Cela faisait quelques temps que je n’avais pas chroniqué un western et j’ai laissé traîner The Horseman de Tommy Lee Jones sur le disque dur avant de m’y attaquer. Il faut dire que le premier film de Jones, malgré les louanges critiques, ne m’avait pas emballé. Si j’avais su que c’était adapté d’un roman de Glendon Swarthout — j’ai chroniqué son Tireur sur ce blog — j’aurais été plus curieux.
Dans la plaine, personne ne vous entendra crier
Dans les plaines désolées du Nebraska, Mary Bee Cuddy (Hilary Swank) fait tourner son exploitation toute seule mais souffre de la solitude. Malheureusement, son caractère entier et son physique peu avenant décourage les prétendants éventuels. Dans son voisinage, trois femmes de fermiers ont perdu la raison et Mary Bee accepte de les ramener vers l’Est, un long voyage éprouvant. Sur le départ, elle croise le chemin de George Briggs (Tommy Lee Jones), le cou coincé dans une corde et qu’elle accepte de sauver en exigeant qu’il l’accompagne dans son périple.
Le western pas pour les nuls
Le genre western au cinéma est un truc étrange. Construction d’un mythe états-unien, c’est aussi un cinéma d’évasion qui a marqué l’histoire du 7ème Art via la canonisation de John Ford et dont les thèmes font partie de l’imaginaire mondial au point d’inspirer des metteurs en scène non états-uniens.
En parcourant rapidement les critiques du film sur le Web, j’ai été frappé par leur inanité globale. Il faut dire que le western moderne oscille entre hommage plus ou moins dénaturé et recherche d’authenticité. Ce qui n’est pas sans perturber l’amateur européen qui n’a souvent pas la culture pour appréhender un film comme celui-ci qui retourne les thématiques habituelles en se basant sur une réalité quotidienne peu glorieuse.
Dans la tradition du western, l’Ouest est présentée comme la Terre Promise, un lieu de tous les dangers qu’il faut conquérir où le héros va trouver sa vérité et sa place. Les colons partent dans leurs wagons sans un regard en arrière, leur futur est dans le soleil couchant. Et un peu comme avec les contes de fées, on se demande un peu ce qui se cache derrière le « ils se marièrent et eurent beaucoup d’enfants ». Le film de Tommy Lee Jones montre une réalité cruelle. Des colons mal préparés au métier de fermier voient leur bétail, leurs récoltes et leur famille ravagés par une nature hostile et leurs femmes, isolées dans l’immensité des plaines, perdent la raison (c’est une vérité qui a été étudiée par les historiens). Contrairement à ce que le cinéma laisse à penser, l’Ouest n’est pas un cul de sac géographique. Les populations les plus pauvres qui ont tout investi dans ce voyage ne peuvent plus revenir en arrière mais les trajets Ouest/Est sont évidemment possibles et le train circule dans les deux sens, véhiculant nourritures, familles et investisseurs.
J’ai lu une critique qui se demandait comment le personnage de Mary Bee Cuddy s’était retrouvée seule à la tête de son exploitation et imaginait qu’elle avait suivi un homme. À mon avis, elle a fait comme les autres colons : elle a acheté sa terre et son matériel et s’est lancée, espérant devenir riche et indépendante. Les colons n’étaient pas tous de pauvres immigrants et on y trouvait des personnes de toutes les classes sociales qui rêvaient de prendre en main leur destin et commencer une nouvelle vie.
Attention, spoil
Je vais raconter tout le film alors évitez de lire la suite si vous comptez le visionner.
The Horseman est un détricotage de ce que recherchent les amateurs de western habituels. Les critiques n’ont pas de Ford voire de Eastwood auxquels se rattraper et les fans seront déconcertés par une narration fragmentée qui ne joue pas des violons et ne récompense pas le courage. Et contrairement aux règles apprises dans les cours de scénario, la rencontre des deux personnages opposés ne provoquera aucune fusion rédemptrice.
Briggs est un déserteur tueur d’Indiens qui ne pense qu’à sa pomme, Mary Bee Cuddy est une bigotte qui souffre intimement de sa solitude et qui sait que sa réussite n’a aucun sens sans homme ni enfant à aimer. Il y a une bascule dans le film où, après avoir failli se perdre dans les plaines, désespérée, elle demande à Briggs de lui faire l’amour (façon de parler)… avant de se pendre. Briggs représente ce qu’elle imagine être sa dernière chance et même ce vieux sans toit sans le sou qui est le seul homme a l’avoir côtoyée repousse sa demande de mariage.
Cette mort oblige Briggs à assumer la suite du voyage et l’Est tant espéré révèle une autre sauvagerie, plus policée et tout aussi cruelle contre laquelle Briggs réagit de la seule manière qu’il connaisse — la violence — avant de rendre les armes définitivement.
J’ai lu des critiques qui se focalisaient sur le personnage de Briggs en le montrant comme un marginal rejeté par toutes les communautés mais je ne crois pas à cette interprétation. Mary Bee Cuddy est la seule personne à croire qu’il est digne d’être aimé, qu’il possède les qualités que l’on attend de l’homme de l’Ouest. Mais cette facette qu’il tente de faire vivre un instant s’envole comme un mirage face à la réalité. Le rêve de l’Ouest a vécu un instant dans le regard de Mary et Mary s’en est allée.
