Leos Carax, quel beau nom, un nom à faire du cinéma. De fait, je ne m’étais jamais posé la question de savoir si c’était un pseudo. En fait, Leos Carax est né de M.Dupont et Melle Dupont (journaliste cinéma US quand même). Ce qui doit expliquer les références tintinesque dans son œuvre.
Comme j’ai l’âge pour, j’ai découvert le cinéma de Carax avec Mauvais Sang en salle. Ça m’a suffisamment intéressé pour aller jusqu’aux Amants du Pont-Neuf qui m’a un peu épuisé. Pola X ne m’a pas donné franchement envie et le pitch de Holy Motors suivi de l’enthousiasme limite hystérique des critiques m’a laissé perplexe. Arte ayant décidé de faire un mini cycle Carax, c’était le moment de découvrir ce fameux Moteurs sacrés. Et revoir Mauvais Sang.
Très bon son
J’avoue, je n’ai pas tenu jusqu’au bout de Mauvais Sang – facile, j’étais dans mon canapé. Trop bavard, trop conceptuel, trop trop. Et pourtant, on peut difficilement bouder son plaisir, il y a des choses mirifiques, des acteurs tous géniaux (avec Hugo Pratt en gros bras triste), Juliette Binoche est filmé avec un amour incroyable – la scène où Alex (Denis Lavant) l’entraperçoit furtivement dans un bus avec des jeux de clairs obscurs et de reflets rentre direct au panthéon du cinéma – et oscille entre légèreté et gravité mais ça cause de manière écrite avec de ”bons mots” un peu artificiels quelque fois. Mais à la fin, je me suis senti comme à l’époque, tout jeune mais avec plus de culture pour comprendre qu’il y a des références au film noir, à Godard, au cinéma muet – et puis Julie Delpy, ahhhh, Julie Delpy…
Au lit, les moteurs ?
Passons plutôt à Holy Motor et son pitch imbitable : monsieur Oscar (Denis Lavant, obligé) part au travail dans sa gigantesque limousine blanche conduite par une femme âgée très classe (Édith Scob). Il a de nombreux rendez-vous à honorer mais on découvre rapidement – avec une certaine stupéfaction – qu’il n’est pas vraiment un homme d’affaire mais un personnage qui endosse différents rôles/portions de vie en utilisant des techniques de maquillage de scène. Vieil homme à l’agonie dans un palace parisien, père écrasant sa fille, M.Merde (un personnage créé pour la série de courts métrages Tokyo ! qui hante les égouts, mange les fleurs et borborygme à tout va), etc…
Au premier degré, c’est une espèce d’hommage aux comédiens de cinéma à la vie fractionnée, aux amours lointains mais pas seulement. C’est déjà beaucoup plus vivant que ses films précédents avec moins de pose et plus d’énergie un peu rigolarde (on n’imagine pas M.Merde dans Mauvais Sang) et c’est surtout d’une invention merveilleuse. On dirait un premier film – ou un dernier ? – où le metteur en scène a peur de ne pas pouvoir mettre toutes les idées qu’il a en tête. Rien n’est vraiment prévisible et pourtant chaque scène à sa cohérence.
Pour ne pas changer, les acteurs sont prodigieux – je n’ai même pas reconnu Piccoli – il y a une bande son magnifique et une chanson de film musical renversante. Je ne m’attendais absolument pas à ça, un film avec une telle richesse qui rappelle plus une époque enfuie – le cinéma d’auteur des années 60/70 pour aller vite.
D’ailleurs, moi qui aime ironiser sur le fait que Blutch semble trop marqué par ce genre de cinéma d’un autre temps, je n’ai pas pu m’empêcher de trouver la séquence avec M.Merde incroyablement blutchienne. Dans la pose des personnages, leur interaction, leurs apparence, la beauté froide et sexuelle à la fois d’Eva Mendes, j’ai cru que je rêvais et que c’était tiré d’une BD de Blutch.
Au final, ça ressemble à un de mes films préférés de 2014, une vraie piqûre de vitamines pour doper la créativité. Et comme j’aime bien râler quand même, il y a une minuscule faute de goût avec une petite séquence d’animation 3D assez laide sans qu’on puisse vraiment dire que c’est fait exprès – ou si ça a déjà vieilli.
Holly Motors, je l’avais vu à Cannes. J’avais bien aimé (je n’ai pas compris l’hystérie des ”pour” ni celle des ”contre”). J’en garde un souvenir complètement éclaté (un peu obligé vu la forme du film). Il y avait des segments qui m’avaient laissé complètement perplexe (Mr. Merde, la motion capture) et d’autres qui m’ont laissé une trace durable dans le cerveau ou sur la rétine : le meurtre du double, le discours du père à sa fille dans la voiture, le passage avec Kylie Minogue dans les ruines de la Samaritaine. Cette dernière séquence m’avait particulièrement fait sourire parce que j’ai travaillé dans ce grand magasin lorsque j’étais étudiant juste avant que ça ferme. C’était un endroit très bizarre, majestueux en apparence mais en fait complètement pourri sous la surface. Le genre d’endroit qui méritaient qu’on transforme son agonie en objet cinématographique.
J’avoue que je n’ai pas de séquence ”la moins bonne”. Par contre, elles sont très différentes dans leur nature et dans ce qu’elles racontent comme un montage en vrac de films qui n’ont rien à voir – à part le goût du metteur en scène.