Tout dans la tête
C’est la rentrée cinématographique et y’en a un peu marre de mon canapé (même si j’ai une tonne de bonnes choses à visionner à la maison). Je suis donc sorti avec ma chérie voir Tenet le film sauveur de l’industrie cinématographique (ou espéré comme tel). J’en suis sorti perplexe.
Christopher Nolan est adoré des geeks depuis Inception qui était déjà bien tordu (des gens qui infiltrent les rêves des gens pour les influencer ou piquer leurs secrets) et que j’ai vu tardivement. Enfin, comme le dit justement le critique de Télémérou, qui a fait des rêves comme ceux d’Inception ? – en même temps, qui a fait des rêves comme ceux analysés par Freud dans ses premiers écrits ?
Le concept de ce nouvel opus devrait séduire les geeks chevelus amateurs de fantasy et de super héros (il y en avait deux beaux spécimens dans la salle Art et Essai d’Orléans hier soir). Il faut sauver l’Humanité engagée dans une guerre qui semble perdue d’avance : elle se bat contre le futur qui a décidé de se débarrasser des générations précédentes (oui, ça commence à chauffer niveau ciboulot). On se demande comment Nolan a vendu son projet mais j’imagine qu’il a dit quelque chose comme « un James Bond SF, mâtiné de Retour vers le futur avec une pointe christique de Matrix ».
Le côté James Bond/Mission Impossible est parfaitement exécuté avec courses poursuites, bagarres, méchant à la tête d’une armée qui veut détruire l’Humanité, luxe et voyages exotiques. Mais pas de cul, on verra pourquoi plus tard. L’excitation intellectuelle vient du voyage dans le temps. Le futur a la technologie pour faire avancer dans le passé objets et personnes. Les balles de pistolets vont donc rentrer dans le canon mais faisant encore plus de dégâts vu que la physique est quelque peu inversée dans ce cas là. Les personnages circulent dans les deux sens du temps pour résoudre leurs problèmes et prendre de vitesse l’adversaire (même dans les scènes d’action). Dans l’ensemble, on ne s’ennuie pas mais j’ai assez rapidement cessé d’essayer de vérifier si tout cela était bien cohérent (ça grouille de paradoxes temporels pas vraiment résolus). Et la scène finale de bataille est un peu chiante, il faut bien l’avouer (on voudrait juste que ça se termine).
Il faut dire que Nolan n’est pas le plus grand des pédagogues. Il ne délivre que des informations rapides sur le fonctionnement et les conséquences de l’inversion du flux temporel avec un peu de blablabla pseudo scientifique qui tient en trois phrases – mais les sourcils sont froncés. C’est quand même globalement un film d’action où le spectateur perd ses repères habituels de logique temporelle ce qui n’est pas sans quelques effets poétiques. La machine à inverser et ses conséquence est d’ailleurs très Lynchienne.
Mais au final, je suis sorti de la salle en proclamant « j’ai rien compris » (littéralement, je suis du genre à parler fort en public, un défaut de mon grand âge) et j’ai même touché un mot aux geeks qui étaient partis dans les concepts d’univers parallèles assez logiques vu le thème mais absolument pas abordés dans le film. Pour un amateur de SF, c’est un peu vexant de ne pas comprendre ce qui se passe réellement et j’ai été quelque peu déçu parce que j’espérais que le film puisse se voir à l’envers. Et puis j’ai dit à ma chérie : « encore un film pour les garçons de dix ans, le héros n’a même pas le droit de coucher ni même un baiser sur la bouche ». Et ça a travaillé pendant la nuit.
Goya, l’Antéchrist et la pécheresse
Attention, divulgâchage à tous les étages
Pourquoi notre héros n’a‑t-il pas droit à l’amour physique ? Parce que c’est évidemment un héros christique. C’est en fait littéralement le Christ, né pour sauver l’Humanité. Mais commençons par le début.
Le spectateur moyen peut se demander l’origine du titre du film. Tenet est un mot issu du carré Sator, carré mathématique et probablement magique du coup qui s’amuse à croiser des palindromes (un très bon résumé ici http://www.allocine.fr/article/fichearticle_gen_carticle=18692338.html). Visiblement Nolan est parti du carré pour faire son histoire puisque Sator est le nom du méchant, que la première scène se déroule dans un opéra etc… Évidemment, le carré peut être interprété comme contenant des symboles chrétiens. Ce qui nous ramène à notre thématique centrale.
