Mise à jour du 18 mars 2024 : après avoir vu la deuxième partie – voir plus loin.
Dune… Voilà donc le film (première partie), signé par un réalisateur de mon top ten, Denis Villeneuve. Un film d’abord mal sorti à cause de la pandémie et enfin présenté comme le blockbuster US de la rentrée. Au menu, de la SF, des explosions, de grands sentiments et des vaisseaux spatiaux. Vraiment ?
Fan un jour, fâné un jour
Dune a été un des livres importants dans ma construction artistique. Je l’ai découvert au bon âge (17 ans), au moment où je kiffais Moebius… dont l’univers SF était lui-même construit par tout le travail effectué sur le projet d’adaptation de Jodorowsky. Dune est un livre important dans la science fiction littéraire : sorti en 1965, il aborde des thématiques pas encore à la mode, notamment la crise de l’énergie, l’écologie globale, la génétique ou les médecines alternatives. Et destinée messianique. Le tout dans un emballage space opera très ambitieux. Le succès est énorme non seulement dans la communauté SF traditionnelle mais aussi dans ce que l’on va appeler les geeks : des étudiants scientifiques qui se passionnent pour une culture alternative et délaissent les références classiques.Dune reste une œuvre culte qui peut s’interpréter différemment à différentes périodes.
Adaptation, piège à con
Dans très longtemps, l’Empereur donne à la famille Atréides menée par le Duc Leto la gestion de la planète Arrakis. Sur Arrakis, on récolte péniblement l’Épice, une substance unique qui permet le voyage interstellaire en donnant des capacités de navigation spéciales aux navigateurs. Le fils de Leto, Paul, est un adolescent doué et curieux. Il est excité de découvrir un nouveau monde, aussi rebutant soit il, un monde désertique peuplé des vers de sable monstrueux et de tribus guerrières, les Fremen, en guerre contre les divers occupants. Sans compter les pièges laissés par les redoutables Harkonnen, anciens gérants de la planète. Rapidement, Paul découvre que les autochtones voient en sa mère et lui les protagonistes d’une prophétie qui leur apportera la liberté. Via le Jihad ?
Les producteurs ont vu tout de suite l’intérêt de capitaliser sur le succès du livre et le carton de Star Wars les a conforté dans le potentiel commercial de Dune. Les diverses tentatives font partie intégrante de la légende . La version Jodorowsky (voir mon article ici) est considérée comme fondatrice dans le développement du genre science-fiction moderne au cinéma, irrigant aussi bien Star Wars que Alien ou Blade Runner. Celle de Lynch est un échec cuisant pour un des metteurs en scène les plus importants du cinéma du XXème siècle. De manière plus anecdotique, le jeu vidéo Dune II va poser les bases du STR (jeu de stratégie en temps réel) qui va amener Warcraft et, par contamination World of Warcraft et League of Legend.
Bon, il vaut quoi ce film ?
Du coup j’ai été assez surpris et pas vraiment surpris à la fois d’apprendre que Villeneuve s’attaquait au roman. Une bonne nouvelle puisqu’en réussissant brillamment à succéder à Ridley Scott sur la très casse gueule suite à Blade Runner, il prouvait qu’il pouvait s’attaquer à des défis de ce type. Mais l’inquiétude restait : le livre est réputé inadaptable vu son ampleur et la cohérence du monde d’Arrakis. Sans compter sa narration particulière.
Dans Dune, chaque chapitre commence par un extrait du Manuel de Muad’Dib rédigée par la Princesse Irulan qui n’est autre que la fille de l’Empereur. Le Manuel porte un regard a posteriori sur l’histoire que nous allons découvrir. Dune est donc une histoire placée dans un lointain futur mais aussi une histoire déjà passée. Cette approche souligne des thèmes importants du roman : la vision du temps et de ses embranchements, le mensonge de la destinée (filiale, génétique et traditionnelle). Tout est déjà écrit et tout est à découvrir. Une autre caractéristique du roman, c’est que l’on assiste aux évènements du point de vue de plusieurs personnages, ce qui donne l’impression de savoir ce qui va arriver – de destinée manifeste – alors que Herbert joue aussi avec cette omniscience du lecteur.
Lynch avait utilisé le récit de la Princesse et Villeneuve ne le fait pas. Son adaptation va vite à l’essentiel du récit et gomme ainsi le charme de la première partie du roman où l’on découvre intimement les divers personnages, leurs rapports (tout est question de rapport dans Dune). Ici, ça avance de manière violente. Très violente. J’ai découvert avec Villeneuve que Dune est une histoire de mort. De mort brutale. On y meurt très salement — les combats se font littéralement au couteau.
J’ai essayé de relire le bouquin après avoir appris l’existence de l’adaptation mais, plus de trente ans après, j’ai rapidement calé. Les personnages de Herbert sont littéralement des surhommes (et surfemmes) qui suranalysent tout ce qui les entourent. Ça m’a un peu saoûlé. Villeneuve suggère ce comportement (il suggère beaucoup de choses développées dans le roman, certains personnages sont à peine entrevus) mais il a fait un choix fort : les protagonistes sont plus que des humains ou surhumains. Ce sont des Dieux en puissance qui s’affrontent pour dominer l’Univers. Le film est un opéra narrant une nouvelle mythologie et la musique omniprésente de Hans Zimmer entre orages, instruments traditionnels et électronique dark, nous porte sans répit dans le voyage effrayant du jeune Paul, engagé dans une voie qui l’effraie mais le fascine à la fois.
