De DJ Medhi, je ne connaissais pas grand-chose. J’ai croisé son nom dans différents magazines que je lisais et ça m’intriguait : associer DJ avec un prénom maghrébin avait une résonance surprenante (j’ignorais alors que l’univers de la nuit parisienne, puis techno, était très blanc de peau).
Son visage très jeune, en couverture des Inrockuptibles, m’avait frappé. Et un ami parisien a eu la malchance d’habiter l’appartement au-dessus de celui de DJ Mehdi. Il m’avait expliqué qu’il avait été contraint d’adapter ses horaires de sommeil sur ceux de Mehdi qui travaillait sa musique à n’importe quelle heure du jour et de la nuit. Puis de déménager en désespoir de cause. Tout ceci était bien joli, mais, à l’époque, l’univers musical de Mehdi semblait éloigné de ce que j’écoutais.
Le Mozart des banlieues
Arte.tv propose depuis peu un documentaire signé Thibaut de Longeville, Made in France en six parties consacré au compositeur/musicien/DJ et les critiques m’ont donné envie d’en savoir plus. Je ne vais pas vous mentir, c’est de la belle ouvrage.
Mehdi est un petit prodige geek : fasciné par le hip-hop, d’une curiosité insatiable, il va monter son propre matériel à l’adolescence et croiser le chemin du rap de la banlieue parisienne dans le début des années 1990 – il faut le voir avec son grand ami Kery James, deux minots à peine collégiens en vadrouille pour s’acheter des vinyles. Pour tous ces groupes en formation, il va habiller leurs chansons et leur texte en dépassant leurs attentes et les poussant à faire mieux. Jusqu’aux Victoires de la Musique 2000, où le groupe 113 qu’il produit rafle, à la surprise générale, deux Victoires, dont celle du public (il faut voir les visages atterrés d’une partie de l’assistance pour prendre conscience du bouleversement que ça implique dans l’industrie musicale française).
Promoteur et défenseur d’un rap sans concession, DJ Mehdi va néanmoins multiplier les collaborations avec des artistes plus grand public et, à l’avènement de la musique électronique française (la fameuse French Touch), se rapprocher d’un univers très éloigné du rap. En partant d’un constat simple : les gens de l’électro utilisent le même matériel que moi, travaillent le son et les samples avec la même philosophie, ils sont nés à quelques pas de chez moi, j’aurais pu être eux. Il débute alors une seconde vie dans les boîtes où on danse, décolle pour faire le DJ dans le monde entier. Et finit par collaborer avec des ténors du rap US. Une espèce de boucle logique.
Il meurt dans un accident, en 2011, à l’âge de 34 ans.
Sans étiquette
La série est superbement réalisée avec, on pouvait s’en douter, un soin très particulier porté au son. Comme Mehdi a été filmé très tôt par de nombreuses personnes, on le voit grandir, travailler, expliquer son boulot (passionnant). Son entourage, fasciné par sa précocité et son charme, commentent intelligemment son parcours, n’hésitent pas à blaguer ou se moquer de leur incompréhension face à un artiste toujours en mouvement. Pour les neuneus comme moi, c’est aussi une plongée dans les banlieues des années 1990, l’histoire du rap français puis de la techno qui s’écrit. Et, mine de rien, à une époque où on nous bassine avec « la vraie France », l’histoire de Mehdi montre qu’il existe une France très éloignée des fantasmes de droite qui rayonne de manière positive à travers le monde.
Le seul élément un poil frustrant, c’est que Mehdi montrait une personnalité tellement attachante que l’on se demande quels défauts il pouvait avoir. Les petites parts d’ombre abordées sont vite évacuées – et encore, ce n’est pas scandaleux : goût de la fête avec les excès qui vont avec, dépression lorsque ça ne va pas dans le bon sens.
Évidemment, je suis allé écouter les albums de Mehdi… mais rien à faire, ce n’est pas tout à fait mon type de musique. Ce qui prouve que vous n’avez pas besoin d’apprécier ses sons pour vous passionner pour son parcours et cette série documentaire d’une qualité très haut dessus de la moyenne.
À voir ici https://www.arte.tv/fr/videos/RC-025704/dj-mehdi-made-in-france/ et tous les applis/supports jusqu’au 31 juillet 2024.