Peggy Lipton nous a quitté il y a peu de temps. Lipton interprétait Norma Jennings, gérante du restaurant Double R Diner où elle proposait une tarte aux cerises divine. C’est cette nouvelle qui m’a donné envie de faire une série de billets sur les séries puisque je n’avais pas trouvé le temps de dire un petit mot sur la saison 3 de Twin Peaks, la série (réellement) culte de David Lynch.
Trop vieux pour être vrai
J’ai accueilli l’annonce d’une troisième saison de Twin Peaks avec un détachement surhumain. Je ne croyais pas que ça se ferait vraiment et ensuite je n’imaginais pas le voir de sitôt. Et un jour, je me suis demandé si c’était sorti en Blu Ray. Découvrir que je pouvais acquérir la saison d’un seul clic m’a laissé abasourdi. Je n’avais plus aucune excuse, il fallait accepter d’être confronté à un projet qui semblait perdu d’avance. D’autant plus que les critiques s’étaient révélées dans l’ensemble élogieuses, certains parlant même de la plus belle œuvre de Lynch.
Vingt ans après
La saison 2 se terminait avec le double maléfique de l’agent Cooper prenant sa place après que Laura Palmer lui ait donné rendez-vous dans vingt ans. C’est sur cette promesse que s’est monté le projet, ce qui est assez incroyable car après le flop de Inner Empire bien barré et peu excitant au final, on pensait que les producteurs ne voulaient plus entendre parler de Lynch cinéaste. Mais il faut croire que le rêve ne s’arrête jamais.
Quatre Cooper pour le prix d’un
Je ne vais pas rentrer dans le détail du résumé, l’intrigue est très riche avec de nombreux personnages.
Au bout des vingt années écoulées, le méchant Cooper (qui sème mort et désolation sur son passage), ne veut pas revenir dans la Chambre Rouge. Il échafaude un plan machiavélique et crée un double qui leurre le vrai Cooper. Voilà ce dernier coincé à Las Vegas dans le rôle d’agent d’assurance avec femme et enfant, complètement décalé par le voyage de retour sur Terre (genre 36 heures de décalage horaire).
Noir cerise
Ce qui frappe le plus en premier dans cette saison, c’est que Lynch a voulu se faire plaisir sans oublier les fans. On retrouve donc un maximum d’acteurs de la série, hors les décédés et, après vingt ans ils sont nombreux, chaque épisode est l’occasion de rendre un hommage. Plus frappant, Lynch a fait appel à des comédiens qu’il a utilisé pour ses films (Naomi Watts, Laura Dern…). Et, alors qu’il aurait pu partir sur quelque chose de différent, Lynch choisit de travailler l’univers original (série + film) en développant des choses justes entrevues (Diana, qui n’est qu’une personnage virtuel à l’intention de laquelle l’agent Cooper enregistre des messages, l’agent interprété par David Bowie qui revient sous forme de théière géante dans un surmonde parallèle). La vraie grosse absence, c’est le personnage de Donna Hayward interprété par Lara Flynn Boyle dans la série et qui a refusé le rôle, pour cause de scènes assez chaudes, dans le film. C’était un de mes personnages préférés et j’aurais été curieux de le voir évoluer.
Mais le vrai coup de génie, c’est de montrer petit à petit que la Chambre Rouge n’est qu’une partie d’un univers plus large. Rester sur les mystères originels aurait senti le réchauffé. En faire les bases d’une mythologie plus vaste (nouvelles entités maléfiques, nouveaux lieux chtarbes) relance l’univers de manière séduisante, on retrouve le sentiment de mystère de la série originale, sentiment renforcé par les choix artistiques de Lynch. Sans compter le retour de Laura Palmer dont la mort est considérée comme l’élément fondateur de TOUT.
L’arbre mort et la théière
Ce qui a suscité l’avalanche de commentaires enthousiastes, c’est le fait que Lynch a eu visiblement carte blanche. Épisode horrifique purement expérimental, scènes qui s’étirent dans le grotesque, guests stars qui ont juste une scène, éléments narratifs à peine reliés à l’histoire centrale qui permettent à d’anciens personnages d’exister sans parasiter le récit, il y a de quoi faire peur aux amateurs de séries plus classiques. On frôle le n’importe quoi (le personnage de l’arbre mort ou la théière/Bowie ont de quoi faire douter) mais ce n’est en fait pas si important, ce sont des éléments accessoires d’un univers suffisamment riche pour qu’on ne s’y attarde pas. Ce qui est important, c’est que Lynch continue à faire peur avec juste de la mise en scène, qu’il propose des choses jamais vues ailleurs propres à enrichir notre propre univers mental et démontre que l’on peut faire du cinéma ou de la série avec une ambition artistique qui peut toucher un public plus large que les amateurs d’art moderne.
La retraite à 80 ans
Je terminerai avec ce qui me semble le seul point faible de cette troisième saison : l’âge des acteurs des saisons précédentes. Une bonne partie d’entre eux ont largement atteint l’âge de la retraite par rapport au métier qu’ils font même si aux États-Unis on peut se retrouver à bosser longtemps. Le couple formé par l’agent Andy et la standardiste Lucy fait un peu pitié (même si j’imagine que ça a dû beaucoup amuser Lynch d’en faire des personnages immuables dans leurs rapports et aspects physique) et on se demande comment ces agents du FBI peuvent travailler à un âge aussi avancé. Comme Norma Jennings, qui aurait dû vendre son restaurant depuis longtemps.
Mais que ces menues réserves ne vous refroidissent pas. Si vous aimez le travail de Lynch, c’est incontournable. Si vous aimez les expériences narratives, les choses qui grattent, c’est indispensable. Chapeau bas.
Et j’irai acheter la saison 4 si elle a la moindre chance de voir le jour.