Django Unchained étant un western et un film de Tarantino, je ne pouvais pas passer à côté. Pour ceux qui ne l’ont pas vu et qui ne veulent pas en savoir plus pour garder la surprise de la découverte intacte, je vais commencer par faire vite. Est-ce un grand western ? Non. Est-ce le meilleur Tarantino ? Non. Est-ce que ça vaut le coup d’aller le voir ? Oui. Passons aux choses sérieuses.
Django (Jamie Foxx) est un esclave racheté – de manière violente – par un chasseur de primes d’origine allemande (Christopher Waltz) qui en a besoin pour identifier trois truands. Les deux s’associent ensuite pour libérer la femme de Django qui a été revendue à un gros propriétaire (Leonard DiCaprio). Ça finira mal cette affaire.
Est-ce que c’est un grand western ?
Tarantino a tellement cité les westerns spaghetti dans ses précédents films qu’il n’est pas surprenant qu’il rende hommage à un genre défunt mais toujours inspirant. Avec sa démesure, ses personnages décalés ou archétypaux, le spaghetti est un jouet merveilleux pour raconter une histoire – particulièrement de vengeance – avec plein de morts violentes dedans. Une autre caractéristique du spaghetti, c’est qu’il ne se préoccupe pas trop de réalisme historique, le look étant trop important pour se préoccuper de crédibilité ( à l’exception notable de Sergeo Leone qui était très respectueux de ce côté là). Dans le cas de ce Django, j’ai eu un peu de mal à deviner si Tarantino avait essayé de respecter un minimum l’époque de l’action – avant la Guerre de Sécession. J’ai tiqué sur la Winchester mais il semblerait que j’ai eu tort. J’ai tiqué sur les chasseurs de prime qui me semblait une caractéristique plus tardive mais en fait, je ne suis pas sûr de mon coup. Bref, vaut mieux laisser son sens critique au vestiaire. Visuellement, c’est très sympa mais sans plus. Du point de vue purement westernien, j’ai largement préféré Appaloosa ou True Grit, beaucoup plus classiques dans leur approche mais du coup, plus dépaysants.
Est-ce un grand Tarantino ?
C’est un Tarantino très différents des précédents même si il y a des prémices dans Inglorious Basterds. Alors qu’on lui reprochait de faire des films pop corns où seuls les personnages existent, Tarantino donne sa vision très gratinée du Vieux Sud (il y a des nostalgiques) et de l’esclavage. Django est d’ailleurs un catalogue des atrocités subies par les Noirs à l’époque : purs objets commerciaux, ils sont utilisés comme main d’oeuvre, objets sexuels ou bêtes de concours. Ce regard sans concession en fait le film le plus politique de Tarantino – aucun des Blancs du Sud n’ont sa sympathie, ce sont tous des ordures coupables. Mais le thème ne fait pas le film et je n’ai pas ressenti l’excitation de Kill Bill 1 ou de Basterds. La faute peut-être à un personnage principal trop héroïque. Jamie Foxx a une bonne gueule mais on se doute bien qu’il va passer à travers les balles et du coup, il est difficile de trembler pour lui. Sa quête personnelle est aussi un peu faible : son amour pour Brünehilde (oui, sa femme a un prénom allemand incroyable) est assez éthéré. En face, on retrouve avec plaisir Christoph Waltz – son rôle d’officier allemand dans Basterds est inoubliable – en ancien dentiste au langage châtié et à la morale très stricte (dans ”Mort ou vif”, il comprend surtout ”Mort”), bousculé par ce qu’il découvre de l’esclavagisme. Mais le personnage est loin d’être aussi passionnant que celui du colonel Hans Landa. En plus, j’ai trouvé que le film perdait beaucoup de rythme à la fin – la séquence la plus faible étant probablement celle de l’évasion de Django – avec des fusillades justes sympathiques mais en rien mémorables. Samuel L. Jackson en fait des tonnes dans son rôle ultraparodique d’oncle Tom vicelard et à la fin, Jamie Foxx fait quand même rudement penser à Will Smith dans Wild Wild West. De ce point de vue, Tarantino fait moins bien que ses modèles et ses collègues doués. Et même pas un seul duel dans la rue !
Est-ce que ça vaut le coup d’y aller ?
