Je veux coucher avec mon IPad
Arte diffuse en ce moment une série SF suédoise intitulée Real Human – vous pouvez revoir les deux premiers épisodes ce soir très tard et suivre le reste le jeudi – et, vu les thématiques de ce blog, je me sens obligé de pondre une petite chronique.
Imaginez un monde très proche du notre où vous pourriez vous acheter un hubot (human robot): un androïde fait à l’image de l’homme, créé pour le servir… dans tous les sens du terme. Il fait un ouvrier infatigable, un domestique souriant, un jardinier zélé, un coach personnel motivant… et un amant potentiel. Sauf s’il se rebelle. Le grand intérêt de la série, c’est de faire réfléchir sur notre rapport aux nouvelles technologies qui passent progressivement de l’objet utilitaire à objet de transfert affectif voire objet de désir (sinon comment expliquer les queues devant les magasins Apple ?). Conçus comme des compagnons à part entière, les hubots deviennent de meilleurs amis et de meilleurs maris que les êtres humains par leur disponibilité et leur patience. Faut il en déduire qu’ils méritent autant de droits qu’un véritable humain ? C’est la question fondamentale de la série. Elle à la grande intelligence de poser des questions morales et éthiques : lors d’une soirée entre copines, un des personnages, rétive aux hubots, voit une jeune femme embrasser goulûment son hubot et même se laisser peloter par lui. On sait qu’elle est choquée mais ne veut pas passer pour une coincée et garde le sourire même lorsque les autres femmes lui demandent ce qu’elle en pense. Une scène assez perturbante car elle met à l’épreuve notre rapport à la société. J’imagine qu’un des opposants à la loi dite du ”mariage gay” ne se posera aucune question sur ce qu’il doit en penser mais lorsque l’on défend les libertés individuelles, on est brusquement confronté à un paradoxe intéressant : il paraît ”contre nature” qu’une personne tombe amoureuse d’une machine même si cette dernière mime le comportement humain mais peut on réellement réprouver un comportement qui ne cause de tort à aucune personne réelle ? Voilà des questions perturbantes.
Mais si la série est riche en questionnements philosophiques et sociétales, elle m’a ennuyé au niveau de l’intrigue qui avance assez mollement – un groupe de hubot rebelle tente d’échapper à la police pendant que l’humain qui les accompagne et qui semble avoir un passé associé à leur développement part à la recherche d’une hubot dont il est épris et qui a été recyclée en domestique dans une famille bourgeoise. Il est assez difficile de s’attacher à un personnage humain ou hubot pour le moment (les humains sont soit faibles soit dépassés) et beaucoup de questions associées à l’existence de ces hubots passent pour l’instant à la trappe. Quid des conséquences sociales de leur existence ‑ils font tout le sale boulot mais il ne semble pas y avoir de problème de chômage ? Quelle est la position des politiques ou des associations (il semblerait que les hubots soient parfaitement acceptés – à part pour une frange de la population qui ne semble pas représentée politiquement) ? Quelle est la logique des fabricants des hubots qui font beaucoup d’efforts pour réaliser des produits le plus humains possibles ? Au point de les doter de sexe, anus et bouche véritables quelque soit le modèle et sa fonction. J’imagine qu’en tant que lecteur de SF, j’ai une longueur d’avance sur le spectateur moyen. J’ai évidemment tout de suite pensé à La fille automate de Paolo Bacigalupi où l’androïde a été conçu comme objet sexuel et reste cantonné au territoire japonais en manque de main d’oeuvre et au rapport à la machine très différent des Occidentaux. On pourra remarquer que dans le cycle de la Culture de Iain M. Banks, la série SF la plus importante ces dernières années, les intelligences artificielles ne prennent pas de forme humaine mais préfèrent des ”corps” plus design ou beaucoup plus sophistiqués (de la valise volante au vaisseau de guerre de plusieurs centaines de kilomètres de long). Et il semblerait que la littérature spécialisée ait évacuée l’idée qu’une machine puisse éprouver des sentiments humains, un thème qui est au centre de la série mais qui a été épuisé par les écrivains SF des années 1930 à 1970. J’avoue que j’ai un peu ricané lorsqu’une hubot ”méchante” a déclaré qu’elle ferait en sorte que les humains passent de l’état de maître à esclaves : vu que les machines ont besoin d’une prise de courant toutes les vingt quatre heures, une coupure générale réglerait le problème radicalement. Un peu de la même manière, j’ai eu un peu de mal à digérer le fait qu’on réussisse à fabriquer des objets aussi sophistiqués dans un univers où on regarde encore ses mails sur son portable et on roule en voiture pourrie. Il y a un petit côté artificiel/pas cohérent (jouer à Trivial Pursuit avec des hubots qui connaissent les réponses par coeur, ne pas pouvoir réparer un hubot qui tombe en panne – oui, je sais c’est comme ça que fonctionnent les produits Apple – voire même faire une sauvegarde de sa mémoire).
Au final, une série passionnante dans le fond et qui aborde des questions que les États-Uniens auraient sûrement évacués (quoique, ça évolue par là-bas) mais à la forme très paresseuse. À vous de voir sans compter que j’ignore comment l’histoire va évoluer.
