La Crypte tonique est un libraire bruxellois qui édite une revue consacrée à l’Histoire de la BD intitulée la Crypte tonique. Je me suis intéressé à la chose depuis la publication du Morne au Diable illustré par Beuville. La Crypte avait son stand à Angougou, il restait à choisir quel numéro j’allais acquérir.
Flower Power et ultra violence
Le numéro 2 date de janvier/février 2012 et s’intéresse au journal Spirou des années 1970 où l’on a vu débarquer des BD d’une violence inédite pour ce magazine dont l’avatar le plus parlant est probablement Archie Cash.
Archie Cash est un personnage créé par Brouyère (scénario) et Malik (dessin) mais le vrai investigateur de ce changement de ton, c’est le rédac chef qui a succédé à Yvan Delporte : Thierry Martens.
Martens est un grand amateur de littérature populaire des années 1950 plein de flingues et de petites pépées et, prenant exemple sur Greg dans le journal concurrent Tintin, il va multiplier les histoires policières tendances série B en se reposant notamment sur Tillieux. Ce qui va nous donner des Jess Long, des Natacha, voire des séries espagnoles aux héros burinés et mâchoires carrées.
Ce numéro est donc consacré à Martens, particulièrement en tant que rédac chef de Spirou. De nombreux témoignages sans langue de bois décrivent un personnage solitaire qui donne rendez-vous au troquet. On découvrira avec quelque surprise le point de vue de Hislaire qui est entré dans la maison Dupuis avec un scénario de Brouyère justement (Coursensac et Baladin dont je me souviens très bien) et qui se révèle un témoin privilégié de cette époque (gamin, il zieutait la bande de Malik qui rôdait dans les squares).
La Crypte tonique propose un magazine très riche d’un point de vue iconographique (les cahiers de collégien de Maertens, des coqs impressionnants signés Malik, des photos judicieusement choisies…), sans tic universitaire, sans verbiage inutile et très brut de décoffrage. On voit que c’est un dossier de passionnés pour les passionnés.
Seule ombre au tableau : les coquilles sont nombreuses (je me suis demandé qui était ce Maurice Tilleux dont on parle sur tout un article) et la typographie française est sauvagement piétinée. Mais à ces détails prêts, c’est excellent à lire si vous vous intéressez un tant soit peu au Spirou de l’époque, avec ses maquettes d’avion plein de croix gammées, un Spirou qui a vu la création du Trombone illustré en réaction à la politique de Martens. Et, anecdote croustillante, vous découvrirez comment la police belge a fait dessiner ses cibles d’entraînement par des auteurs BD.
Les patrons de la bande dessinée
J’avoue, j’ai choisi d’acquérir le numéro 12 parce que c’était le plus grand format (31 cm × 31 cm) et qu’il y avait du cul. D’ailleurs, face à la taille des pages, j’ai décidé de réaliser des scans partiels.
Voilà un magazine intrigant : on commence par l’histoire des formats de papier dans l’édition en général pour comprendre le choix du format utilisé par les éditeurs BD en particulier pour arriver aux petits formats italiens et belges – vous savez bien, les trucs en noir et blanc plein de BD bizarres que l’on trouvait jusque dans les années 1980 dans les gares et chez les coiffeurs.
Là aussi, on a droit à du lourd côté maquette et contenu visuel, un vrai plaisir d’amateur d’images avec un maquettiste qui ne craint pas la pleine page. Le contenu le plus important est consacré aux éditions Artima et son légendaire patron, vendeur de petits pois, Émile Keirsbilck. Des (futurs) auteurs expliquent le travail peu gratifiant de remonteur de planches dans une ambiance morose avec collage à l’arrache de dialogues et nettoyage de flingues. Et des collectionneurs transis racontent leur quête éperdue et leur fascination pour un sous-genre de sous-genre, complètement snobé par l’appareil critique, qui rappelle que la BD ça peut être autre chose que du roman graphique pour bobo avide de complément d’info sur l’actualité. La BD, ça peut être crade et moche et mal fichu et terriblement séduisant pour une jeunesse en perte de repères moraux. Rien de tel qu’un peu de seins, de gore et d’angoisse pour les remotiver.
De manière inattendue, le numéro se clôt avec des images de Chris Ware (mais c’est plutôt logique dans l’histoire des formats en BD) et une interview de JC Menu qui associe innovation dans le format et indépendance.
Au passage, si la typographie souffre toujours, les coquilles sont bien moins nombreuses.
Où acheter ?
À la librairie et sur le Oueb https://www.lacryptetonique.com/
Mise à jour du 3 juin 2024 : la librairie ayant été contrainte à la fermeture, les activités de Philippe Capart continue avec Blow Book https://www.blowbook.be/
Dans un des tous premiers numéros de Spirou que ma maman m’a achetés, Archie Cash retrouvait ses acolytes abandonnés sur une ile sans eau potable, et ça faisait une semaine qu’ils ne buvaient que du whisky ; il y avait des tontons macoutes, des machettes et des massacres suggérés, de la bestialité, du sexe et des horreurs impensables dans cette revue plutôt bon enfant.
Et 20 ans plus tard j’ai fini aux Alcooliques Anonymes, merci qui ?
En plus je découvre grâce à toi qu’à 12 ans, Malik a vraiment l’air d’une petite frappe eurasienne telles qu’il les dépeignait à l’époque.
Son héritier m’est apparu tardivement, en relisant tout Scalped : R.M. Guéra est serbe, et c’est rien de le dire.
https://www.lambiek.net/artists/g/guera_rm.htm
J’étais trop jeune quand j’ai découvert Cash. Ça m’a fait peur plus qu’autre chose. Et ma mère qui achetait Spirou pour la Patrouille des Castors a vite arrêté.
Tant mieux. Grâce à Dieu, comme dirait Ozon, elle t’a ainsi empêché de connaitre le sort funeste qu’Archie Cash fit subir quelques semaines plus tard à la Patrouille des Castors, et auprès duquel tout Lovecraft n’est qu’une bluette pour midinettes…
le dessin de Malik s’est affadi sur le tard, avec des séries gentillettes dans Spirou, mais le mal était fait.
Il s’est adapté au journal – et à l’usine Cauvin.
Merci pour ces petits conseils d’achat…Je possédais le Cuvelier,émouvant retour en enfance,portrait d’une vie naissante.J’aimais la CHIWANA du même Malik…Et Brouyère était je crois l’antithèse parfaite de Cash ou Martens…Vive le brassage !
C’est terrible, je n’en ai aucun souvenir de cette Chiwana que j’ai lu pourtant.
Fin de l’aventure pour la crypte,lit on sur leur page d’un réseau-social-bien-connu.
Où je découvre, par la bande, une page épatante d’un projet mort-né de Beuville sur un scénario de Delporte refusé par Greg.
La librairie cède la place.
Il y avait un joli projet autour de René Follet basé sur ses carnets des ”Grecs…”
Ah oui, mince. Et je ne suivais même pas cette page Facebook. Très chouette planche. Quant à Follet, je suis travaillé par l’envie de faire un article sur ses travaux pour les catho de droite français (en résumé, les délires de Zemmour) sans avoir à me farcir une polémique.
Je vais attendre des nouvelles de la Crypte pour compléter ce billet.