C’est probablement le premier blockbuster qui évoque l’actualité récente du Proche Orient. En parlant de Jihad en 1965, Herbert imaginait une guerre sainte qui semblait complètement obsolète et avait un parfum d’aventures orientales. Après Daesh, c’est une thématique délicate mais qui est clairement évoquée. Dune est occupée par des troupes étrangères qui ne font aucun cas des indigènes violemment réprimés par les Harkonnen. Les Fremen en sont réduits à attendre le libérateur d’une prophétie. Les violences affichées à l’écran rappellent d’autres violences très réelles. L’ensemble est suffisamment bien écrit pour que l’on comprenne que ce n’est pas la même histoire mais c’est courageux de la part de Villeneuve d’assumer ce versant du livre.
On va terminer par quelques regrets par rapport à l’histoire originale. Star Wars, la boîte à cash, présente un univers à la technologie rudimentaire très inspirée par la science fiction des années 1930 (les gens se baladent avec des capes !). Dune est assez proche visuellement mais pour des raisons expliquées dans le livre : suite à une guerre contre les machines, les humains contiennent sérieusement la technologie (il n’y a pas de super ordinateurs ou même de smartphone). De la même manière, les boucliers risquent de rendre perplexes les non-initiés : conçu pour protéger intégralement le porteur, ils nécessitent une action lente pour être traversés, d’où l’étrangeté des combats au corps à corps. À noter qu’il est utilisé par deux fois des lasers dans le film, des lasers qui se comportent comme ils le devraient, pas comme des sabres lasers en plastique.
Bon, vous l’aurez compris, j’ai pris un énorme plaisir mais en grande partie parce que je comprenais immédiatement ce qui n’est parfois qu’effleuré à l’écran. J’ignore comment les spectateurs qui ne connaissent pas le bouquin peuvent appréhender le film. Ça reste un spectacle monumental, très sobre visuellement, qui tire plus vers la peinture que l’illustration, avec des personnages parfaitement incarnés et une histoire de destinée prenante.
Dune parte tvou
On va faire vite, ce fut une déception. C’est le seul film que j’ai pu aller voir au cinéma en un an et j’ai été déçu. Déçu mais pas surpris.
Pas surpris parce que cette seconde partie, je la craignais un peu pour avoir lu le livre. Même si c’est un souvenir lointain, je savais que ce n’était pas ma partie préférée et, surtout, que Villeneuve aurait moins de grains à moudre d’un point de vue visuel. On restait dans le désert, on se farcissait des hallucinations et on faisait les choix les moins pires que l’on pensait. Difficile à faire passer sur l’écran. Du coup, il y a des ellipses dans tous les sens pas rattrapées par les scènes cultes comme dans le premier épisode. On a un peu de mal à percevoir le problème du choix de Paul. Au final, seule la toute dernière partie, au moment où Paul décide d’assumer la prise de pouvoir qu’un frisson passe (merci à Timothée Chalamet).
Ma théorie, c’est que Villeneuve a surtout envie de filmer la dernière partie, mais seul l’avenir nous le dira. Enfin, un des chemins de l’avenir possible.
Tu rejoins donc le camp de ceux que l’adaptation de Villeneuve a séduit (j’en suis). C’est fou l’attente générée par ce film et les passions qu’il suscite dans le fandom, parce que chez le néophyte, j’ai l’impression que ça passe plutôt bien, du moins si l’on en juge les résultats du box office.
On croise les doigts en attendant la sortie en Chine et aux Etats-Unis. J’aimerais bien la voir la seconde partie – on attaque le dur là – mais aussi l’adaptation du Messie de Dune, où Herbert fracasse son surhomme messie Paul Atréides.
Le fandom n’est jamais content par définition. Les tentatives d’adapter Dune ont été tellement difficiles que les fans devaient considérer que le cinéma ne pourrait jamais phagocyter le livre. Las, le voilà film référence. Peut-être qu’une série permettrait de tout mettre mais pas sûr que le grand public accrocherait facilement à la complexité de l’univers. J’ignore s’il va aller jusqu’au Messie qui est effet d’une belle noirceur.
A priori, Villeneuve souhaite aller jusqu’au messie, ce qui serait logique.
Je pense en effet que lorsque l’on connait les deux parties, on veut aller au bout de l’histoire. Mais ça fait au moins trois films, pas gagné.
”J’ignore comment les spectateurs qui ne connaissent pas le bouquin peuvent appréhender le film.”
Je l’ai vu avec mes trois grands, un seul a lu Dune. Ma conclusion : ceux qui n’ont pas lu le bouquin ne comprennent qu’ils n’ont pas tout compris, et tout va bien. Imparable.
J’ai un peu triché parce que le fiston n’avait pas lu le bouquin. Il m’a dit que ça lui rappelait surtout le Métabaron et qu’en série ça aurait été plus adapté. Mais pas pressé de voir la suite.
Comme le maître de céans, j’ai lu Dune ”au bon âge” (autrement dit, à l’âge où on le kiffe grave) et à présent que je tends à considérer ce livre comme un des plus spectaculairement surévalués de toute l’histoire de la science-fiction, je me tâte un peu pour le relire tout de suite. Non parce que j’aurais peur de caler rapidement (je découvrirais sûrement un tout autre livre que celui que j’ai lu il y a quarante ans, et du coup ça maintiendrait mon intérêt en éveil, du moins je l’espère), mais à cause de ce fichu film. Je crois que je vais voir le film d’abord. D’après ce que je lis (ici et là, et en particulier, ici) ce que Villeneuve semble avoir pris au sérieux, ce sont les nécessités du travail d’adaptation, et pas la réputation du bouquin.
Si tu as des doutes sur la relecture, le film est un bon moyen de nostalgier sur ton adolescence.