Même si c’est moins frappant, il y a de nombreuses scènes étonnantes que l’on ne risque pas de voir ailleurs – le shériff dégommé sans préavis, le père et son fils qui labourent, l’arrivée dans la première plantation, les apprentis KKK qui se plaignent, le combat de moringue dans un salon… DiCaprio est parfait dans son personnage de planteur du Sud dégénéré et on n’a jamais rendu le Sud de cette manière – des Noirs partout mais pas seulement en décor flou, avec une vie sous entendue et des personnages très secondaires frappants. Pour les amateurs, il y a des clins d’oeil ‑mais j’ai dû presque tout louper, je suis sûr qu’il cite Autant on emporte le vent – avec notamment Le Grand Silence de Corbucci pour une séquence pas hyper cohérente où nos deux gaillards vont faire les chasseurs à gage dans les montagnes enneigées. La vision de l’esclavage de Tarantino est loin d’être cliché et il pose des problèmes intéressants : le choix entre une vie d’esclave ou une mort libre (le personnage de Jackson est effrayant, Django semble être le seul à réellement se révolter) et la mise en avant d’une justification ”scientifique” de l’esclavage par DiCaprio sur un sujet où on ne se préoccupe maintenant plus que de morale alors que ça ne n’était pas obligatoirement le centre des débats de l’époque. D’ailleurs, j’ai pu voir la bande annonce du prochain Spielberg qui semble centré sur ce problème : l’ordre dit ”naturel” entre Blancs et Noirs.
La polémique
Comme pour son précédent film, celui-là a droit à sa polémique – au moment où j’écris ce billet, la page Wikipedia du film n’est plus modifiable – mais le sujet s’y prête beaucoup aux USA. Accusé d’être trop violent (il y a du sang qui gicle mais bon, ce n’est pas non plus pour les gamins de 10 ans) et même raciste (???) pour cause d’utilisation ”abusive” du terme ”nigger”, il ne mérite aucun de ces reproches à mes yeux. Par contre, il n’a pas été encore accusé d’être anti-américain et c’est pourtant une critique d’une certaine réécriture romantique de l’Histoire US. Pour répondre à Waltz effaré des horreurs qu’il apprend, Django a ce commentaire désabusé : ”il n’y a pas de quoi être étonné, ce sont des Américains”.
L’affiche même-réussie-aurait pu être une citation.Billet touffu et passionné:Voir entre les images.Evite t’il l’auto-citation..?(Et par ailleurs,est-ce gênant ce cinéma de cinéphiles?)
Oui, le film est presque anti-américain… ça m’étonne aussi que ça n’ait pas été plus commenté outre-atlantique, tous ces américains barbares et ces européens civilisés. D’ailleurs c’est ce que j’ai le plus aimé dans le film (ça se retrouvait dans inglourious basterds) : que l’opposition entre gentils et méchants se fasse aussi sur le terrain de la culture (Waltz qui parle l’anglais mieux que les américains, qui mouche Dicaprio avec sa connaissance de Dumas) et que cette culture devienne une arme (Jamie Fox qui devient de plus en plus cultivé en même temps qu’il devient de plus en plus habile au revolver).
@jérôme : ben j’ai loupé ce commentaire. Dans Basterd, la Culture est à double tranchant puisque le méchant est celui qui maîtrise le plus le langage. C’est d’ailleurs bien vu : la Seconde Guerre Mondiale, c’est la fin de la grande Culture européenne.
Ici, Tarantino joue vraiment une carte osée : démontrer que la culture du Sud – voire de l’Ouest – n’est qu’une fable chargée de masquer des atrocités. Je rappelle quand même que DiCaprio devait faire le personnage de Waltz au début et qu’il a préféré jouer le super méchant. Je pense que ça aurait modifié pas mal de choses dans le scénario – toute l’histoire de légendes allemandes n’aurait peut-être pas existée ?
@Li-An : Je crois que tu confonds, le rôle de Schultz a été écrit pour Christoph Waltz (le seul acteur du film a avoir pu lire des bouts du scénario pendant son écriture)… Tu confonds peut-être avec Inglourious Basterds où DiCaprio avait été envisagé un temps pour le rôle de Hans Landa.
Pour ce qui est du combat sur le terrain de la culture, c’est quand même très clair dans Inglourious Basterds… Que ce soit dans la première scène où le langage joue un rôle (je ne dis pas forcément que la culture est du côté du bien), dans la scène de la taverne où ça se joue sur les références culturelles, et dans l’argument principal du film, qui joue sur des combats de propagande (sans compter le symbole des bobines inflammables).