Bon, je vais faire vite, on n’est pas dans un cours de la Sorbonne ici.
Le héros n’a pas de nom. Il a été trahi. Il meurt. Il ressuscite. Il fait une retraite dans le désert (une éolienne en pleine mer). Il est confronté à l’Antéchrist : la mort de Sator signifiera la fin de l’Humanité alors que le Christ meurt pour sauver le monde. C’est d’ailleurs pour cela que le héros est contacté : parce qu’il a accepté de mourir.
La fille a épousé le méchant dont elle a eu un enfant. Elle a péché non seulement pour avoir été séduite par le Mal mais aussi pour lui avoir vendu un faux Goya.
Goya
Un peu de culture. Je me suis demandé ce que Goya faisait là-dedans. Nolan l’a choisi car c’est le peintre du fameux Saturne dévorant un de ses fils. Qui est le principe du film à l’envers puisque ce sont les enfants qui dévorent leurs pères pour avoir une chance de vivre (on ne sait pas réellement pourquoi exactement le futur veut la peau du présent dans le film mais Nolan suggère des catastrophes climatiques ou guerrières).
On peut aussi interpréter le tableau comme une dévoration du fils de l’héroïne par un père destructeur. Saturne-Cronos est aussi symbole du temps qui passe.
Le Sauveur
Comme je l’ai dit plus haut, le personnage suit le parcours du Christ à l’envers (mort et résurrection au début de l’histoire). On lui reprochera régulièrement de vouloir sauver l’Humanité à lui tout seul, ce qu’il assume parfaitement. Comme l’Humanité est un peu vague, il va surtout s’acharner à sauver le personnage féminin qui symbolise les péchés de l’Humanité (super message féministe au passage) et dont la rédemption débute par la découverte d’un double du faux Goya – le thème du double est récurrent dans le film puisque les personnages croisent des échos d’eux-mêmes. Son fils symbolise probablement l’innocence.
On peut continuer les interprétations puisque notre héros va littéralement devenir le fondateur de l’Église qui l’a engagée au début et que son compagnon est un disciple martyr.
Au final, ça pourrait être fascinant si le message du Christ n’était passé à la trappe – les problèmes se règlent à coups de flingues. Comme souvent dans les produits geeks, les symboles sont là ainsi que les mythologies mais le vrai sens spirituel est complètement évacué pour faire place au fun et au spectaculaire.
Merci pour ces explications ! Je comprends mieux à présent ma place dans l’univers : je symbolise probablement l’Innocence.
Si tu es le fils de la pécheresse, oui tu es innocent.
L’explication est parfois aussi alambiquée que son sujet. Pourquoi ne pas y voir simplement un beau scénar de SF qui s’appuie sur une possibilité jamais exploitée à ce point de l’enregistrement vidéo ? Perso j’ai adoré l’idée du futur qui attaque le présent avec l’idée de retourner y vivre (enfin c’est ce que j’ai compris) et c’est si facile d’inverser le temps sur une vidéo que l’occasion était trop belle pour Nolan, ceci dit les effets spéciaux sont colossaux et la bande son mériterait une analyse à elle seule. Après Ok un peu de sexe aurait été bienvenu mais je pense qu’il a craint que la comparaison avec un James Bond n’eût été trop évidente.. .,
Amitiés
Fred
Je crois que mon analyse coule totalement de source et n’a rien d’alambiqué. Je suis persuadé que c’était la vision de Nolan.
Tout cela ne vaut pas un bon John Varley.
Sinon, tarbiscoté, c’est pour faire genre ?
C’est pour faire faute d’orthographe. Un bon Varley ? Je ne sais même pas si j’en ai lu un.
”Tarbiscote!!!” ça fait un joli juron, j’en prends note pour une grande occasion.
Tarbiscote ta grand-mère au Monoprix.
