Le vent se lève est le dernier film – à tout point de vue – de Hayao Miyazaki. Évidemment, c’est la troisième fois qu’il annonce que c’est vraiment terminé mais on peut, pour le coup, vraiment parler d’œuvre testament.
Attention – le texte suivant révèle de nombreux points du scénario. Si vous n’avez pas vu le film, évitez de le lire.
Inspiré de la vie de Jiro Horikoshi, ingénieux aéronautique qui a conçu notamment le fameux chasseur Zéro de la Seconde Guerre Mondiale, Le vent se lève suit le parcours de Jiro, jeune garçon rêvant de piloter et décidant, du fait de sa mauvaise vue, de concevoir des machines volantes. Dans un Japon en pleine révolution industrielle, il rejoint les entreprises Mitsubishi où il conçoit divers prototypes. Il croise deux fois le chemin d’une jeune fille, Naoko Satomi, dont il tombe amoureux et qui se révèle atteinte de tuberculose. Elle reste auprès de lui jusqu’à ce qu’il réussisse à finaliser son premier vrai avion.
On est très loin des précédents films de Miyazaki – le pitch est super dur à vendre – et une partie du public adulescent de la salle de ciné, élevé à la fantasy de Mononoke ou au fantastique de Chihiro, est ressorti un peu perplexe. Surtout les filles.
Miyazaki est obsédé par les engins volants et pour une bonne raison : son père dirigeait une petite entreprise qui fabriquait des éléments des fameux Zéros pendant la guerre. Tous ces films mettent en scène des objets volants ou font référence au vent et au vol et il est fascinant de retrouver quasiment chaque engin dans le parcours de Jiro. Ce dernier est obsédé par les avions qu’il conçoit et même son histoire d’amour avec Naoko est sous le signe du vent.
Le film se décompose en deux parties relativement distinctes : d’abord la jeunesse et l’apprentissage de Jiro puis son histoire d’amour avec Naoko. La première est fascinante pour quelques scènes extraordinaires : le rêve de Jiro enfant, le tremblement de terre de Tokyo de 1923 (rien à voir avec le film, je découvre que des milliers de Coréens furent lynchés par la foule à cette occasion) et plus généralement, une description minutieuse de la vie à l’époque. Jiro vit dans un pays pauvre qui rêve de devenir l’égal des grandes puissances occidentales et il fait partie de cette marche en avant qui conduira à la guerre contre les États-Unis. On voit autour de lui le pays se moderniser et s’occidentaliser petit à petit.
L’histoire d’amour est à rapprocher du mélodrame : pour la première fois, Jiro se préoccupe d’autre chose que de son rêve – de manière récurrente, il rate ses rendez-vous avec sa petite sœur, preuves successives de sa difficulté à prendre en compte le monde qui l’entoure – mais ne peut rien faire contre la maladie de Naoko. À noter que la mère de Miyazaki était aussi tuberculeuse ce qui explique ces personnages de femmes malades dans ses films – la mère de Mon voisin Totoro par exemple. C’est une partie très émouvante et qui justifie le film à mes yeux.
Il faut avouer qu’il y a quelques longueurs dans la formation de Jiro : tout le monde ne se passionne pas pour la construction de rivets ou la forme d’un Junker et le voyage allemand est un peu lourdingue. Ce sont typiquement des centres d’intérêt des garçons des années 50/60 qui se rêvaient ingénieurs à fabriquer des choses étonnantes.
Il y a quelques partis pris très intéressants dans le film. En premier lieu, Jiro ne change pas de tête. Il garde le visage du petit garçon qui rêvait de voler. Et, subséquemment, les bruitages des différents engins sont réalisés … ”à la bouche”. Comme un enfant qui fait ”vroum vroum”. Si, si, faites bien attention. Cette innocence est soulignée par différentes séquences où Jiro entrevoit des évolutions politiques sombres sans pouvoir s’y plonger réellement – la scène avec les enfants affamés est intéressante : Jiro veut leur donner à manger mais ils préfèrent s’enfuir. On remarquera que la plupart des protagonistes autour de lui font la tête, notamment dans les scènes de foule.