Django est peut-être plus radical en cela qu’il dénonce la culture des ”gentlemen du Sud” comme une escroquerie. Quand tu vois qu’ ”Autant en emporte le vent” est considéré comme un des plus grands films américains de tous les temps (et quand tu vois ”autant en emporte le vent”, ce que j’ai fait il y a quelques jours), tu te dis qu’un tel discours n’est peut-être pas si déplacé.
@jérôme : je ne crois pas avoir mal lu à propos de Waltz mais mes sources étaient peut-être erronées :-)
Le rapport au Sud est très ambigû. J’ai personnellement connu des gens qui, dans leur jeunesse, posaient au Sudiste – les Nordistes faisant figure d’affreux matérialistes, brisant les libertés individuelles.
@Li-An : ça rejoint un peu le propos d’ ”autant en emporte le vent”, où le sud romantique et raffiné est balayé par ces gros ploucs de yankees.
@jérôme : c’est exactement ça. Un peu la même sentimentalité à propos de l’époque des belles princesses et des châteaux.
Je ne sais pas si c’est le meilleur Tarantino (à mon avis, ça reste Jackie Brown), je ne sais pas si c’est un bon western (ma culture du genre frôle le néant), mais j’ai pris un grand plaisir à le visionner.
Tarantino fait du Tarantino, parfois ça agace un peu, mais certaines scènes surnagent nettement. En y ajoutant des dialogues travaillés, des personnages consistants, et plus étonnant, une dimension politique, je suis convaincu !
@Lorhkan : il y a un truc étrange avec Tarantino, c’est que les amateurs ont souvent des films préférés très différents.
Personnellement, je ne l’ai pas trouvé si Tarantinesque que ça – pas de fétichisme des pieds ni de contre plongée avec la tête de deux bonhommes dans le coffre de la voiture :-)
L’arrivée dans la plantation m’a fait croire à une immersion dans Mississippi River. On revient toujours à la bd …
J’ai été agréablement surpris, honnêtement. On est assez loin du western italien, et tant mieux, ça évite le pastiche ou la parodie pesante. Tarantino fait son western avec ses manies et ses tics mais c’est pour ça que c’est intéressant. La dimension comique pendant les deux premiers tiers du film est ce que je retiens, alors que la débauche d’effets hémoglobino-techniques du final m’a un peu gêné. Et ce Christoph Waltz est un très grand acteur (qui vient de loin si j’en crois sa filmographie. Derrick, le Renard …!)
@Pierre : oui, Waltz sort littéralement de nulle part. De toute manière, ça ne pouvait finir qu’en baston générale mais elle n’est pas super réussie je trouve.
Vu django aussi, que j’ai beaucoup aimé.
Juste comme ça : le duel dans la rue dans l’ouest américain, à deux ou trois exceptions prêtes est tout sauf historique, une pure invention de cinéma…
Il y a un témoignage visuel où on voit deux types s’avancer en se tirant dessus puis un qui se barre en courrant. En fait, ils s’inspiraient vaguement des duels classiques – les deux armes sont tenues à la main dès le début. Et les armes étaient bien moins précises que ce que l’on voit dans les films.
Oui. le témoignage fait partie des deux exceptions citées par nos lectures communes, et O.K corral tient plus de la bataille rangée.
Les deux duellistes à la winchester sont historiquement tombés raides morts à quelques mètres l’un de l’autre.
Disons que pour les duels cinématographiques enfant j’y ai cru comme au père noël…et qu’à force de représentations filmées beaucoup de cinéphiles peuvent encore y croire !
Dans les faits les Hors la loi et autres fils de rien de l’ouest se tiraient dans le dos (mort de wild Bill) ou lors de guet-apents, comme les gangsters de Chicago le feront quelques générations plus tard.
De ce que j’ai lu, ils se mettaient dans la rue et avançaient l’un vers l’autre en se tirant dessus – il y a eu au moins un cas comme ça :-) Mais globalement, ça devait être des règlements de compte comme on en voit aujourd’hui à Marseille notamment : je te vois, je te flingue.
Certes.
Où
encore mieux : je te vois ”désarmé” au sens propre ou figuré, je te flingue !
Les colts, dans django sont carrément des grosses Bertha ;-)
Une tradition dans les sous-westerns spaghetti qui partent dans de grands délires de flingues – on le voit dans Le grand silence qui est une des influences de Tarantino.