Je dis chapeau sur l’analyse qui a le mérite de m’expliquer ce que pouvait bien faire cette histoire de faux Goya (en double) dans ce film… Après, je ne suis pas sûr de souscrire vraiment à la métaphore christique (le coup de la rédemption de la femme pécheresse, je l’ai pas vu) mais ça a au moins le mérite de donner un angle de réflexion parce que pour tout dire je me suis demandé pendant tout le film quel était son intérêt. Qu’est-ce que ça raconte ? A part un exercice de style un peu raté (l’idée de l’inversion temporelle n’est finalement pas vraiment exploitée dans la mise en scène ‑voir la scène de poursuite sur l’autoroute assez ridicule où on voir surtout une voiture rouler en marche arrière) qui veut à la fois faire moderne tout en faisant de l’œil aux james bond d’antan (des catamarans ?), je ne vois pas trop à quoi se raccrocher…
J’ai dû bien gamberger pour trouver un vrai sens à tout ça :-) Mais je crois que c’est raté du point de vue profondeur. Un James Bond amusant et décalé on dira.
Je ne pense pas que la raison de l’absence de sexe soit la vision de Nolan, mais plutôt l’ambiance aux états unis, d’ailleurs Nolan a toujours principalement des hommes dans ses films, 2 femmes, et elles sont toujours très sages.
Pour ce qui est des paradoxes temporels, il faudrait m’en citer un, je n’en ai pas vu, hormis cet immeuble qui explose dans les deux directions du temps. En fait Nolan a plutôt une très bonne culture scientifique, il fait référence à John Wheeler, (nom du compagnon du protagoniste) le directeur de thèse de Richard Feynman, qui lui a emprunté que les positron était des particules remontant le temps. John Wheeler va encore plus loin, car il a émis l’hypothèse que si tous les électrons étaient semblables, c’était parce qu’ils étaient un seul et unique électron, remontant le temps ou non. Et ça se défend, dans la mesure où ce qui définit l’identité d’un objet en physique est la conservation de certaines quantités selon un ”chemin” qu’on parcourt, si on trouvait autant de positrons que d’électrons, ce serait possible et c’est une question très importante en physique.
Même Spiderman a une fille à embrasser. Et comme James Bond est la référence ici, le contraste est saisissant. Et faire référence à des trucs scientifiques que personne ne connait sans développer, ça n’apporte rien au spectateur. Je me rappelle d’un Godard qui parlait des espaces fermés, ouverts et frontières en provenance des maths. Ça m’a fait éclater de rire parce qu’on ne devait pas être nombreux à comprendre la référence dans la salle mais ça ne démontrait rien. Juste une citation qui faisait savante et inspirée.
Sauf que tout le film est basé sur le déterminisme absolu, ce qui me paraît plutôt bien compris, y compris dans la gestion de l’évolution de la mentalité du personnage, où il pense avoir initialement un libre arbitre, qu’on découvre n’être qu’une illusion. C’est complètement anti chrétien d’ailleurs comme vision puisque la religion chrétienne est basée sur ce paradoxe d’un dieu créateur et omniscient qui laisse le libre arbitre aux hommes. Si il laisse le libre arbitre, c’est qu’il ne sait pas ce qui va se passer ni n’est créateur de toute chose. L’univers se contente d’être, le protagoniste aussi.
Bon, pour ce qui est de l’annihilation de l’antimatière et de la matière…On va dire qu’ils ont trouvé la parade.
Mais c’est un ”paradoxe” de la science plus général soulevé par Laplace, si on fait des expériences de physique, c’est qu’on ”pense” avoir la possibilité de décider des paramètres de l’expérience, et donc qu’on imagine avoir une certaine liberté.
Bon je dois y aller, mais je ne suis pas fermé à la discussion, je suis ouvert. Au passage, j’ai découvert ce blog avec les faux de Moebius, page d’utilité publique.
Mes arguments ne vont pas aller très loin :-) Il y a une ruée sur cette page de faux Moebius en provenance de Facebook depuis hier, j’ignore pourquoi.
Il y a une page facebook à laquelle je suis abonné où quelqu’un a mis votre blog en commentaire.
Merci pour cette info. Ça doit être un gros groupe alors.
The moebius ring 5609 membres, je galère a écrire depuis mon téléphone.
Oui, le téléphone pour les commentaires, c’est pas facile. Je ne le connaissais pas, je suis sur un autre groupe dédié à Moebius.
Remattez le 10, 15, 20X.
Nolan nous donne sa vision du projet Manhattan où je pense Oppenheimer aurait mieux fait de se flinguer.
La question est : comment battre quelqu’un qui sait déjà ce qu’il va se passer ?
P. S : En sciences on doit accepter ce que l’on ne comprend pas ( Interstellar).
Moui, bon. Peut-être.