Voilà‑t’y‑pas qu’un beau jour, je me demande si le Aleph-Thau de Arno et Jodorowsky peut se relire avec plaisir. J’ai déjà expliqué ici à quel point je me suis détaché du travail de Jodorowsky mais est-ce que le dessin d’Arno allait raviver mon excitation adolescente ?
Passe ton bac d’abord
Il faut dire que le premier tome de la sage Aleph-Thau est sorti en 1983, l’année du Bac à St Malo. J’avais décidé que j’allais faire de la BD même si j’étais inscrit en math sup à Nançy à la rentrée. Le festival de St Malo de l’époque se déroulait juste avant les vacances, le Palais du Grand Large était calme, mes premières planches de BD étaient exposées avec d’autres amateurs, l’équipe de Frilouz devait faire la fête quelque part et Arno dédicaçait son premier album. J’avoue que je n’ai pas fait la queue (bon, deux/trois personnes à tout casser) parce que son dessin faisait trop Moebius. C’était évidemment risible, de la pure jalousie de ma part. Arrivé à vingt ans à Métal Hurlant (le magazine qui collectionnait les petits prodiges), Arno débutait avec le scénariste de l’Incal, autant dire le top chez Métal. J’ai rapidement appris à apprécier son dessin surtout qu’il progressait à une vitesse phénoménale, il n’y a qu’à voir l’évolution du premier volume de la série.
Pas de bras, beaucoup de tracas
Bon, au début, c’est loin d’être parfait. La narration est très bancale dans les planches (rappelons que Jodorowsky raconte ses histoires au dessinateur et il n’y a donc pas de découpage), les couleurs un peu étranges. Je me rends compte aujourd’hui qu’elles sont peut-être inspirées par le travail de Corben et le dessin tout en rondeur et en volume vient peut-être en partie de là aussi. L’histoire est assez basique : les personnages sont réduits à leur fonction symbolique avec peu de dialogues d’échange et une action qui ne faiblit pas. Évidemment, il y a peu de BD fantasy à l’époque (le premier tome de La quête de l’Oiseau du Temps sort lui aussi en 1983) et Jodorowsky propose un univers original qui mêle fantasy et science-fiction : sur une planète peuplée de différentes créatures et peuples, Alef-Thau, né sans bras ni jambe, tombe amoureux de la belle Diamante. Cette dernière est la seule personne réelle — tout le reste est illusion — et elle doit conquérir le monde pour pouvoir s’en échapper. Les deux héros vont s’aimer, s’affronter, s’allier… Relire le premier tome est d’abord un peu laborieux et puis arrive la grande bataille. Visiblement, Arno s’amuse beaucoup à dessiner des affrontements épiques et ça va être un peu le point fort de la série.
Enfin, je suppose parce que je me suis arrêté au tome 4 dans ma relecture. À ce moment-là, il y a de la friture dans les rapports entre le dessinateur et le scénariste et Jodorowsky — fidèle à sa pensée magique — met ce conflit en scène avec un Hogl (le mentor d’Aleph-Thau) devenant brusquement démoniaque. Très artificiel puisqu’à la fin, on repart à l’aventure comme si de rien n’était… Dans mes souvenirs, le dessin des tomes suivants se dégrade, le beau dessin rond d’Arno devient raide et quelque peu décharné. J’ai lu qu’Arno était tombé dans l’héroïne — plusieurs fois représentée dans ses albums – et il meurt « d’une longue maladie » à l’âge de 35 ans.
Dessin de doué
Au final, le vrai intérêt de redécouvrir cette série, c’est vraiment le travail d’Arno sur les premiers tomes. Il retrouve la simplicité d’un Heath Robinson dans un univers plus réaliste. La clarté du trait rend son travail très lisible et très efficace. Il a un vrai style à lui et crée des archétypes de personnages très personnels que l’on va retrouver dans toute son œuvre. J’ai toujours eu un faible pour ses petites vignettes de fin d’album où il reprend ses personnages quelque peu lutins. Ils sont très vivants et donnent une profondeur à l’univers très esquissé de Jodorowsky — on peut comparer avec les personnages un peu elfiques de Moebius qui sont bien moins incarnés. Il réussit des images qui m’ont vraiment marquées et je me rends compte que l’esthétique de Tschaï lui doit quelque chose. Ses cases panoramiques sont particulièrement réussies, il joue merveilleusement de la profondeur. Et, enfin, même si ça part un peu dans tous les sens dans la technique et les coloristes, ses couleurs sont très intéressantes sur le tome 3, moins agressives. Je pense que ça n’a pas réellement vieilli du fait même de l’économie de ce qui est montré.
Ah ! Si Arno avait vieilli comme ses BD… qui sait ce que nous serions en train de lire en ce moment ?
Il a réalisé des BD historiques et était très branché Seconde Guerre Mondiale. Je pense qu’il aurait travaillé là-dessus de nos jours.
Dixit Fromental dans Métal Hurlant, la machine à rêver
Dixit José-Louis Bocquet dans ”Métal hurlant, la machine à rêver”, Arno voulait faire la synthèse de Moebius et Hergé… Bon c’est surtout Moebius qui m’a toujours sauté aux yeux. Faudrait peut-être que je réessaie, j’avoue que quand j’étais ado il y en avait des piles à la fnac ça m’attirait pas des masses (c’est marrant de se rappeler d’une époque qui semble désormais antédiluvienne où les rayonnages des fnac étaient bourrés de toutes les séries de Jodo).
Pour le coup, je ne vois pas non plus Hergé dans son travail. Rien que pour les filles :-) Dans le début des années 80, il ne devait pas y avoir des piles de Alef-Thau quand même (en fait, mes souvenirs des FNAC de l’époque est très parcellaire).
Années 90 pour moi. Je sais pas, j’ai le souvenir que c’était mis en avant (dans ma jeunesse j’ai jamais fréquenté des librairies super pointues donc ça devait bien être visible en fnac :) ).
Ah oui, par la suite, je suis d’accord avec toi, c’était une des séries Jodo mises en avant.
Vu mais jamais lu.
L’univers me fait fortement penser à Jack Vance.
Les thématiques sont très différentes de Jack Vance (Jodo fait son Jodo). Il y a un côté Planet Adventure, c’est peut-être pour cela que cela te fait penser à du Vance.
Oui Arno,décédé trop tôt ‚je n ’ étais pas branchée BD de cette sorte mais ai regardé quelques planches car il faisait partie indirectement de ma famille. Pas du tout côté Herge selon moi
Si Hergé faisait de la fantasy réaliste, il dessinerait peut-être comme ça :-) Mais évidemment, Hergé c’est tout un univers et on en est loin ici.