Les Libellules vs Hitler

La patrouille des Libellules, une série de Yann & Hardy (Glénat)

Lorsque de chenus amateurs de BD se rassemblent autour du feu au bivouac, ils mâchouillent leur chique de tabac, crachent dans les flammes, se plaignent de leurs rhuma­tismes et débinent la bande dessi­née actuelle jugée trop molle et peu excitante. « C’est plus comme avant, rappe­lez-vous des Libel­lules les gars. Voilà une BD qu’elle était drôle et provo­ca­trice. Et ce n’était pas du cul pour gonzesse ! ». Et sur ces belles paroles ils contemplent le ciel voilé par la pollu­tion et se demandent où sont passés les hanne­tons de leur enfance.

Alors que je rangeais mes affaires de camping, je me suis dit que je pouvais jeter un œil sur la fameuse trilo­gie signée Yann et Hardy pour voir si mes camarades et moi on ne racon­tait pas des conne­ries nostal­giques. Ce ne serait pas la première fois…

Le chien des Cisterciens

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Après avoir quitté les éditions Dupuis et le beau journal Spirou qu’il malme­nait joyeu­se­ment avec son complice Conrad, Yann développe plusieurs projet pour Glénat avec des trans­fuges de son ancien journal.
Les Libel­lules est dans la lignée des Innom­mables, une parodie d’aventure très référen­cée et pas du tout politi­que­ment correct. Les Libel­lules est une patrouille scoute de filles des années 30 en balade dans la France profonde qui se retrouve confron­tée à un village commu­niste et croise même le chemin d’agents sovié­tiques à la poursuite de deux enfants.

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la nuit, toutes les scoutes sont bleues

Ça c’est la trame de fond parce que Yann ne raconte pas vraiment une histoire. L’élément drama­tique (les enfants traqués) reste en trame secon­daire et on suit princi­pa­le­ment les déboires des scoutes et parti­cu­liè­re­ment de Rainette, leur cheftaine, une fille aux idéaux purs et à la volon­té de fer. En fait, elle est le pivot du récit, Yann multi­pliant les occasions de mettre à l’épreuve sa posture « bonne fille de France » en accumu­lant les contra­rié­tés (les filles sont pares­seuses et ont mauvais esprit, les paysans sont athées et hostiles, elle est obligée d’intégrer dans la troupe un garçon manqué qui remet en cause son autorité).
L’album est en fait une espèce de décalque de la série de romans pour scouts Le prince Éric écrite par Serge Dalens et illus­trée par Pierre Joubert qui raconte l’amitié d’un jeune scout (de bonne famille) et d’Éric menacé par de nombreux dangers politiques dans les années 1930/​40. Les person­nages sont donc très proches de ceux de la BD sauf que Yann s’arrange pour qu’ils ne se croisent jamais (sauf de manière fantas­ma­tiques dans les rêves de Rainette).
Du coup, on a une fausse histoire avec beaucoup de scènes impor­tantes hors champ (on peut rappro­cher ça du travail réali­sé pour La comète de Carthage (cf. le billet ici) mais surtout une tripo­tée de person­nages qui viennent dire leur blague avant de passer le relais.

Défaite éclair & Requiem pour un Pimpf

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Avec Défaite éclair, Les Libel­lules devient une série… qui ne tiendra que deux albums.
Voilà donc Rainette et sa patrouille plongée dans la débâcle de 1940, tâchant de rejoindre l’Angleterre pour poursuivre le combat. Mais elle se rend compte que la guerre n’a rien à faire d’une troupe scoute.

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Franche­ment, ça devient un peu le bazar. Déjà, on atteint les limites des person­nages princi­paux : qu’est-ce que c’est que ces gamines qui ne semblent avoir aucune attache familiales et qui partent faire la guerre ? Seule Génisse se découvre juive (mais elle se suffi­ra d’un oncle). Yann multi­plie les clins d’œil à la grande Histoire et c’est un festi­val de « le saviez-vous ? ». Malheu­reu­se­ment, son avalanche de référence noie le lecteur d’autant plus que les gags sont quelque fois anachro­niques ou complè­te­ment impos­sibles (les mini jupes des héroïnes, les Pimpfs qui font une loterie avec comme lot un abat-jour en peau de juif, les raisons de l’antisémitisme d’Hitler…). Rainette est complè­te­ment perdue et on la comprend. Les person­nages secon­daires foisonnent et se croisent à peine. Visible­ment, Yann a eu l’ambition folle de faire une Histoire de la Seconde Guerre Mondiale à la sauce « bête et méchante » mais empiler les ingré­dients ne fait pas un bon plat et on sort un peu épuisé de cette accumulation.

Hardy

Heureu­se­ment, au dessin, il à a Hardy. Son graphisme carica­tu­ral fait merveille et il sauve des scène scabreuses par une fougue et une absence de complai­sance qui emporte tout. Ses uniformes puent la sueur et on sent l’odeur d’huile et le métal chaud de ses avions de chasse. Si les albums méritent d’être redécou­verts, c’est surtout pour son travail. Mais si vous aimez les blagues à base de de Gaulle ou Churchill, ça pourrait faire votre bonheur.

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humour avionique
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humour commu­niste
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70 commentaires

  1. Non mais on s’en fout de l’his­toire (comme Yann se fout de l’His­toire), c’est le mauvais esprit, le côté icono­claste, irrévé­ren­tieux et l’ambiance glauque qui faisaient (comme pour les histoires de Yann de cette époque,) le sel de cette histoire… Et le dessin de Marc Hardy évidemment !

  2. Je me suis perdu dans les commentaires.C’est l’aven­ture que consti­tue l’évo­lu­tion de Hardy ces 35 dernères années qui me passionne…Sûrement pas finie.

    • Ce sont des commen­taires Facebook que j’ai trans­va­sés, ça explique le côté brouillon. Quant à Hardy, on est un peu condam­né à du Pierre Tombal.

  3. Ca y est, tu as cédé : enfin tu recon­nais qu’on peut traiter aussi graphi­que­ment le sujet de l’avia­tion avec bonheur et fougue. Qu’ils sont enthou­sias­mants ces Hurri­cane, Stuka et autres Me109, vus par Hardy ! :-) J’adore.

    • J’ai été obligé de faire une recherche pour Foolish Wives, un film de Erich von Stroheim de 1922. Avec les Russes blancs ?

  4. Oui c’est bien ça, le vieux Russe blanc qui se branle dans le lavabo : sur la photo, jeune il est un décalque de Erich von Stroheim dans Folies de femmes !

    • C’est bien parce que j’ai potas­sé il y a peu un bouquin sur le cinéma de von Stroheim que j’y ai pensé.

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