Enfin, on peut voir des parallèles entre le métier de chef de projet aéronautique et celui de responsable de projets de studio avec une équipe qui s’enthousiasme pour un objectif et, comme Jiro pour l’aéronautique, Miyazaki a fait de l’animation japonaise l’égale de celle de Disney. On pourra aussi méditer sur le fait que les personnages soulignent qu’un homme ne peut espérer que dix années de créativité. Je me demande où j’en suis de ce point de vue.
Le final est très mélancolique : ses Zéros ont emmené les Kamikazes se suicider et les avions US ont ravagé son pays. Jiro n’a qu’une unique consolation : l’encouragement de Naoko à continuer de vivre.
Un très beau film qui se mérite plus que les précédents et qui risque de dérouter les amateurs.
Clairement un Miyazaki très différent de ses précédentes productions (même si l’aspect rêve/onirisme/fantastique reste ici très présent), et sans doute le plus personnel aussi. Une vraie oeuvre testament, c’est tout à fait exact.
J’ai beaucoup aimé, même s’il y a en effet quelques longueurs que le réalisateur n’a pas voulu coupé sans doute pour des raisons purement personnelles (le voyage en Allemagne en effet, mais les implications de celui-ci sont nombreuses, il aurait été difficile de ne pas l’inclure).
Évidemment, esthétiquement c’est bardé de plans superbes, et les bruitages ”à la bouche” des avions (et pas seulement, le tremblement de terre est vraiment ”humain”) sont une vraie belle trouvaille.
Par contre, il y a un gros plantage des distributeurs du film et des cinémas eux-même, qui visent le jeune public (bandes-annonces très jeunesse en prélude du film, mention pour dire ou replacer les réhausseurs de sièges à la fin de la séance, etc…), alors que c’est totalement un film pour adultes. Ça va désarçonner le public visé, et j’ai un peu peur du bouche à oreille qui en résultera… On verra les résultats, mais ça confirme qu’en France, animation=jeunesse…
Il faut dire que les précédents – Ponyo, le Château – ont touché un jeune public et je pense que les distributeurs essaient de jouer là-dessus.
On y allé à la dernière séance et il n’y avait que des adultes mais c’est sûr que je ne le conseillerai pas à des gamins de moins de 14 ans – sauf s’ils adorent les avions.
Le film est assez clairement nourri d’autobiographie, avec ce héros dessinateur binoclard qui fume clope sur clope, qui rappelle forcément le réalisateur (je me suis d’ailleurs demandé si la relation d’amitié mêlée de compétition avec son pote ingénieur ne reflétait pas sa relation avec Isao Takahata)… Ce qui est le plus étonnant, et le plus touchant, c’est que ce bilan d’une vie n’est pas vraiment complaisant. Au final, un doute subsiste sur les choix que Jiro/Hayao a fait : est-ce que c’était suffisant de se consacrer au dessin au point d’oublier le monde ? Le film se finit sur une note douce-amère poignante.
P.S : J’ai eu un peu du mal avec l’animation des visages. Le film est beaucoup plus sobre que les autres Miyazaki et j’ai eu l’impression que les animateurs ont eu un peu de mal avec cette animation subtile débarrassée de gestes amples et de mouvements de caméra lyriques… J’attendais des expressions plus profondes, moins stéréotypées.
Je suis d’accord pour la relation avec Takahata. J’ai voulu l’aborder mais visiblement, ce n’est pas sorti comme je le voulais.
Il y a une ou deux séquences un peu faibles techniquement qui jurent un peu lors de la seconde rencontre – ou alors je n’ai pas compris le symbolisme. Un gros plan sur les herbes/fleurs étrangement dessinées et Jiro qui devient très souple.et change de proportions quand il s’éloigne.
Au passage, l’histoire d’amour avec une malade de la tuberculose est aussi empruntée à un roman (semi-autobiographique) de Tatsuo Hori (d’ailleurs cité à la fin du film), sur la brève histoire d’amour entre un jeune écrivain et une tuberculeuse qui se rencontrent dans un sanatorium des Alpes japonaises… Si c’était pas encore assez clair, le livre s’appelle ”Le vent se lève” en référence à Paul Valéry (je ne l’ai pas lu mais d’après certaines critiques, il y a aussi des références à Thomas Mann, comme dans le Miyazaki).
Sur l’article consacré au film sur Wakapedio, ils parlent du bouquin mais sans le résumer en effet – le prénom de la jeune femme en serait issu. C’est donc une ”biographie” toute relative.