Pour avoir pas mal avancé dans cette série, je suis content de voir qu’elle touche vraiment à plein de thèmes liées à la robotique et à l’humain.
C’est une série qui se passe dans un présent alternatif (c’est pourquoi on a des hubots mais aussi de vieilles Volvo pourries), et qui a l’immense mérite de développer de vrais thèmes SF (déjà vu en littérature depuis TRÈS longtemps c’est vrai), le tout dans un emballage tout à fait digeste pour le grand public.
Alors bien sûr, on n’échappe pas à quelques incohérences (tu en cites quelques unes), quelques oublis (quid du monde politique par rapport à ces hubots ?), voire quelques maladresses de narration (j’ai vraiment du mal à cerner un certain personnage, mais je ne veux pas en dire trop…), mais ça reste un réel plaisir de voir toutes ces thématiques si chères à nous autres amateurs de SF s’afficher à une heure de grande écoute. Et de voir que visiblement la série est très bien accueillie. Et qu’elle est renouvelée pour une deuxième saison.
Ajoutons à cela de bons acteurs (notamment ceux qui jouent les hubots, qui vont du plus robotique au presque humain), une très belle photographie toute en froideur pastel/blanc saturé, et on se retrouve devant une très bonne série de pure SF.
C’est suffisamment rare pour la savourer pleinement !
@Lorhkan : mon fiston accroche très bien et tu as raison de souligner que c’est de la ”vraie” SF (pas des trucs dans l’espace où les lasers font piou piou) et rien que pour ça, j’aurais dû être plus engagé :-)
C’est exacte qu’ils se rechargent encore par le courant électrique mais dès les premiers épisodes ils parlent de futurs hubots se rechargeant en mangeant des granulé sensés se convertir en énergie
En tous cas je suis à l’épisode quatre et j’ai hâte de voir la suite.
@alcoolémie : ah, comme quoi je ferai mieux de tout visionner avant de ronchonner :-)
Ce n’est pas moi qui vais te critiquer, j’ai dû regarder deux fois les deux premiers épisodes avant de me rendre compte qu’ils étaient tous à la même époque. Je n’avais pas vu que c’était le vendeur qui rachetait mimi et donc je pensais que le personnage d’Anita était sa vie passée, et finalement j’avais tout faux.
@alcoolémie : en effet, il y a une sorte d’ambigüité dans la narration.
Vu récemment, un film tout à fait recommandable : EVA, de Kike Maillo, dont la thématique semble très voisine : histoire située dans un futur très proche ou un présent alternatif (ou un futur proche alternatif) et question centrale : la simulation par une machine de processus mentaux humains peut-êlle devenir si parfaite que le résultat en soit indiscernable de l’apparition d’une conscience ? (question plus littéraire que scientifique : l’approche de Iain Banks – qui suppose que dès lors qu’une machine acquerrait une véritable conscience et pas simplement un mécanisme de simulation, on s’en apercevrait tout de suite, précisément à ce que le comportement de la machine, au lieu de continuer à se rapprocher du comportement humain, se mettrait aussitôt à en diverger – est sans doute plus réaliste… mais celle choisie par Real humans et par EVA autorise de jolies péripéties).
@Tororo : tiens, je ne l’ai pas vu passer celui-là. Et je suis d’accord : une intelligence artificielle n’aurai à mon avis rien à voir avec une intelligence humaine normale.
Je suis assez d’accord avec le côté mou de l’intrigue et les quelques facilités scénaristiques qui occultent les conséquences politiques du développement industriel des hubots. Par contre, en ce qui concerne les décors et la technologie très contemporaine, cela ne m’a pas gêné, c’est une convention à accepter, et que l’on ne voit plus à partir du moment où on a conscience de regarder un téléfilm. Tu ne parle pas de la plastique et du jeu extraordinaire des acteurs figurant les robots. C’est la force du film, de réussir à rendre étrange des acteurs humains jouant le rôle de robots voulant prendre la place des humains. Il y a quelque chose de vertigineux.
Je rajouterai que la plastique des acteurs figurant les robots tend à se rapprocher de l’esthétique des images de synthèse actuelle (ou récente). Ca crée une résonnance assez troublante avec notre environnement cinématographique et multimedia.
En même temps, l’esthétique des images de synthèse est un concept assez dépassé puisque 90% des films d’actions à effet spéciaux les utilisent et on ne voit pas d’esthétique particulière au niveau des visages – les monstres sont monstrueux, les nains ont des barbes etc… Disons que cette esthétiques assez années 2000 (ouf, un coup de vieux là) reprend des codes qui permettent au grand public de s’y retrouver : quand c’est lisse et un peu froid et beau, c’est que c’est artificiel. C’est la fameuse théorie/pratique qui veut qu’il faut mettre en évidence le côté artificiel du robot en face du public pour qu’il ne soit pas perturbé – des expériences ont montré que des ”robots” (purement vocaux ou visuels) trop réalistes bloquaient les gens.
Je veux dire par là que si il y a un côté lisse dans l’aspect visuel calculé aujourd’hui, ce n’est pas dû à une limitation technique ou artistique mais à un choix de représentation. On pourrait développer ça avec les photos de mode/pub complètement photoshopée où les femmes sont extrêmement lisses de manière parfaitement artificielles – mais bon, ce n’est pas très nouveau, ça date de longtemps.