mon point de vue. Passons.
L’interview est bien plus rigolote. Ada et Yves racontent leur vie et elle pourrait faire l’objet d’un roman sur la jeunesse française dans l’après-guerre. Deux jeunes gens qui montent à Paris, se rencontrent à l’IDHEC et flirtent avec le cinéma français sans véritable vocation – Ada pensant même faire chanteuse dans les caves de St Germain. Et petit à petit, ils finissent par se poser, découvrent la SF et le fantastique – ils racontent des histoires de chineurs épatantes comme ce voisin qui a fait fortune en vendant des photographies pornographiques pédophiles aux soldats allemands pendant l’Occupation – et écrivent pour se faire plaisir des nouvelles fantastiques à rebours de ce qui plaît au public.
C’est très agréable de découvrir un couple qui s’est cherché, qui n’a jamais tenté de faire une carrière et dont la curiosité tranquille a été le moteur du plaisir de vivre une vie à deux heureuse. On est loin des clichés sur les artistes et les romanciers.
Conclusion
Au final, un très bon numéro de Bifrost avec évidemment une partie critique qui m’a alléchée. Et je vais finir par m’habituer à la maquette… On peut toujours rêver.
Ah, si la maquette finit par ne plus te choquer, tout va bien ! :D
Je n’ai pas lu ce numéro, mais j’ai pu rencontrer le couple Rémy (et sans doute une deuxième rencontre bientôt à Rennes), et ils sont extrêmement sympathiques, gentils, d’un abord facile, bref c’est un vrai bonheur de discuter avec eux.
Faudrait que je lise ”Les soldats de la mer” un jour (et en plus il m’attend sagement sur ma pile de livres…).
Je ne sais plus si je l’ai acheté ou pas – je l’avais emprunté à une bibliothèque à l’époque. Je suis tenté de réinvestir mais bon.