C’est clairement un western à rebours puisque les personnages roulent vers l’Est, vers un Paradis perdu (pour Mary, c’est le lieu de la famille et d’une culture qui lui manque terriblement) et, ce que je n’ai lu nulle part alors que c’est explicite dans le film, ce Paradis est lui-même un leurre puisqu’il n’existe que par le travail des esclaves noirs.
Au final un film sûrement pas parfait dans sa narration mais qui m’a énormément plu dans son approche et le portrait des deux personnages principaux. Il y a plein de scènes et de personnages marquants. À remarquer une belle photographie qui cite les peintures de Remington et Russel (ce que les critiques ont aussi complètement zappé).
The Salvation, un western super mauvais de Kristian Levring
J’en profite pour dire du mal du western du Suédois Kristian Levring. Un père de famille voit sa famille massacrée par des bandits sadiques et il va devoir exercer sa vengeance tout seul. On y croise Eva Green et Éric Cantona et si ça vous fait peur, il y a de quoi.
Dès le générique, on sent le loup venir. Des gens courent dans tous les sens dans une gare pendant que le texte défile. Le film commence et on se rend compte que ces gens sont des passagers en attente d’un train dans une petite gare de l’Ouest. Mais alors pourquoi courir comme des dératés comme s’ils se trouvaient à la gare du Nord, pressés de ne pas louper leur correspondance ? Pour faire genre j’imagine. Le héros est super fortiche (Mads Mikkelsen) et aurait pu éviter le drame mais il n’a pas de bol. Heureusement sinon il n’y aurait pas eu de film. Le décor semble en carton pâte, les figurants errent sans savoir quoi faire, les méchants sont super méchants gratuitement et j’ai calé au bout d’une demi-heure. J’ai donc loupé le but de Cantona.
Merci ! Tu m’as donné envie de le voir !
J’espère que tu ne seras pas déçu vu qu’il ne suscite pas l’unanimité.
J’ai un gros faible pour T. L. Jones, ça devrait aidé ! :)
Stephane Gess Girard il est très bon dedans.
Je dois dire que l’influence Remington & Russel, je suis passé à côté… Le chef op’ cite Donald Judd et Koudelka, c’est pas le même délire : https://www.afcinema.com/Le-directeur-de-la-photographie-Rodrigo-Prieto-ASC-AMC-parle-de-son-travail-sur-The-Homesman-de-Tommy-Lee-Jones.html
(interview très intéressante au demeurant)
J’avais vu le film en salle à l’époque, il m’avait assez bluffé dans son audace, que ce soit dans la forme, avec ces espaces vides presque beckettiens et ce mélange de tons comme si le film était lui-même contaminé par le folie, ou dans le fond avec cette critique des usa vus comme un nation qui se construit sur le rejet. Très beau film, la dernière scène est superbe.
Ah, je suis ravi que l’on se rejoigne là-dessus.
Le film est réussi, mais manque un peu de cailloux à mon goût.
Et ces espèces de plaines à demi-herbues qui n’osent pas dire leur nom à voix haute, comme si elles avaient attrapé une mycose à base d’algues, ça me donne un peu le mal de mer.
La Brigade du Spoil est stupéfaite de tant d’audace textuelle, mais elle s’en remettra.
Ah, si, le personnage lance un caillou à un moment — petit il est vrai. Je me rends compte que j’aurais pu faire plein de blagues à base de Petite maison dans la prairie et j’ai loupé le coche.
du genre ”petite prison dans la mairie” ?
Je suis mauvais en contrepartie.
après l’atrocement décevant Godless, je vais me laisser tenter, ça me le fera surement oublier. merci ! (y)
Le pitch de Godless semble avoir été écrit par Blain :-)
Il y a des choses assez fines, dans Godless, à côté d’autres plus rugueuses, voire caillouteuses. C’est la cohabitation des deux qui provoque malaise et toussotements gênés.
Bon, ami John, tu réponds là à des commentaires Facebook donc les intervenants ne vont pas pouvoir suivre — à part moi bien sûr (en passant la souris sur leur icône, on voit apparaître l’URL FB de leur compte).
Mais merci pour le retour sur Godless.
C’est vrai qu’habitant la campagne, je n’ai pas facebook, et le regrette un peu plus chaque jour. Mais le gentil monsieur d’Enedis m’a promis de me l’installer sur mon compteur Linky, qui rend intelligent.
Remarque, il a sans doute dit ça parce que je l’avais chopé nuitamment en train de s’introduire à mon domicile pour y installer sa cochonnerie interactive, et que je l’avais promptement cloué sur la porte du garage à l’aide de 2 clous de 9 inches, et il faisait nettement moins le malin qu’au téléphone.
P.S : en passant la souris sur mon icône non remplie, je vois la Sainte Vierge. Penses-tu que je devrais consulter mon médecin ?
Tu peux remplacer la Vierge en mettant une image via le service http://fr.gravatar.com/.
Un superbe film :)
Il faut lire le livre, aussi.
Bonne idée.
oui c’est super tommy lee jones est incroyable !
Ben si, on y croit justement :-)